Redonner aux arbres une place dans les sytèmes agricoles

La France compte aujourd'hui plus de 50 000 agriculteurs également agroforestiers. Ces paysans associent, sans forcément en avoir conscience, les arbres à leurs systèmes de production souvent hérités de l'histoire. « En France, il existait différentes traditions agricoles où les arbres étaient très présents, souligne Fabien Liagre, membre du bureau d'études d'Agroof spécialisé dans l'agroforesterie. À l'Antiquité, le pâturage des noyeraies et des oliveraies était très répandu. Il y a eu ensuite les systèmes de bocage associant haies arbustives, prairies et cultures. Depuis 300 ans, les peupleraies sont régulièrement associées à des productions agricoles notamment des grandes cultures. » Ces formes traditionnelles d'agroforesteries restent présentes dans différentes régions françaises comme dans la Jura avec du pâturage sous cerisier ou pommiers ou en Isère sous les noyers. Si l'on ajoute à cela les 600 000 km de haies en bordure des champs, de très nombreux agriculteurs pratiquent l'agroforesterie, qui se définit simplement comme tous les types de formation arborée qui ont une interaction avec l'agriculture.
Renouveau de l'agroforesterie
Depuis les années 1980-90, des parcelles d'agroforesteries modernes ont été mises en place à plusieurs endroits en France dont certaines à titre expérimental comme sur la plateforme Tab à Etoile-sur-Rhône. On y teste différentes formes d'agroforesterie avec l'association de rangées d'arbres de hautes tiges et de cultures céréalières ou de rangées d'arbres de moyenne hauteur avec du maraîchage. Les expérimentations autour des vergers-maraîchers, quant à eux, cherchent à mélanger la production de fruits et de légumes. « Nous l'avons mesuré : un hectare d'agroforesterie produit autant de bois et de produits agricoles que 0,8 hectare d'agriculture et 0,6 hectare de forêt. Le gain est très fort : c'est une intensification écologique, sans intrants supplémentaires », explique Christian Dupraz, ingénieur de recherche à l'Inra Montpellier et président de la Fédération européenne d'agroforesterie. L'Inra participe d'ailleurs à un programme de recherche européen en agroforesterie (Agforward, 2014-2018), doté de 6 millions d'euros et qui rassemble 23 partenaires de 16 pays. L'intérêt de l'agroforesterie repose sur deux volets : la production de bois (construction, chauffage, etc.) et les économies générées sur les charges agricoles. « Les études nous montrent que les systèmes agroforestiers peuvent générer une meilleure rentabilité que les systèmes traditionnels d'agriculture sans arbre, souligne Fabien Liagre. Ce n'est pas une recette miracle et cela demande d'apprendre à gérer les interactions entre les arbres et la production agricole, mais quand c'est bien maîtrisé, cela donne des résultats intéressants de l'ordre de 50 à 100 euros de charges en moins par hectare en grandes cultures. » En France et en Europe, l'intérêt pour cette pratique est fort. Le nombre de formations a considérablement augmenté pour répondre à la demande des agriculteurs souhaitant se former à cette pratique. Les chambres d'agriculture et le bureau d'études Agroof multiplient les formations. Le projet Smart financé par le Casdar a d'ailleurs recensé un nombre important d'agriculteurs pratiquant l'agroforesterie afin de créer des références techniques et économiques.
Nombreux services rendus
Dans la première partie de vie des arbres (10 à 20 ans en fonction des essences), l'intérêt de l'agroforesterie réside principalement dans l'augmentation de la biodiversité avec la présence de carabes, d'araignées ou de pollinisateurs dans les bandes enherbées des arbres. « Ces espaces sont plus riches en insectes utiles ou neutres qu'en ravageurs », constate Jean-Pierre Sarthou, enseignant chercheur Ensat (UMR Inra Agir, Toulouse). La présence de rangées d'arbres sur une parcelle, et donc de bandes non cultivées, attire les auxiliaires (araignées, syrphes, coccinelles, etc.), ce qui peut aider à limiter l'emploi d'insecticides. Dans certaines expérimentations, on constate ainsi une baisse de la pression des insectes nuisibles. Sur les autres plants (compétition pour la lumière, l'eau, amélioration de la fertilité du sol...), les impacts positifs ou négatifs sont faibles sur cette période. C'est dans la deuxième moitié de vie de l'arbre que l'influence de l'agroforesterie joue pleinement et donne tout son potentiel. Les travaux de l'Inra montrent ainsi que ces systèmes agroforestiers peuvent apporter des réponses par rapport à l'amélioration des systèmes de production agricole avec une baisse de la pression parasitaire par exemple, l'amélioration de la fertilité du sol et de sa capacité à retenir l'eau, la hausse de l'efficacité de la lutte biologique ou encore la protection des cultures et des animaux contre les accidents climatiques. L'agroforesterie n'a pas fini de livrer ses secrets. Le bureau d'études Agroof travaille sur plusieurs projets expérimentaux dont l'un est intitulé Parasol. Il vise à étudier l'impact des arbres adultes sur la production herbagère et sur le comportement des animaux : leur consommation d'eau et de fourrage. « Dans cette expérimentation, on testera notamment l'intérêt des arbres fourragers selon deux modalités, indique Fabien Liagre. L'une où les arbres sont intégrés dans le système de pâturage ce qui permet aux animaux de se nourrir directement sur les arbres et l'autre où les branches sont coupées pour rendre accessibles les feuilles. » On attend les premières indications d'ici quelques années.
Camille Peyrache
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Comment réussir son projet agroforestier ?
En agroforesterie, il est possible d’imaginer de très nombreuses combinaisons végétales et animales. Comme tout nouveau projet, avant de se lancer et de planter des arbres de manière hasardeuse, il est conseillé de prendre le temps de se poser les bonnes questions en définissant son ou ses objectifs, qui répondent à des besoins spécifiques. « Nous conseillons souvent de faire quelques visites sur des fermes ayant mis en place quelques parcelles agroforestières, souligne Fabien Liagre du bureau d’études spécialisé en agroforesterie, Agroof. L’échange entre agriculteurs est riche d’enseignement et permet de prendre conscience des points clés à soigner. » Planter des arbres demande également d’apprendre à les entretenir et les tailler convenablement. Les objectifs des aspirants à l’agroforesterie peuvent être très différents. L’association des cultures annuelles avec du bois (construction ou énergie) permet par exemple de diversifier ses productions et donc ses revenus. En association avec des arbres fruitiers, l’agriculteur peut élargir sa gamme de produits soit avec les cultures d’inter-rangs soit avec les fruits. Pour d’autres, l’objectif est d’améliorer le bien-être, la santé et la qualité de son élevage. En effet, l’agroforesterie se conjugue également très bien avec les animaux. En Normandie, par exemple, les bovins paissent sous les vergers de pommes à cidre sur 140 000 ha. En aviculture, l’intérêt des arbres est multiple. Les premiers résultats de travaux montrent, par exemple, une réduction de l’indice de consommation des palmipèdes à l’ombre grâce à la moindre dépense d’énergie pour réguler leur température. Parmi les autres objectifs souvent cités par les porteurs de projet, l’implantation d’arbres vise à briser le vent ou créer une protection micro-climatique, améliorer la fertilité des sols ou réduire la vitesse d’écoulement des eaux de surface ou encore améliorer la biodiversité.Évaluer son environnement
Une fois les objectifs posés, il faut bien entendu tenir compte de l’environnement de l’exploitation (contexte agricole local, conditions pédo-climatiques) et de ses contraintes. Réussir son projet passe naturellement par une bonne connaissance de ses parcelles : nature du sol, pH, disponibilité en eau, ce qui passe par une étude de sol. Il faut aussi tenir compte de la pente, du vent dominant ou de l’ensoleillement. Il est communément admis que les rendements de la culture sont préservés si la distance entre les lignes d’arbres est supérieure à deux fois la hauteur des arbres, au moins pendant les deux tiers de la vie des arbres avant leur récolte. Sur le plan matériel, le choix de l’écartement des arbres doit prendre en compte la largeur du matériel disponible et utilisé. Le choix des essences d’arbres doit répondre aux objectifs. Pour du bois énergie, on privilégiera les arbres ayant un bon pouvoir calorifique (chêne, frêne, orme, érable champêtre). En revanche, si l’objectif est d’accueillir les auxiliaires, certaines essences rempliront mieux ce rôle que d’autres : tilleul, sycomore, châtaignier, merisier, noisetier, sureau noir, aulne blanc, fruitiers, etc. Autre question à se poser : quel aménagement juridique prévoir. En fermage, il faut prévoir une révision du bail avec le propriétaire pour prendre en compte le changement de l’orientation des parcelles et prévoir les règles d’investissement, d’entretien et de récolte des arbres.
C. P.
