Une hausse généralisée des coûts aggravée par le conflit russo-ukrainien
Fournisseurs importants d’intrants pour les filières animales, la Russie et l’Ukraine font monter les tensions déjà existantes sur les marchés mondiaux faisant flamber les cours de certains produits. Analyse.

La reprise économique post-pandémie avait déjà provoqué durant toute l’année 2021 de vives tensions sur les marchés internationaux des matières premières. Le conflit russo-ukrainien est venu les accroître. Les cours de certains produits ont flambé, la Russie et l’Ukraine détenant une part très importante des approvisionnements mondiaux de gaz, pétrole, engrais azotés et phosphatés, céréales et tournesol. Premiers producteurs mondiaux de tournesol, ils exportent à eux deux plus de 50 % des huiles de tournesol et de tourteaux dans le monde, une matière première utilisée par la filière avicole et par la filière porcine. Les tensions sur les coûts de l’aliment mais aussi sur leur disponibilité inquiètent fortement les professionnels. « La Russie est très présente sur le marché de l’énergie, fournissant plus de 50 % du gaz à l’Union européenne […]. La dépendance envers la Russie pour la fourniture d’engrais est aussi très marquée. Ce pays fournit plus de 10 % du volume des engrais azotés et phosphatés consommés en France. Or, les prix de ces engrais se sont littéralement envolés depuis l’été 2020. Il faut savoir qu’ils sont étroitement liés à ceux du gaz : on estime que celui-ci représente 80 % du coût de production de l’urée », détaille l’Institut de l’élevage (Idele). Considérée comme une zone phare des échanges économiques, la mer Noire voit cependant ses exportations à l’arrêt, alors qu’il restait encore « début février, 6,3 Mt de blé tendre à exporter depuis l’Ukraine ». La réouverture des flux commerciaux par la mer Noire apparaît aujourd’hui comme un enjeu géopolitique majeur. Sur un marché aussi tendu que déséquilibré, les prix seront donc revus à la hausse. Une conséquence immédiate qu’il conviendra de prendre en compte lors des futures récoltes.
Quel avenir pour les filières de ruminants ?
Selon l’Idele, « un arrêt quasi-total des exportations de produits laitiers des grands pays exportateurs vers la Russie est probable, compte tenu des rétorsions économiques et financières décidées par les principaux pays occidentaux. Le conflit va fortement ralentir les échanges de produits laitiers à partir de la mer Noire, notamment avec l’Union européenne ». Pour autant, les exportations de ces deux pays étaient relativement modestes et représentaient respectivement 1,5 et 1,1 % des exportations totales de produits laitiers de l’Union européenne. En revanche, l’activité des trois principaux groupes laitiers français (Danone, Lactalis et Savencia) implantés dans le secteur en guerre s’en trouve affectée, avec notamment la fermeture de la plupart des sites de Lactalis en Ukraine. De son côté, Danone maintient la production « de produits laitiers frais et de nutrition infantile au sein de ses usines russes, afin de répondre aux besoins alimentaires des populations civiles », a affirmé le directeur général Antoine de Saint-Afrique dans un entretien paru dans Les Échos le 9 mars dernier. Enfin, le groupe Savencia, qui possède une fromagerie dans un secteur jusqu’alors non touché en Ukraine, serait encore en mesure de poursuivre son activité de collecte et de fabrication. Par ailleurs, « les flux de viande bovine de l’Union européenne vers la Russie comme vers l’Ukraine sont à l’étiage. Le conflit ne devrait donc pas avoir d’effets directs sur les échanges communautaires », estime l’Idele. Toutefois, les commerces européens de bovins vivants, de génétique ou de coproduits de ruminants (abats frais et congelés, cuirs), davantage développés à l’export, pourraient être plus largement impactés. Les conséquences directes du conflit russo-ukrainien restent difficilement quantifiables, même si celles concernant la flambée du coût des matières premières pèseront lourd sur la production des filières de ruminants.
Amandine Priolet
Volailles de chair : une filière sous haute tension
« L’épidémie d’influenza aviaire et la guerre en Ukraine, deux crises majeures inattendues et concomitantes, vont à la fois entraîner des perturbations temporaires sur la disponibilité de certaines espèces de volailles (canards à rôtir, pintades) pour l’une ainsi qu’une hausse de prix à tous les niveaux de la filière jusqu’au consommateur final, pour l’autre », indique l’Anvol, l’interprofession volailles de chair. Pour rappel, la production était déjà perturbée par l’augmentation du coût des matières premières depuis 2020 (+ 40 % en 18 mois selon l’indice Itavi). Dans ce contexte inédit, l’interprofession demande aux consommateurs de privilégier la consommation de volailles françaises, même si certaines espèces risquent d’être victimes de perturbations temporaires quant à leur disponibilité, en raison de l’influenza aviaire. Des mesures drastiques sont mises en œuvre pour stopper la propagation du virus, dans une zone de production particulièrement forte où se concentrent sélectionneurs, élevages de reproducteurs et couvoirs.
Un indice des coûts de l’aliment de + 66 % en filière œufs

Déjà affectée par la recrudescence de l’influenza aviaire, la filière œufs et ovoproduits se voit aussi impactée par le conflit russo-ukrainien en ce début d’année 2022.
«L’impact sur les matières premières agricoles (tournesol, blé, maïs) est évident. Des problèmes de logistique et d’approvisionnement par la mer Noire sont aussi à déclarer », évoque François Cadudal, directeur du pôle économie à l’Institut technique de l’aviculture (Itavi). Les impacts sur l’énergie sont aussi à prendre en considération. « La Russie est un exportateur significatif d’engrais et de gaz naturel. Il faut donc s’attendre à des impacts à moyen terme, sur la récolte 2023. Cela amènera notamment à réfléchir sur l’application, ou non, des doses habituelles d’intrants ». De son côté, Maxime Chaumet, secrétaire général du Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO) prévoit « au 1er semestre 2022, une hausse de l’indice des coûts de l’aliment qui devrait atteindre un niveau supérieur de 66 % à celui du premier semestre 2021 qui, lui-même, était déjà en hausse de 26 % par rapport au 1er semestre 2020 ». Dans ce contexte, le CNPO a adressé une demande au ministre de l’Agriculture de reconnaissance de la situation exceptionnelle de cette crise et de cas de force majeure afin de permettre la levée d’obligations contractuelles. Des demandes ont également été faites auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour une souplesse sur le retrait des œufs des rayons quatre jours avant la date de durabilité minimale au lieu de sept, et sur la possibilité d’utiliser l’emballage d’œufs issus de poules nourries avec un aliment « conventionnel » dans des boîtes d’œufs mentionnant une alimentation sans OGM durant la période de crise. « Il ne faut pas oublier que le consommateur a le dos large, mais il n’y a pas que les œufs qui subissent l’inflation. Jusqu’à quel point le consommateur sera-t-il prêt, et en capacité, de payer son alimentation ? », s’interroge François Cadudal.
Amandine Priolet
Aviculture : « Pas d’incidence à ce jour sur les contrats d’intégration »
Malgré la hausse du prix des céréales, Jacques Force, président de la section régionale avicole à la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes, affirme ne pas « avoir eu vent » de la révision des contrats d’intégration pour les producteurs de volailles. « Les contrats n’ont, à ma connaissance, pas été revus à la baisse mais on ne sait pas de quoi demain sera fait. Tout le monde appréhende ! » Le conflit russo-ukrainien ne fait, en effet, qu’accentuer l’inquiétude générale des producteurs de volailles. « Il faut dire qu’il y a déjà suffisamment d’éleveurs qui arrêtent à cause des contraintes sanitaires, qui préfèrent mettre la clé sous la porte plutôt que d’engager des travaux de rénovation coûteux. Si en plus nos contrats d’intégration sont revus à la baisse, on ne va pas s’en sortir. Vous rajoutez à cela l’influenza aviaire et la difficulté de se procurer des lots de poussins… La filière marche dans le brouillard et va sans doute encore vivre des mois compliqués », ajoute l’éleveur. En attendant de connaître les rendements des moissons céréalières à l’automne pour savoir quels seront les besoins d’importation de la France, les producteurs de volailles s’adaptent, eux aussi, à l’explosion du coût des matières premières, et notamment des engrais. « Ceux que l’on achetait 280 €/t en 2020, on les paie 1 000 €/t aujourd’hui. En fonction des cultures, on pourra en mettre un peu moins, mais il ne faut pas que cela se reproduise deux ans de suite », s’inquiète Jacques Force. Alors que les agriculteurs ukrainiens qui le peuvent continuent les travaux dans leurs champs la nuit - pendant que les bombes retentissent non loin de leur ferme - l’espoir de voir rouvrir les ports de la mer Noire reste entier. « S’ils arrivent à semer pour ce printemps, on évitera la catastrophe . »