Le consomm’acteur s’affirme dans le monde
Le consommateur est de plus en plus conscient de l’impact de son alimentation (sur sa santé et sur l’environnement) et de son pouvoir à influencer les acteurs de l’agroalimentaire. 73 % des consommateurs mondiaux estiment avoir changé leurs habitudes alimentaires au cours des deux dernières années, mais ce pourcentage varie d’un pays à l’autre.

Depuis 2012, le salon international de l’alimentation (SIAL) explore et dévoile les portraits de consommateurs et tendances de l’offre alimentaire dans le monde. Malgré la décision de reporter l’édition SIAL Paris 2020, initialement prévue cet automne, le SIAL a présenté un cahier de tendances pour rendre compte de l’évolution des attentes des consommateurs et des différents marchés géographiques. La compréhension des enjeux mondiaux, des tendances et des innovations façonne l’industrie agroalimentaire de demain.
Le consommateur décide ou boycotte
L’industrie agroalimentaire s’installe dans des modèles de consommation de plus en plus challengés par une société qui évolue très rapidement dans ses attentes et modes d’alimentation, et ce partout dans le monde. Les consommateurs deviennent exigeants, matures, toujours davantage acteurs de leur alimentation : aujourd’hui ils vont jusqu’à boycotter les produits, marques ou restaurants qui ne correspondent pas à leurs convictions.
Dans le contexte de la pandémie de coronavirus, ces derniers mois passés à domicile ont incité à repenser la façon de se nourrir. Tout d’abord en questionnant nos habitudes alimentaires, à l’image des changements entrepris dans les autres sphères de nos vies privées et professionnelles, qui ont été bousculées par cette crise : temps accordé à préparer les repas, pénuries sur certains produits de première nécessité, manière différente de faire ses courses… Si la transition alimentaire ne date pas d’aujourd’hui, on note cependant une accélération des attentes citoyennes. Ainsi, naissent de nouveaux produits et des services plus vertueux chez les marques ou dans la restauration, en réponse aux envies grandissantes des consommateurs.
L’assiette devient une revendication
Les trois études menées à travers le monde par les sociétés Kantar, ProtéinesXTC et Gira montrent clairement que l’assiette devient une revendication : plus citoyenne, plus concernée, plus engagée. La crise de la Covid-19 a été un catalyseur de cette tendance. Que mangeons-nous vraiment ? Quelles conséquences cela a sur notre santé, notre planète, notre avenir en tant qu’individus, communautés, ou humains ?
• Un consommateur activiste s’affirme. 73 % des consommateurs ont changé leur comportement alimentaire au cours des deux dernières années, en grande majorité pour opter pour une alimentation plus saine (70 %), mais aussi pour privilégier du local et de saison (53 %), des ingrédients plus sûrs ou plus sains (44 %) et enfin pour l’environnement (37 %). Bref, on veut du mieux, du mieux produit, du mieux pour moi. Cette tendance est suivie en rayon : les produits axés santé grimpent de près de 10 points en cinq ans pour atteindre 32,4 % en 2019 (35,9 % en Amérique du Nord). Les restaurants s’y mettent plus timidement, en donnant la priorité aux exigences accrues en termes d’hygiène et de sécurité (mise en place de protocoles, preuves d’origine, traçabilité) mais également pour répondre à la demande toujours plus forte de sourcing local et de saison.
• Le plaisir avant tout. Si 70 % des consommateurs mondiaux affirment avoir migré vers une alimentation plus saine, cela ne signifie pas moins « goûtue ». Qu’elle soit engagée, végan, au régime, snackée car pressée par le temps : l’alimentation reste un plaisir avant tout, qui concerne près de la moitié des innovations produits 2019 (48,7 % dans le monde ; tendance surpondérée en Asie avec 51,7 %) contre 4,8 % pour l’éthique et l’environnement, chiffre néanmoins en hausse (+ 3,3 % depuis 2015).
Des priorités variables selon les pays
Nous ne sommes pas tous égaux devant notre alimentation, ni devant les combats qu’on lui fait mener. L’engagement des consommateurs (axé sur les thèmes : santé, méthodes de production, environnement, éthique) est bien réel, mais nuancé voire disparate tout à la fois sur les thèmes et selon les pays. Il s’en dégage trois grandes tendances-paradoxes :
• Moi (et ma santé) ou le monde (et sa santé). Désormais, on sait que derrière l’alimentation se jouent de grands enjeux environnementaux et sociétaux. Et l’on sait que l’on a le pouvoir d’agir en choisissant ce que l’on mange et en influençant les acteurs de la « food » directement dans notre caddie.
• Proximité contre distanciation ? On choisit d’être plus proche des saisons et du champ qui a produit ce que l’on mange (en consommant une alimentation locale et de saison) tout en utilisant des méthodes plus distantes comme la livraison, la digitalisation, les applications de notation ou bornes de commandes.
• Simplicité contre sophistication. On veut du simple, du transparent (à la fois dans l’assiette et dans les emballages) tout en recherchant de l’inédit et de l’exotique.
Une innovation simple, proche et sobre
L’innovation alimentaire mondiale est axée sur trois grandes tendances :
• Aller à l’essentiel. Le consommateur demande un produit simple et donc sécurisant : sans additifs controversés, et avec une méfiance de l’ultra transformé. On se dirige vers une simplicité des recettes, une diminution de la liste des ingrédients pour se rapprocher du fait-maison, et l’on veut des preuves (Nutriscore, par exemple). Cette simplicité trouve écho dans le développement du végétal, simple et rassurant pour le consommateur et qui remplace même la viande avec l’arrivée d’une nouvelle génération de substituts qui imitent le goût, la texture, l’apparence de la viande. L’essentiel concerne aussi l’emballage : plus léger, utilisant moins de matière, privilégiant des matières recyclées/recyclables. Et évitant le superflu jusqu’à disparaître avec l’offre vrac.
• Au plus proche. Le consommateur recherche une proximité production/consommateur dans l’espace (près de chez soi) et dans le temps (produits de saison) avec le fort développement des produits locaux d’origine valorisée voire hyperlocalisés. La proximité de la marque avec sa communauté, des liens directs renforcés avec ses consommateurs en apportant une réponse adaptée à leurs revendications et valeurs, et qui va même jusqu’à les associer à l’élaboration du produit, à l’image des produits co-créés C’est qui le Patron ?!. C’est également une proximité de pensée, un partage de valeurs éthiques et citoyennes de la marque avec ses consommateurs. De plus en plus de produits mettent notamment en avant le respect des producteurs, de l’environnement (empreinte carbone) ou du bien-être animal.
• Du plaisir, mais sobre. Manger sera toujours affaire de plaisir. Mais ce plaisir se fait plus sobre, loin des surenchères qui tendaient à gadgétiser le produit. Le produit s’affirme lui-même comme simplement bon, sans sophistication exagérée, pour rester simple et économique. Un rapport plaisir/prix maximum pour une sobriété subie ou choisie. Le végétal devient gourmand tout en gardant ses vertus bonne santé. Sain, il promet désormais des saveurs simples et inédites, sources de nouveaux plaisirs culinaires. Des goûts plus puissants mais pas clivants s’installent dans les rayons et dans les produits du quotidien comme la bière IPA, par exemple. L’exotisme est recherché avec des spécialités d’origine moins connues (Corée, pourtour méditerranéen...), des régions du monde qui évoquent des univers de naturalité, de goûts puissants et étonnants. Et c’est aussi le plaisir simple, réconfortant et de la convivialité avec des produits que l’on a envie de partager.
La « re-saisonnalisation » des cartes
Si, comme cela est mis en évidence par l’étude Kantar, la demande pour les produits bio reste stable, voire en légère régression, la demande pour les produits locaux est en développement partout, à l’exception des Émirats pour qui l’importation est une nécessité. La restauration connaît une « re-saisonnalisation » des cartes grâce au goût (une tomate d’hiver est moins parfumée qu’une tomate d’été). La viande, elle, voit sa consommation diminuer, surtout au Canada, au Royaume-Uni et en Allemagne. En réponse, des alternatives protéinées s’envolent dans les pays anglo-saxons, mais restent faibles en Europe. Les pays latins restent de grands amateurs de viande, en témoigne l’apparition des concepts de « Steakhouses » un peu partout dans ces pays.
Claudine Lavorel
Sources texte et infographie : Cahier de tendances du SIAL - État des lieux mondial du secteur de l’alimentation en 2020 / Données Kantar 2020 - Food 360.
Végétal ou viande... ou les deux ?

La viande est un sujet au cœur des préoccupations à la fois en matière de santé et d’environnement. 50 % des consommateurs dans le monde pensent que les acteurs « food » ont davantage pris en compte le bien-être animal dans leurs offres, mais pas encore de façon suffisante, et 29 % qu’ils n’en ont pas encore tenu compte alors que c’est nécessaire. On assiste à un essor des alternatives à la viande (meat substitute ou meat analogue comme le pionnier Beyond Meat) dans les rayons. Mais peu au restaurant. La baisse de la consommation de viande sera lente en moyenne et quasi nulle en Europe où ces substituts ne suscitent pas le même intérêt que celui observé aux états-Unis ou en Asie.
Tendances : réduction des déchets, sécurité alimentaire et digital
La réduction des déchets reste très inégale selon les pays. Indonésie, Russie, USA, Chine et Inde sont à la traîne alors que l’on observe une prise de conscience très forte au Royaume-Uni, en Allemagne et au Canada. Dans cette dynamique, l’« antigaspi » voit de nouveaux concepts se développer, comme la surfacturation (facturer ce qui est laissé dans l’assiette) ou le service à table pour les offres buffet.
Le consommateur veut des preuves
En matière de sécurité alimentaire, les consommateurs sont de plus en plus exigeants : on demande des preuves (forte tendance aux origines nationales), on aime que le restaurateur prenne la parole sur ce sujet, particulièrement en Chine à cause des crises sanitaires à répétition ou aux Émirats arabes unis, car beaucoup de produits sont importés. Les régimes alimentaires spécifiques (sans gluten, lactose, vegan etc.) n’affichent pas d’évolution notable : peu important en Chine (le sansgluten ou sans lactose existe depuis longtemps), rejet en Europe latine (on le fait à la maison). Les OGM non plus ne sont pas un grand sujet pour les consommateurs : à noter cependant que la Chine, pionnière en la matière, y est de plus en plus réticente.
Le digital s’invite à table
La technologie s’invite aux tables des restaurants sous plusieurs formes. La carte bancaire a tendance à disparaître au profit du paiement digital qui limite le contact avec les terminaux de paiement (rassurant en ces temps d’après Covid). L’humain a fait un pas de côté avec l’arrivée de ces technologies. La reconnaissance faciale se développe fortement en Chine notamment (moins frileuse sur le sujet des données personnelles). Les applications de restaurants prennent leur essor partout dans le monde pour les consommateurs (consulter les menus, les avis, réserver) et pour les restaurateurs (piloter ses stocks, les livraisons).
C. L.