Britannique de naissance, le comique Charles, Spencer Chaplin alias « Charlot » n'avait sans doute pas prévu de finir sa vie en Europe alors qu'il connaissait la gloire et la fortune à Hollywood. Lui qui incarnait souvent le rôle d'un vagabond dans ses films avec sa valise, il a fini par la poser lorsque les États-Unis l'ont expulsé en lui refusant le renouvellement de son visa, le jugeant trop proche du parti communiste, en pleine période du maccarthysme mais aussi à cause de ses frasques sentimentales. C'est donc à Corsier-sur-Vevey en Suisse, dans une belle demeure bourgeoise, au manoir de Ban, qu'il décida de s'installer en famille avec sa très jeune épouse Oona O'Neill enceinte de leur cinquième enfant. Ils en auront huit et vivront heureux ici.

Charlie Chaplin - cire du musée Grévin.

Vie et œuvre de Charlot

Les visiteurs déambulent de pièce en pièce avec des extraits de films iconiques, où des documents d'archives égrènent le parcours, entre humour, intimité et surprises. Pas de cordon de protection pour guider le sens de la visite, pas d'interdit. On peut même s'asseoir au bureau de Chaplin ou devant le piano Steinway qui lui servait pour composer ses musiques. Dans le salon, il y a le violon de ses débuts. La partition de « la Comtesse de Hong-Kong »(1967), dont il rédigea le scénario dans la bibliothèque. Le travail de décoration et de reconstitution est remarquable pour retracer l'ensemble de sa vie et de son œuvre. Au détour des décors, 36 figures de cire créées par les ateliers du musée Grévin sont disséminées sur les 1 850 m2. Çà et là, de nombreux objets conservés par la famille : le pantalon et les godillots trop grands du Kid de 1921, l'Oscar d'honneur reçu en 1972. Charlie Chaplin remettait alors les pieds aux États-Unis pour la première fois depuis 20 ans. Il détient d'ailleurs à ce jour la plus longue standing ovation de l'histoire des Oscars (12 minutes)

Charlie Chaplin et son épouse Oona, magnifique réalisation du musée Grévin.

Les hôtes du manoir

Chaplin sortira peu de sa Suisse adoptive qu'il affectionnait, mais il recevra beaucoup de convives, dont de nombreuses personnalités, une salle leur est consacrée. Un mur infographique permet de retracer les amitiés célèbres de la famille qui ont été ses hôtes au manoir : Einstein ou Churchill, Manitas de Plata (dont il partageait les origines tsiganes), Marlon Brando, Yull Brynner, Truman Capote, Paulette Godard, l'Abbé Pierre... La visite se poursuit avec des panneaux didactiques qui reviennent sur les convictions humanistes du comique, notamment sa vision critique de la société de consommation ou du travail à la chaîne.

Charlot, le cinéaste de génie

Chaplin's World c'est aussi un bâtiment érigé sur le domaine qui présente l'œuvre du créateur de Charlot. Un studio de 1 350 m2, spécialement aménagé, revisite la carrière de Chaplin. Le visiteur y pénètre par une grande salle de cinéma où un film évoque, en dix minutes, l'homme et son œuvre. Le parcours se poursuit par une reconstitution de Easy street, la misérable rue londonienne où le comique est né dans une famille sans le sou. Au sous-sol avec salle de montage, Charlot revit dans le décor de ses films, grandeur nature, une véritable plongée divertissante dans les films du vagabond à la canne et au chapeau melon. Grâce au parcours interactif animé par des effets subtils de sons, de lumières et des figurines en cire, les décors reconstitués enchantent. Sur des écrans, les extraits de films les plus emblématiques défilent : « Les lumières de la ville », « Le dictateur ».
On se laisse happer par les rouages des « Temps modernes », on sautille devant la danse des petits pains avant de tanguer dans la cabane de « La ruée vers l'or ».
Le monde du cirque, qui a beaucoup inspiré Chaplin, est aussi représenté. Perfectionniste, indépendant, le cinéaste a réalisé ses films du début à la fin, musique comprise, tout au long de sa carrière et dans ses propres studios. Ceux qui connaissent mal Chaplin le découvriront avec bonheur, les autres verront avec plaisir photos privées et extraits de films.
Après un peu plus de deux ans d'ouverture, Chaplin's World by Grévin a été élu meilleur musée d'Europe 2018 par l'Académie européenne des musées.

Yolande Carron

L’intimité du manoir de Ban

Véritable pierre d’assise de la visite, le manoir de Ban trône sur les hauteurs de la ville avec un parc plongeant dans le lac Léman lui même entouré des Alpes qui lui font de l’ombre. Dans cet endroit de rêve à proximité des vignobles, Chaplin y vécut durant un quart de siècle entouré des siens. Les anciens appartements de la famille Chaplin regorgent de souvenirs de cette période heureuse. C’est là aussi qu’il a écrit ses scénarios, ses livres, composé ses musiques et travaillé ses derniers films. Cette grande demeure s’est aujourd’hui transformée en un superbe musée, révélant son univers intime et familial. Des scènes de sa vie au manoir passent en boucle dans les pièces, dont l’une tournée quelques mois avant sa mort. Comme une dernière pirouette, Chaplin qui détestait Noël mourut au matin du 25 décembre 1977 au manoir de Ban.