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Il rêve de transmettre son exploitation laitière

Perchée sur une colline entre Bourdeaux et Dieulefit, l’EARL de Grimolle est l’une des dernières exploitations collectées en lait de vache au sud de la vallée de la Drôme. Installé depuis 1988, Samy Raspail espère transmettre son exploitation et son troupeau d’une cinquantaine de montbéliardes.

Il rêve de transmettre son exploitation laitière
Samy Raspail s’est installé en 1988 en Gaec avec son père. Aujourd’hui il gère en bio avec deux équivalents temps plein salarié un troupeau d’une cinquantaine de vaches laitières. La production est de 8 000 litres par vache. ©AD26 -S.S.

La campagne écoulée a été difficile. Samy Raspail ne s’en cache pas. Le prix du lait bio, collecté par Biolait, est tombé à 400 euros les 1 000 litres et les volumes n’ont pas été au rendez-vous. « On va brider les investissements, déplore-t-il. D’autant qu’on nous annonce qu’il ne faut pas attendre d’amélioration sur le prix du lait bio avant 2023. » Dans sa carrière d’éleveur laitier, Samy Raspail a déjà connu des crises. Il garde notamment en mémoire celles de 2008 et de 2015. Il espère que celle-ci va passer encore une fois, en serrant les dents, même s’il reconnaît que « c’est frustrant de travailler comme des dingues et d’être à la rue ». Son objectif : préparer la transmission de l’exploitation en créant un Gaec à trois associés : lui, son fils et un autre jeune qui est arrivé comme salarié début février. Une petite partie de la production pourrait alors être valorisée en circuit court (fromages et vente de lait cru).

De père en fils

Pour Samy Raspail, son exploitation, c’est un rêve de gosse, qu’il ne veut pas voir briser. «  Elle est devenue ce dont je rêvais quand j’avais dix ans, elle fait travailler beaucoup de gens », confie-t-il. C’est son père qui a spécialisé la ferme, dans la famille depuis 1850, en production laitière. « Il s’est installé en 1965 et a construit une étable entravée de 23 places adossée à la maison d’habitation. Il produisait alors 100 000 litres de lait collectés par la coopérative de Dieulefit, puis celle de Crest », raconte Samy Raspail. Mais le travail s’avère pénible dans ce bâtiment entravé. Une stabulation libre sort de terre en 1981.

En 1984, son bac technologique obtenu au lycée du Valentin en poche, le jeune homme revient comme aide familiale sur l’exploitation. En 1988, il s’installe en Gaec avec son père. « Nous produisions alors 170 000 litres de lait et nous avons atteint par pallier 400 000 litres dans les années 2000 », poursuit-il. Son père prend sa retraite en 1998 et sa mère entre dans le Gaec jusqu’en 2005. Mais la charge de travail est importante. « Nous avons commencé à embaucher, d’abord un mi-temps. Aujourd’hui je suis seul en EARL avec deux équivalents temps plein salariés [un poste à plein temps et deux à temps partiel, ndlr], précise l’éleveur. Je n’ai pas le choix car les conditions sont difficiles ici. J’exploite 115 hectares, dont la moitié cultivée, le reste en herbe. Nos terres sont très argileuses, caillouteuses, parfois avec une couche sableuse au-dessus. Elles sont étanches en profondeur, il faut drainer sinon on se retrouve avec des mouillères qui durent pendant des mois. Il faut aussi irriguer pour assurer la levée du maïs dans les mottes d’argile [l’exploitation a investi dans deux lacs collinaires en 1989 et 1995]. Tout ça est très gourmand en main-d’œuvre », assure Samy Raspail.

De cinq à une exploitation sur la tournée

En 2017, il entame la conversion bio de l’exploitation. « Jusque là, nous étions un noyau de cinq exploitations collectées par Sodiaal sur le secteur centre Drôme-Diois, dont une a produit jusqu’à 800 000 litres de lait », précise-t-il. Les quatre autres cessent la production laitière entre 2017 et 2018. «  Il ne restait plus que moi. Sodiaal ne souhaitait pas assurer de collecte bio ici. Je me suis donc orienté vers Biolait depuis 2019 », poursuit-il. L’exploitation la plus proche sur la tournée est à 50 kilomètres.

Si les prix du lait bio se sont effondrés fin 2021, conséquence d’une collecte nationale en forte augmentation (+12 % entre 2020 et 2021) alors que la consommation française de produits laitiers bio ralentit, Samy Raspail ne semble pas regretter son choix. « Passer en bio ne demandait pas d’investissement supplémentaire sur mon exploitation, simplement des outils pour le désherbage des cultures. J’ai investi dans une bineuse et un voisin dans une herse étrille avec semoir intégré que nous nous partageons, explique-t-il. En 2019 et 2020, nous avons produit beaucoup de lait, sans conséquence du passage en bio sur la production. Les prix étaient corrects, ça nous a donné un bol d’air. »

Pailleuse automatique

Il dépose alors un projet dans le cadre du plan de compétitivité et d’adaptation des entreprises agricoles (PCAE). Sont prévues : l’installation d’une pailleuse fixe avec réseau de distribution et la construction d’un nouveau bâtiment pour accueillir la laiterie. Avec une stabulation sur aire paillée et une aire raclée (32 x 4 m), Samy Raspail estime que son système est « gros utilisateur de paille. On en achète 100 ha par an en andain dans la plaine à 20 kilomètres d’ici. Là aussi, ça nécessite beaucoup de main-d’œuvre. Mais c’est aussi une mine de fumier, indispensable en bio. » Avec la pailleuse, il espère économiser jusqu’à 25 % de sa consommation annuelle de paille. 

Côté laiterie, la priorité était de créer un local distinct de la salle de traite pour accueillir un nouveau tank de 6 000 litres et un plus petit destiné à la vente directe de lait cru. Ce bâtiment pourrait aussi, à terme, abriter une fromagerie. La transformation d’une petite partie du lait est une des pistes envisagées dans le projet de Gaec. 

Des associés plutôt que des salariés

Mais en ce début d’année, la chute des prix du lait bio et la flambée des charges, notamment sur l’alimentation, ont freiné les élans. « On essaye d’être le plus autonome possible sur la ration [les terres retiennent plutôt bien l’eau en période estivale ce qui facilite la production de maïs, ndlr] mais on est obligé d’acheter les protéines. Biolait nous impose du soja bio tracé France. Celui-ci vient de passer à 1 500 euros la tonne. Nous avons réussi à l’acheter à 1 150 euros alors qu’il était à 850 l’an dernier », précise l’éleveur. 

Dans un tel contexte, l’avenir ne pourra s’écrire qu’en remplaçant les deux équivalents temps plein salariés par deux associés. Mais le système sera-t-il pérenne ? « Avec mon père, ce qui nous a permis de tenir c’est d’être relativement autonomes en construction, réparation de matériel… On a souvent reporté les investissements, comme la salle de traite [une fois six postes, ndlr], que je n’ai pas modifiée depuis l’installation du décrochage automatique en 1995 », confie l’éleveur. Il sait que la prochaine génération aura du mal à accepter les sacrifices consentis par ses aînés. C’est pourquoi il avertit : « Il est urgent que les consommateurs et les pouvoirs publics se rendent compte qu’on ne peut pas en demander toujours plus aux agriculteurs. Si nos exploitations laitières ne sont pas reprises, demain nous irons vers de grandes tensions alimentaires. » Faire perdurer le troupeau de l’EARL de Grimolle à Comps serait un signe fort que le message a été entendu. 

Sophie Sabot

D'autres reportages sur des exploitations bovins lait en Drôme :

- Gaec de l'Echarasson à Saint-Julien-en-Vercors.

- Gaec de la Fayardaie à Hauterives.

 

Perchée sur une colline entre Bourdeaux et Dieulefit, l’EARL de Grimolle est l’une des dernières exploitations collectées en lait de vache au sud de la vallée de la Drôme. ©AD26 -S.S.
L’EARL de Grimolle produit 400 000 litres de lait collectés par Biolait. ©AD26 - S.S.