Un pont entre savoir-faire passés et enjeux présents

Robes aux couleurs chatoyantes, coiffes parfois volubiles, étendards, défilés... difficile de louper une confrérie lorsque l'on en croise une. Le folklore, ces organisations revitalisées dans les années 1930 l'assument. Comme un moyen, pas comme une fin ni comme leur unique trait.
« Le seul folklore ne nous intéresse pas ! Notre mission est d'assurer la défense et la promotion de produits emblématiques et de leurs terroirs. Ce rôle, lorsqu'il est pris au sérieux, permet d'éclairer au maximum le grand public, le consommateur du XXIe siècle, en quête de qualité et de traçabilité. Nous constatons que ce mouvement s'inscrit en profondeur », détaille Gisèle Tardieu, grand écritoire au sein de la confrérie de la châtaigne d'Ardèche. Elle relate aussi : « La châtaigne a sauvé nos vies, mais les générations d'Ardéchois issus de ces périodes de famine n'en mangeaient plus. C'était un fruit du passé rattaché à de douloureux souvenirs. Progressivement, grâce aux producteurs, transformateurs et autres passionnés, les consommateurs voient désormais un fruit à redécouvrir ».
Acteurs économiques et ambassadeurs
Vins, ail, olivier, truffe, tilleul.. cette vocation patrimoniale, culinaire ou œnologique est partagée par de nombreuses autres organisations. Pour Bruno de Montal, grand maître de la confrérie de la noix de Grenoble, « notre rôle est d'accompagner une production, avec ses hauts et ses bas, de mettre en valeur les appellations. Aujourd'hui, la noix de Grenoble fonctionne bien : elle est connue jusqu'aux USA et la région exporte 60 % de sa production vers l'Union européenne. Nous effectuons une mission d'animation ».
En France, on estime à près de 1 400 le nombre de confréries, dont la moitié est réellement active ; 380 adhèrent aux Conseil français des confréries à travers 16 groupements régionaux. Depuis 2005, la région Rhône-Alpes compte d'ailleurs une ambassade, qui s'est ouverte l'an dernier aux groupes auvergnats, et désormais dénommée Ambassade des confréries Auvergne Rhône-Alpes.
En 2016, cette dernière, à travers l'une ou l'autre de ses adhérentes, a participé à plus de 60 manifestations. Lors du dernier Salon de l'agriculture, la Truffe noire de la Drôme des collines a proposé à la dégustation plus de 4 000 échantillons sur le stand du Département ; sur celui de la Région, la confrérie du Saint-Péray et celle de la lentille verte du Puy ont servi plus de 100 verres de vin et plats à base de la légumineuse de renom. Lors du Salon des AOC/AOP de Bourg-en-Bresse, la Châtaigne d'Ardèche a sensibilisé et fait déguster ses produits à plus de 350 personnes.
Modernité revendiquée
Si la mission de la confrérie a évolué au fil des siècles [lire ci-dessous], les moyens de leur action aussi. « Nous sommes dans le XXIe siècle, assure encore Gisèle Tardieu. Avec un outil comme l'Ambassade, nous mutualisons, globalisons l'information ; nous recherchons aussi une meilleure maîtrise en interne des produits des uns et des autres pour pouvoir en parler. Auparavant, les confréries n'éprouvaient pas la nécessité de communiquer vers l'extérieur. Aujourd'hui, c'est une condition de survie, nous sommes passés à une société de communication puis de connexion. Nous nous adaptons, nous sommes présents sur internet, nos compétences s'élargissent, le public et les forces vives de nos départements nous identifient. Une confrérie se doit d'être vivante ! »
Tiphaine Ruppert
Commanderie des Costes du Rhône / 45 ans tout juste
C’est au château de Rochegude dans le Sud-Drôme, le 5 février 1973, que quelques compagnons et vignerons décident de la renaissance des confréries viticoles du passé sous le seul et unique vocable de « commanderie des Costes du Rhône ». Contrairement aux multiples confréries souvent représentatives d’un seul village, la commanderie des Costes du Rhône ne dépend d’aucun clocher. Elle représente la totalité de l’appellation, qui s’étend sur six départements et regroupe près de 12 000 vignerons. Sa vocation est de travailler à la cohésion de l’appellation Côtes-du-Rhône à travers la diversité de sa production. Toujours au fait des événements promotionnels émanant de l’appellation ou d’autres organismes viticoles, les membres de la commanderie sont aussi des canaux d’informations vers l’extérieur, grâce à leur propre réseau relationnel. L’une des grandes forces de la commanderie des Costes du Rhône sont ses onze baronnies à travers le monde : Liège et Gand en Belgique ; Montreux en Suisse ; Québec, Drummondville et Montréal au Canada ; Philadelphie et New-York aux Etats-Unis ; Le Palatinat en Allemagne ; Séoul en Corée du Sud ; Shanghai en Chine.Un vaste réseau
Aujourd’hui, sous la houlette de Patrick Galant, grand maître, elle remplit pleinement ce rôle de représentation voulue par ses membres fondateurs dès 1973, réunis alors autour de Max Aubert, premier grand maître. Grâce au dévouement, au dynamisme et à la persévérance de professionnels du vin, sensibilisés à la communication et à la promotion, elle est devenue une structure opérationnelle, stable et autonome tournée vers l’avenir.
L’adoubement des commandeurs se fait au siège de la commanderie, situé au château de Suze-la-Rousse. Les intronisations ont lieu lors de « chapitres » tant en région rhodanienne que dans les baronnies étrangères, lesquelles sont dirigées par un consul représentant le grand maître. Chaque commandeur, à travers son implication socio-économique, dans sa commune ou son secteur, représente une part de cette région « toute en longueur » pour laquelle le Rhône est le principal lien fédérateur. Et grâce à ses 4 000 chevaliers répartis en France et dans le monde, la commanderie des Costes du Rhône a su créer une chaîne d’amitié internationale, qui représente une force pour promouvoir les vins de l’appellation.
Questions à / Grand scribe de l’Académie du Châteaubriant, Bernard Stradi, fondateur et trésorier de l’Ambassade des confréries des pays de la Loire et administrateur du Conseil français des confréries. Il donne régulièrement des conférences sur l’histoire et l’évolution des confréries.
“ Perçues comme un contre-pouvoir ”
Dans l’imagerie qu’elles développent – à travers les tenues, les rites -, les confréries actuelles font très souvent référence au Moyen Âge. Mais de quand date réellement la première confrérie s’intéressant à la gastronomie ?
Bernard Stradi : « La première trace de confrérie remonte à 1199 et elle était viticole : il s’agit de la Jurade de Saint-Émilion. Ce n’était ni plus ni moins que le conseil municipal d’une commune qui ne vivait que par la viticulture et dont il fallait codifier les pratiques. La confrérie fixait la date des vendanges, les quotas et gérait la commercialisation.
En 1248, sous le règne de Louis IX, naît la Corporation des oyers à laquelle est attribué le privilège de ne rôtir que la volaille, les oies en particulier. À cette période, sont créées des dizaines de guildes, dont le prévôt de Paris, Étienne Boileau, en formalisera les usages vers 1260. Les confréries ressemblent alors davantage aux interprofessions d’aujourd’hui ; leur rôle est de faire progresser un métier, une branche, de l’organiser. Il faudra ensuite attendre 1657 pour trouver une confrérie qui s’intéresse à la gastronomie : la Compagnie royale des officiers de bouche, qui perdure actuellement sous le nom de La Marmite d’or. »
Les confréries n’ont pas toujours été en odeur de sainteté...
B.S. : « En 1776, un premier édit rédigé par Turgot, contrôleur général des finances, acte la suppression des corporations (il a par exemple reçu le soutien de Diderot et d’Alembert), mais sous la pression notamment des magistrats, eux aussi regroupés, il n’est pas appliqué. Son auteur tombe en disgrâce. Du reste, en 1791, la loi Le Chapelier, confirmée par le décret d’Allarde, l’année suivante, met fin aux organisations ouvrières, dont les corporations de métiers, perçues comme un contre-pouvoir.
Les confréries renaîtront grâce à la loi 1901 sur les associations. Une fois encore, le vin aura la primeur, en 1934, avec la création de la confrérie du Tastevin, en Bourgogne, pour endiguer la crise. »
Quels sont les points communs entre les premières corporations et le mouvement des confréries relancées à partir du XXe siècle ?
B.S. : « À l’époque, il s’agissait de structurer la production ; aujourd’hui, les quelque 700 confréries françaises en activité cherchent à la défendre, ainsi que les terroirs et savoir-faire qui lui sont rattachés. Notre combat est la mise en valeur d’un patrimoine immatériel. Le passé rattache les confréries à la tradition même si nous continuons d’avancer... Savoir d’où l’on vient et où l’on va, en quelque sorte. »
Propos recueillis par T.R.