Accès au contenu
CONSOMMATION

« Que le vin soit présent dans les endroits de divertissement »

Lors de l’assemblée générale des Vignerons indépendants de la Drôme le 21 mars, la déléguée générale de l’association Vin & Société, Krystel Lepresle, a présenté une étude sur la déconsommation des vins en France. Interview.

« Que le vin soit présent dans les endroits de divertissement »
©pixabay

Pourquoi est-il important de comparer la consommation de vins selon les générations ?
Krystel Lepresle : « Dans les années 1950, le philosophe Roland Barthes écrivait : “Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses trois cent soixante espèces de fromages et sa culture […] Croire au vin est un acte collectif contraignant ; le Français qui prendrait quelque distance à l’égard du mythe s’exposerait à des problèmes menus mais précis d’intégration, dont le premier serait justement d’avoir à s’expliquer”. Aujourd’hui, nous ne dirions pas les choses de la même manière. C’est pour cela que nous avons opté pour une démarche générationnelle. Il est important de décortiquer comment chaque génération perçoit le vin. Les années 1950 représentent un moment de bascule politique, puisqu’en 1956, l’Etat a décidé de retirer les boissons alcoolisées de la cantine pour les moins de 14 ans. »

Comment analyser la consommation de vins de chaque génération ?
K. L. : « La génération des baby-boomers (née entre 1946 et 1964) et la génération X (née entre 1965 et 1980) représentent 40 % de la population française. Ils constituent une importante masse de consommateurs. Ce que nous devons analyser, c’est comment la génération Y (née entre 1981 et 1996) et la génération Z (née après 1997) consomment. Ces deux générations représenteront 40 % des consommateurs dans les dix prochaines années. Historiquement, le vin symbolise l’identité française et ses régions, la religion, la gastronomie et la santé. Cette construction se retrouve chez la génération née avant 1940 et chez les baby-boomeurs. Une première transition a démarré avec la génération X qui évoque les régions, mais s’y retrouve moins dans les appellations. C’est elle qui a commencé à mentionner une prise de risque en rapport à la santé. La religion n’est plus du tout présente. La vraie bascule, c’est la génération Y, qui représente 23 % de la population. Pour elle, le vin est un produit inaccessible en termes de compréhension et de codes. La plupart des personnes de cette génération ne connaissent pas forcément les appellations et trouvent le vin intimidant. C’est aussi la première génération à considérer le vin comme une boisson à risque pour la santé. Néanmoins, le plaisir gastronomique est bien présent. Contrairement aux autres générations, ce sont par les amis, les cercles de dégustation et les réseaux sociaux que cette génération fait l’apprentissage de cet alcool. Voilà pourquoi le monde du vin a intérêt à investir dans les réseaux sociaux. La génération Z, qui représente les futurs consommateurs, a la même représentation. Pour eux, deux verres par jour, c’est beaucoup trop. »

Quels sont les griefs faits par la génération Y (née entre 1981 et 1996) à l’égard du vin ?
K. L. :  « Cette génération a un désir de simplicité du produit. Elle demande à avoir une consommation plus ludique car il y a une incompréhension vis-à-vis du sérieux des étiquettes de vins. Certaines références, comme la nature des sols, sont perçues comme opaques. Ces consommateurs veulent plutôt savoir avec quels aliments, à quelle échéance et à quelle température il est préférable de consommer le vin. Les jeunes veulent aussi avoir accès à une information rapide et spontanée via des QR codes. Nous ne pouvons pas communiquer de la même façon auprès des 54-60 ans et des 18-34 ans. »

L’augmentation des familles monoparentales a-t-elle une incidence sur la consommation de vin ?
K. L. :  « Auparavant, le vin était majoritairement un produit consommé à table. Or, nous basculons dans le vin plaisir et occasionnel. Dans les 1960, il y avait 3,1 personnes dans les foyers. Nous avons pratiquement perdu une personne. La structure du foyer a une importance sur le volume consommé, puisque quand vous achetez une bouteille, la consommation est différente selon le nombre de personnes à table, surtout lorsqu’il s’agit d’un parent seul avec un enfant. Le contenant est donc à questionner. Dans les années 1960, la France dénombrait 680 000 familles monoparentales ; elles sont maintenant deux millions. Ces familles sont composées majoritairement par une femme avec un ou plusieurs enfants. Or, les femmes consomment trois fois moins d’alcool que les hommes et sont plus vectrices de prescriptions sanitaires. Un autre facteur d’explications de cette baisse de la consommation, c’est l’accélération des rythmes sociaux, comme la simplification des repas, le grignotage et la livraison à domicile. Les Français vont moins réserver un temps dédié à un repas partagé mais vont aller dans un parc animalier tout en mangeant un sandwich. L’enjeu, c’est que le vin soit présent dans les endroits de divertissement, comme les festivals ou les parcs. »

La baisse de la consommation d’alcool touche-t-elle uniquement le vin ?
K. L. :  « En 60 ans, les consommations de boissons alcoolisées ont baissé de 60 %, dont 73 % pour le vin. Au total, 6 % des acheteurs de vins sont des foyers et 86 % d’entre eux sont âgés de plus de 50 ans. Mais ils représentent 40 % des achats en volume. La baisse de la consommation va donc s’accentuer pour certains bassins, puisque c’est principalement le vin rouge qui déconsomme. Les moins de 35 ans s’installent plutôt dans la consommation de bières et cela ne va pas s’inverser par un coup de baguette magique. » 

Propos recueillis par Léa Rochon

Le mot de la présidente, Sylvie Chevrol-Michelas

Le mot de la présidente, Sylvie Chevrol-Michelas
Selon Sylvie Chevrol-Michelas, les prochains défis que devront relever les professionnels de la vigne sont « la gestion de l’eau et la déconsommation des vins en France ». ©Léa Rochon

« Nous pensions voir le bout du tunnel de la période Covid-19. Mais nous avons connu la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie, des problèmes d’approvisionnement en matières sèches, un hiver sans pluie… Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un point d’étape puisqu’un grand nombre de viticulteurs drômois sont en difficulté financière. Bon nombre de caves sont énergivores. La gestion de l’eau fera partie des défis de demain au sein de nos exploitations. Nous sommes les premiers concernés par ces changements climatiques. Il faut être force de propositions pour trouver des solutions. Sans compter que nous devons faire face à un nouveau défi : la déconsommation des vins en France. »

Les vignerons indépendants  de la Drôme en 2022 

86 adhérents dont 2 nouveaux
1 881 ha de surface totale
76 428 hl de volume total dont 54 304 hl en AOP 
11 861 hl en IGP 
7 048 hl en clairette et crémant
3 214 hl en vin de France