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Société

Vers un statut officiel de l’exploitant agricole

Deux ans après la promulgation de la loi d’avenir agricole, le décret d’application du registre des actifs agricoles n’est toujours pas paru. Pourtant, la définition de l’exploitant agricole est une préoccupation croissante à l’heure où certains agriculteurs délèguent complètement la gestion de leur ferme, où le nombre de pluriactifs progresse, où des investisseurs extérieurs à l’agriculture s’intéressent aux rendements de la terre, et où de nouvelles formes d’agriculture émergent (verticale, sur les toits…).
Vers un statut officiel de l’exploitant agricole

La question du statut de l'exploitant agricole provoque le débat parce qu'il n'existe pas de définition de l'exploitant agricole dans le droit rural. Aussi, lors du dernier recensement agricole en 2010, le ministère de l'Agriculture comptait plus de 600 000 chefs d'exploitation et coexploitant, tandis que la MSA n'en recensait que 489 000. Difficile de mener une politique publique ou de déterminer des niveaux d'aides si le nombre d'agriculteurs n'est pas certain. En fait, le droit rural français ne définit que l'activité agricole, et seulement depuis 1988. Pas ce qu'est l'agriculteur.

Jérémy Decerle, président de Jeunes agriculteurs.

Agriculteur inactif et investisseurs extérieurs

Depuis quelques semaines, la question revient sur la table sous un jour particulier ; celui des agriculteurs qui, plutôt que de faire valoir leurs droits à la retraite, font exploiter leurs terres entièrement par des entreprises de travaux agricoles. Pas de chiffre officiel. Mais assez pour que l'ancien président des chambres d'agriculture Guy Vasseur et Daniel Prieur, secrétaire général adjoint de la FNSEA, s'en soient émus publiquement ces dernières semaines. Derrière ce problème de « seniors qui ne partent pas à la retraite », c'est un problème beaucoup plus large que veut dévoiler la FNSEA, celui des « agriculteurs contemplatifs ». On sait par exemple que 10 % des exploitations de grandes cultures françaises délèguent entièrement la gestion à une autre entreprise, selon une enquête menée par la chercheuse Geneviève N'Guyen. En posant la question de l'agriculteur « inactif » ou « contemplatif », la FNSEA ne s'attaque plus à quelques cas emblématiques comme le prince Rainier de Monaco, dont on découvrait en 2009 qu'il recevait 253 000,00 euros d'aides Pac de Bruxelles. L'enjeu est devenu plus large, et concerne les agriculteurs « pluriactifs », de plus en plus nombreux. Par ailleurs, la complexité et la diversité croissante des montages sociétaires brouillent les cartes. À défaut de modèle d'exploitation unique, la profession veut définir un statut. L'augmentation du coût des installations (1 million d'euros pour un élevage de 300 truies) impose au jeune agriculteur de ne plus détenir seul le capital, et de recourir de plus en plus à l'aide d'investisseurs agricoles via les Gaec, ou extérieurs à l'agriculture. D'où l'intérêt d'un statut.

À quoi servirait l'instauration d'un statut agricole ?

D'abord à conditionner l'octroi des aides Pac. « Il s'agit d'éviter de distribuer des aides à des gens qui gardent la terre et la font exploiter par d'autres », résume le président des JA, Jérémy Decerle. Dans la loi d'avenir agricole de 2014, les parlementaires avaient validé l'idée que les aides de la Pac pouvaient être réservées aux seuls agriculteurs inscrits au registre des actifs agricoles, par un décret du Conseil d'État. Mais la FNSEA veut pousser la France à entamer des négociations à Bruxelles sur l'accès aux aides. Mais pas seulement. La FNSEA voit d'autres champs d'application. Sur son site, elle explique que ce statut « pourra permettre à toute personne y répondant d'être reconnue comme agriculteur professionnel au regard des différentes branches du statut (droit rural, aides économiques, urbanisme, politique des structures...) sans qu'il y ait lieu de regarder si la personne est affiliée en tant que non salarié agricole ou salarié agricole auprès de la MSA ». Jean-Louis Chandelier explique que le statut d'exploitant agricole pourrait être utilisé par le contrôle des structures, comme une condition d'attribution de l'autorisation d'exploiter. La FNSEA voudrait également donner du contenu à ce statut, lui adjoindre des droits particuliers. La création d'un statut pourrait être un levier pour étendre la protection du patrimoine privé des agriculteurs. L'insaisissabilité de plein droit des lieux d'habitation a été accordée aux agriculteurs individuels, depuis la loi Macron. La FNSEA voudrait l'étendre aux formes sociétaires. Pour Saf'Agridées, il faut également définir un statut de l'entreprise agricole qui permettra ensuite de mettre en place des dispositifs spécifiques, notamment fiscaux. « Ces aménagements seront réservés à ceux qui auront le statut d'agriculteur », explique Jean-Baptiste Millard. Saf'agridées vient d'ailleurs de constituer un groupe de travail sur le statut d'agriculteur. 

 

À savoir : un agriculteur, plusieurs définitions

Dans le code rural, il n'existe pas de définition de l'agriculteur, mais seulement une définition de l'activité agricole (depuis 1988). Par défaut, l'exploitant agricole est la personne exerçant une activité agricole. En 2014, une définition de « l'actif agricole » a été inscrite dans le code rural, par la loi d'avenir. Mais le décret d'application pour le registre n'est jamais paru. De plus, le statut d'actif agricole ne satisfait pas la FNSEA, car il inclurait certains « cotisants solidaires » à la MSA. Autrement dit, des personnes qui n'atteignent pas l'activité minimale d'assujettissement (AMA). Sur le plan social, l'exploitant agricole est défini par la MSA. L'exploitant agricole doit justifier d'une activité minimale d'assujettissement (AMA), calculée soit en surface minimum d'installation (fixée dans chaque département), soit en heures de travail par an, soit en nombre de Smic dégagé par an. À Bruxelles, le règlement européen réserve les aides directes aux « agriculteurs actifs », qui peuvent être des personnes physiques ou morales. Selon la FNSEA, la Pac est dans une logique de distribution très large des aides directes. Les aides sont refusées à certains types de sociétés (aéroports, service ferroviaire, terrains de sport...), sauf si le montant des recettes agricoles ou des aides dépasse un pourcentage du total de leurs recettes non agricoles. Par le bas, Bruxelles ne fixe pas de minimum de surface pour toucher les aides (tout juste un minimum « technique » de 1 are). Bruxelles fixe seulement un montant minimum de paiements directs : 200 euros par an. Et il ne s'applique pas aux DOM. 

Registre des actifs agricoles : “ méfiance ” des professionnels

Deux ans après sa promulgation en octobre 2014, 75 % des décrets d’applications de la loi d’avenir pour l’agriculture ont été publiés, a annoncé l’un de ses deux rapporteurs, le député socialiste Germinal Peiro, lors de la présentation d’un rapport d’information sur ce texte, le 20 décembre à l’Assemblée nationale. L’un des décrets les plus notablement absents est celui qui concerne le registre des actifs agricoles, note le député. Cette mesure « doit permettre de mieux cibler les aides aux agriculteurs en les réservant aux agriculteurs actifs, mais la consultation des professionnels menée par le ministère a relevé des divergences d’attentes et surtout une grande méfiance sur les conséquences économiques et sociales du registre », rapporte G. Peiro.