Thrips sur poireau, entre choix variétal et irrigation
Ces dernières années, la Serail, station d’expérimentation légumière basée à Brindas (Rhône), a réalisé de nombreux essais de réduction des intrants en réponse aux objectifs nationaux du plan Ecophyto II. Le premier d’entre eux : la gestion du thrips sur poireau.

En développant Pic Poireau, programme de protection intégrée des cultures de poireau contre le thrips, la Serail a travaillé main dans la main avec la station légumière du Sileban située en Normandie. Les essais se sont concentrés sur trois ans, de 2018 à 2020, en partenariat avec deux autres structures : la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher et la station Planète Légumes en région Grand-Est. Bruno Pitrel, en charge des expérimentations, est venu présenter les résultats lors d’une journée de restitution de travaux mi-novembre à Brindas (Rhône).
« Le thrips est un insecte très polyphage qui s’attaque à de nombreuses cultures, telles que le poireau, l’oignon, le chou, la salade, la pomme de terre et la betterave, a-t-il expliqué. Sur le poireau, il a la particularité d’être difficilement atteignable car il se réfugie à l’insertion des feuilles qui forment le fut du poireau, ce que l’on appelle le cornet. Le thrips apprécie un climat chaud et sec. Son cycle de développement est rapide (18 à 27 jours) engendrant une multiplication des populations au cours d’une seule et même saison (4 à 5 générations en moyenne) ».
Ce minuscule insecte parasite qui mesure environ 1 mm passe une partie de son cycle de développement dans le sol. Sa période d’activité est longue : de début mai à octobre. Les essais réalisés dans le cadre de différents programmes ont montré une potentielle perte de rendement de l’ordre de 20 % mais le thrips engendre aussi des pertes préjudiciables pour le producteur sur le plan qualitatif.
La variété, un levier important
À ce jour, les substances actives utilisées comme moyens de lutte conventionnels sont l’abamectine (trois applications), le spinosad (deux applications) et la deltaméthrine (trois applications). L’huile essentielle d’orange douce (six applications) est, elle, choisie dans une approche de complémentarité aux produits phytosanitaires. Pour le traitement des parties aériennes du poireau, il existe donc peu de substances actives insecticides homologuées. Dans la lutte contre le thrips, le facteur variétal est un levier important. Ce qui ressort des essais réalisés sur trois ans, c’est que toutes les variétés de poireaux testées (Krypton, Aylton, Defender, Poulton, Pluston Cherokee, Biker, Skater, Vitaton, Nunton et Keeper) ont une sensibilité mais celle-ci n’est pas forcément corrélée à l’importance de l’infestation en termes de nombre de thrips présents sur le poireau. « Dans les essais, il a été démontré que les variétés sont plus ou moins attractives vis-à-vis du thrips. Néanmoins, pour un niveau d’attractivité équivalent, certaines variétés montrent moins de dégâts foliaires que d’autres. Par exemple, sur des créneaux précoces, la variété Biker est ressortie avec un moindre niveau de dégâts sur le feuillage malgré la présence de thrips.
À l’inverse, la variété précoce Krypton a affiché une sensibilité relativement forte en étant à la fois plus attractive pour les thrips et en manifestant des symptômes plus sévères », a précisé l’expérimentateur. « Les variétés précoces dont le feuillage est en phase d’infestation très tôt après la plantation et jusqu’à la récolte sont naturellement plus exposées au risque. Pour ces cycles de production, des moyens de protection doivent être mis en place plus tôt. Globalement, plus on avance dans la saison et avec des récoltes plus tardives, moins le feuillage est exposé au risque », a poursuivi Bruno Pitrel.
Deux méthodes d’irrigation
Si le levier variétal s’avère important, il ne doit pas être le seul à être pris en compte dans la gestion globale du thrips. L’irrigation est aussi un levier essentiel pour renforcer l’efficience de la lutte contre ce parasite. Deux méthodes d’irrigation ont été évaluées et comparées : la première par bassinage avec des apports fréquents et en faibles volumes (1,5 à 2 mm/jour en fin de journée, bassinages débutés dix jours après la plantation fin juin – début juillet et jusqu’à mi-septembre), et la seconde en irrigation classique optimisée (apports plus ou moins fréquents avec des volumes modérés). Les essais ont été menés en Auvergne-Rhône-Alpes par la Serail et en Normandie au Sileban. « Dans les conditions de production du territoire rhônalpin, en combinant le bassinage avec le facteur variété, cela permet d’abaisser les dégâts foliaires de presque 50 % par rapport au seul facteur variétal (variétés Darter et Pluston).
La combinaison des deux facteurs permet de limiter les attaques de thrips mais ne suffit pas à obtenir un rendement élevé en poireaux facilement commercialisables », a conclu Alexandre Burlet, chargé d’expérimentation à la Serail. « Sur un principe d’irrigations répétées en période d’activité du thrips et en combinant des applications d’insecticides, nous avons bien perçu et confirmé que l’irrigation constitue un levier pertinent pour améliorer la protection. Irriguer juste après un traitement insecticide à raison de 2 à 3 mm s’est avéré intéressant dans nos essais pour améliorer le positionnement de l’insecticide par rapport à celui du thrips dans la plante. L’irrigation a bien un potentiel pour agir en rupture des cycles du développement du thrips et pour obtenir une diminution de dégâts », a poursuivi le chargé d’expérimentation du Sileban. Les deux méthodes d’irrigation ont aussi été évaluées sur leur impact par rapport au rendement et au comportement du poireau, notamment en termes de coloration du feuillage et d’impact sur les maladies. Dans certains cas de conduite, le bassinage a montré un effet sur la coloration et sur le rendement qui peut être pénalisant à terme en fonction de la pratique du bassinage. « Cette technique fonctionne mais demande de trouver des ajustements par rapport au contexte de production. Elle peut aussi favoriser la présence d’alternaria (champignon) mais dans le cadre du projet de pilotage adopté, elle a permis de limiter ou d’annuler les impacts négatifs de cette méthode », ont précisé les expérimentateurs.
Alison Pelotier