Un conflit de voisinage qui vire à l'enfer
Au Grand-Serre, l'accès à un chemin rural entraîne un conflit de voisinage d'une extrême tension. Céline Arnould, agricultrice, explique ne pas pouvoir exploiter comme elle le voudrait.

Céline Arnould est à bout. Éleveuse caprine en transformation fromagère de 2015 à 2021 à Grignan, elle a dû repartir à zéro après la reprise des terres qu'elle exploitait par son propriétaire. Ses recherches de nouveaux terrains l'amène au Grand-Serre où il acquiert 4,6 hectares de prés en septembre 2021. Là, avec chèvres, brebis et lamas, elle se lance dans une activité d'écopâturage qui consiste à louer ses animaux à des entreprises ou à des particuliers pour l'entretien d'espaces verts. Ses premiers clients sont Vinci Autoroute ou encore Véolia. Elle projette de construire un bâtiment d'exploitation ainsi que son logement et obtient ses deux permis de construire en février et août 2023.
Un parcellaire enclavé
Les parcelles situées chemin du Maraîcher au Grand-Serre sont enclavées et desservies par un chemin rural, le CR 117, long d'environ 150 mètres. « C'est précisé sur l'acte de vente et un certificat d'urbanisme m'a été délivré par la mairie du Grand-Serre, indique Céline Arnould. Mais mes voisins, qui ne sont pas agriculteurs, considèrent que ce chemin leur appartient. Or je suis censée pouvoir l'utiliser puisque mon terrain est enclavé. »
Dès que Céline Arnould a obtenu ses permis de construire, « nos voisins ont tout mis en œuvre, à plusieurs reprises, pour obstruer le chemin avec des tas de terre, des chaines, des piquets bétonnés..., raconte-t-elle, dépitée et en colère. Et un autre voisin a fait construire, le 1er juin dernier, un muret. »
Pour tenter de dénouer le conflit, la commune a réalisé, au printemps 2023, un accès au nord de la propriété de Céline Arnould, par le chemin rural CR 80. « Ce chemin, avec une pente de 25 %, a été aménagé avec du tout-venant. Comme il n'est pas stabilisé, aucun engin de chantier ou camion ne peut l'emprunter », explique Céline Arnould, qui doit construire sa maison et son bâtiment d'exploitation.
Référé contre référé
Le conflit s'est envenimé le 3 juin dernier. Ce jour-là, Céline Arnould et son conjoint (qui n'est pas agriculteur) attendent sur le chemin communal une huissière de justice venue constater la présence du muret. « Lorsque l'huissière est partie, j'ai vu arriver un camion chargé de plots en béton. Le couple de voisins est arrivé et le mari m'a agressée alors que je tentais d'empêcher le camion de manœuvrer tout en expliquant que le chemin n'est pas une propriété privée, explique l'agricultrice. L'examen clinique a notamment révélé trois hématomes à la tête et trois côtes fêlées. Quinze jours d'ITT m'ont été prescrites. » Céline Arnould, qui a filmé la scène avec son téléphone, a déposé plainte.
Depuis presque trois ans, toutes les médiations et conciliations ont échoué. Céline Arnould, qui vit à Valherbasse faute d'avoir pu construire son logement sur ses terres au Grand-Serre, contacte alors un avocat. Le 14 juin, celui-ci dépose un référé au tribunal de Grenoble afin d'enjoindre la commune du Grand-Serre, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre toutes mesures de nature à préserver l’accès au public du chemin rural 117 dans le délai de 24 heures. Le tribunal donne raison à Céline Arnould… « Mais un autre référé déposé début juillet par mes voisins a annulé cette décision », indique l'agricultrice. Le tribunal administratif de Grenoble, considérant que seul le juge judiciaire est compétent pour trancher les contestations sur la propriété d’un chemin rural, a notamment estimé qu'aucune urgence n’est établie en l’espèce puisque Mme Arnould peut accéder à sa propriété par le CR n°80.
« Ça fait plus de deux ans que l'on subit, deux ans que mon exploitation ne tourne pas comme il le faudrait. Je suis à bout et mon conjoint aussi, confie Céline Arnould. Le 21 juillet, j'ai écrit au préfet et au procureur de la République pour leur expliquer ma situation. » Le 26 juillet, elle a rencontré la MSA afin d'obtenir un soutien psychologique.
C. L.
Ce que disent les voisins de Céline Arnould
Contacté par le Dauphiné Libéré (article publié le 6 juin), l'une des voisines de Céline Arnould explique « vivre un enfer » et « se sentir en insécurité permanente ». Elle et son mari évoquent des « insultes, menaces, dégradations et du harcèlement et a même porté plainte pour vol et mise en danger de ses chevaux contre l’exploitante agricole et son compagnon. » Pour eux, « le cadastre atteste que ce chemin [leur] appartient et que les voisins ne bénéficient d’aucune servitude pour l’emprunter ».
Conflits de voisinage : une nouvelle loi pour limiter les contentieux
L’Assemblée nationale a adopté le 8 avril dernier la proposition de loi contre les conflits de voisinage. Promulgué le 15 avril et paru au Journal officiel le lendemain, le texte vise à mieux encadrer les conflits entre les nouveaux arrivants dans le monde rural et les agriculteurs, en protégeant ces derniers. Désormais, les recours seront plus compliqués car la loi verrouille le droit d’antériorité. En clair, il sera impossible pour un nouveau voisin de faire condamner un agriculteur dont les vaches meuglent depuis plusieurs années ou dont les odeurs d’un élevage de volailles l’indisposent aussi depuis plusieurs années. Cette règle vaut également quand les « nuisances » résultent d’une mise aux normes postérieure à l’installation. Cependant, elle n’est pas rétroactive.