Valoriser les bonnes pratiques d’élevage en France
commercialisation des produits agricoles. Certaines enseignes de la grande distribution l’ont bien compris, et ont décidé qu’elles arrêteraient de distribuer des œufs de poules en cage d’ici 2025 par exemple. Parallèlement, une plateforme européenne sur le bien-être animal se met en place. Pour que la vente de produits issus des animaux d’élevage ne soit pas enraillée, il semble indispensable d’assurer aux consommateurs un élevage, transport et abattage respectueux du bien-être des animaux

Après Carrefour fin décembre et Aldi Nord en août, Intermarché et Netto, les deux enseignes du groupe Les Mousquetaires, ont annoncé en début d'année qu'ils arrêteront de distribuer des œufs coquille issus de poules élevées en cage à partir de 2025. Ils commenceront par leur propre marque distributeur (Moisson) dès 2020. « Cela répond à une demande croissante des clients, de plus en plus attentifs aux conditions d'élevage et au bien-être animal », explique le groupe qui indique que, « d'ici 2025, les éleveurs auront le temps nécessaire pour s'adapter aux nouvelles exigences et développer des méthodes d'élevage alternatives à la cage aménagée ». Parmi les enseignes engagées dans ce sens, Monoprix a déjà retiré ses œufs de code 3 sans délai, ni annonce préalable il y a un an. Face à ce mouvement, l'interprofession nationale des producteurs d'œufs (CNPO), s'est fixée pour objectif de faire passer la production française à 50 % d'œufs alternatifs d'ici 2022 contre 32 % actuellement pour un coût estimé à 500 millions d'euros. On le voit avec l'exemple de la filière œuf coquille, l'attente sociétale autour du bien-être peut avoir des impacts forts et rapides sur la profession agricole alors même que les éleveurs ont réalisé, il y a seulement quelques années, d'importants investissements pour respecter les nouvelles normes européennes de bien-être pour les poules en cage. D'ailleurs, après les œufs, les lapins élevés en cage pourraient être prochainement concernés. Le Parlement européen a ainsi adopté une résolution non législative demandant le remplacement des cages conventionnelles pour les lapins d'élevage par d'autres options comme les systèmes de parcs. Les organisations et coopératives agricoles de l'UE réunies au sein du Copa-Cogeca ont vivement réagi, indiquant que les éleveurs avaient investi dans leur exploitation pour « garantir des normes élevées en matière de bien-être animal ». Cette position sera-t-elle tenable longtemps alors que d'autres pays européens comme la Belgique ou la Suède ont déjà interdit les cages pour la filière cunicole. En tout cas, la pression sur l'élevage ne va pas retomber de sitôt.
Cinq libertés à respecter
Mais qu'est-ce que l'on entend derrière l'expression bien-être animal ? La définition qui fait référence en la matière est celle de l'organisation mondiale de la santé animale (OIE) aussi connue sous le nom des cinq libertés fondamentales. Le bien-être animal se définit comme suit, et cela, quel que soit le type de système d'élevage. « L'animal ne doit pas avoir faim et soif, souffrir de contraintes physiques ou être en inconfort, subir des douleurs, blessures, maladies, avoir peur ou être en détresse et il doit pouvoir exprimer des comportements naturels normaux. » Aujourd'hui, toutes les filières d'élevage travaillent sur ces questions de bien-être, à la fois pour mettre en avant ce qui se fait déjà dans les fermes et qui est mal connu par les consommateurs, et pour anticiper sur les possibles évolutions du contexte ou de la réglementation. Et cela pourrait aller très vite. Une proposition de loi relative à la protection des animaux durant les transports a été déposée en janvier dernier par une trentaine de parlementaires. Elle vise à limiter la durée des transports à huit heures pour les gros animaux et à quatre heures pour les petits (volailles, lapins, etc) avec une possibilité de dérogation pour aller jusqu'à un trajet de douze heures maximum. La proposition de loi demande également qu'un responsable bien-être animal soit présent sur les bateaux pour les transports maritimes de plus de huit heures, ce qui pourrait impacter fortement l'export d'animaux vifs. Même si elle ne sera pas adoptée avant la nouvelle mandature, on voit très clairement que le monde agricole doit anticiper pour être capable de s'adapter ou de riposter.
De nouvelles certifications à venir
Pour rassurer les consommateurs, plusieurs initiatives voient le jour. La filière avicole Certi'Ferme par exemple (associant éleveurs, couvoirs, alimentation animale et abatteur) lance une certification bien-être. La nouvelle ISO/TS 34 700, certifiée par un organisme extérieur, permet de prouver que le bien-être animal est pris en compte dans les élevages de volailles. En porc, un référentiel ISO devrait être disponible en 2018. De l'autre côté du Rhin, le ministère de l'Agriculture allemand a décidé de créer un label officiel bien-être, qui concernera d'abord le porc en 2019. Aux États-Unis, pour répondre aux exigences des consommateurs en matière de bien-être des vaches laitières, un label « nourri à l'herbe » va être mis en place. Informer le consommateur et le rassurer sur les pratiques des éleveurs semble être un passage incontournable pour l'agriculture. « Dans le monde agricole, il y a bien longtemps que l'on n'a pas expliqué les choses. Mais apprendre à parler avec le consommateur, ce n'est pas aussi simple que cela », a expliqué Jean-Pierre Poulain, socio-anthropologue à l'Université de Toulouse lors d'une journée organisée par le Cniel autour des inquiétudes alimentaires, début 2017. C'est tout le sens des Rencontres Made in Viande par exemple, organisées par Interbev qui invite le public et la presse à visiter des élevages, des centres d'allotement, des marchés aux bestiaux, des entreprises de viande ou encore des ateliers de découpe et de transformation pour montrer, en toute transparence, le quotidien des acteurs de la filière et les conditions de vie des animaux. n
Camille Peyrache
Bien-être animal / Éclipsée par le discours des associations anti-viande, la parole des éleveurs reste la plus pertinente pour décrire la relation qu’entretiennent les professionnels avec leurs animaux. Cinq éleveurs témoignent de leurs pratiques en faveur du bien-être animal.
La parole est aux éleveurs
Philippe, Gautier, Anne-Marie, Denis, Benoît, vivent de leur passion, l’élevage, et sont attachés à leurs animaux dont ils s’occupent au quotidien. Face aux attaques répétées des associations anti-viande, illustrées d’images sordides tournées dans des abattoirs ou des élevages et érigées en généralités, ces cinq professionnels témoignent de la réalité de leurs pratiques. Ils expliquent avec des mots simples comment ils s’occupent de leurs animaux. Anne-Marie, éleveuse de lapins dans le Maine-et-Loire, porte une attention particulière au caractère craintif de ses animaux : « Je réalise toujours le même parcours, dans le même sens, pour ne pas les perturber », explique-t-elle. L’éleveuse allume aussi la radio pour que le son, familier, les rassure, et utilise des huiles essentielles, notamment l’eucalyptus, pour assainir l’ambiance humide et réduire au maximum le recours aux antibiotiques. De son côté, Denis, éleveur de vaches laitières et allaitantes près de Nancy, a investi dans des bâtiments récents qui privilégient le confort des animaux : « Nous avons choisi de mettre en place une aire d’exercice extérieure, non couverte, car les vaches aiment aller au soleil, mais une aire couverte nous aurait coûté moins cher », explique-t-il. Gautier, éleveur de porcs dans les Pyrénées-Atlantiques, a lui aussi investi dans les bâtiments pour un meilleur confort de ses porcelets, qu’il nourrit à 100 % grâce aux cultures de l’exploitation. L’alimentation est également importante pour Benoît, installé en polyculture-élevage dans le Finistère, qui nourrit ses poules pondeuses avec des menus différents en fonction des saisons, et avec les mêmes aliments que des poules plein air, d’où des œufs à la composition identique. Pour le confort des poules, la température et la ventilation sont régulées par informatique afin de conserver une homogénéité.
Et le bien-être de l’éleveur ?
Philippe Gobet est éleveur dans l’Ain. Il est aujourd’hui à la tête d’une exploitation de 360 ha, dont 80 % en surface fourragère, avec un troupeau de 150 vaches allaitantes de race aubrac. Avec ses deux salariés, il s’occcupe de 580 bêtes au total avec la suite et l’engraissement. Philippe le dit sans détour : « Oui, le bien-être animal, c’est très important. C’est un des facteurs clés de la rentabilité d’un l’élevage. Des animaux mal élevés, mal logés, mal nourris ne donneront pas le meilleur d’eux-mêmes. Des bêtes en bonne santé, un bâtiment d’élevage bien conçu et confortable, c’est bien pour les animaux mais aussi pour l’éleveur. Le bien-être animal participe aussi au bien-être de l’éleveur. Et le bien-être de l’éleveur, on n’en parle pas beaucoup », s’étonne-t-il. Philippe est par ailleurs président d’Elvea Rhône-Alpes, une organisation de producteurs non-commerciale créée pour organiser collectivement la filière et faire la promotion de la viande. Cette responsabilité l’amène à communiquer régulièrement avec le grand public ou les médias. Si Philippe a appris et connaît parfaitement son métier d’éleveur, il reconnaît que répondre à des journalistes, s’exprimer en public, faire face à la contradiction, ce n’est pas toujours évident. Pourtant, il est convaincu que c’est par la transparence, en ouvrant les portes des élevages et en expliquant le travail et les pratiques de l’éleveur au quotidien que l’on pourra lever des malentendus et rétablir la vérité sur les conditions de la grande majorité des élevages en France. C’est ce qui l’a décidé à ouvrir une page Facebook où il raconte la vie de sa ferme et à suivre une formation à la communication pour faire partie d’un réseau de « professionnels ambassadeurs », une initiative de l’interprofession. « Les professionnels ambassadeurs ont pour vocation de pouvoir intervenir directement sur leur exploitation ou lors de divers évènements, auprès de diverses cibles - médias, grand public, associations de consommateurs… - pour parler de leur métier, de leur vie et de leurs pratiques au quotidien, afin de donner une image à la fois juste et positive du métier d’éleveur », précise Interbev.
Interbev qui, dans le même esprit, organise la troisième édition des Rencontres Made in viande, une opération de communication grand public, du mercredi 17 au dimanche 21 mai. Pour les professionnels qui voudraient encore y participer, allez sur le site www.madeinviande.fr (rubrique « professionnels »).
C. Dézert avec Actuagri