« Quand on n’est pas prise au sérieux, il faut s’imposer »
En France, seul un quart des exploitants agricoles sont des femmes. Un chiffre qui tend à augmenter, malgré les vieux réflexes hérités du patriarcat. Illustration dans la Drôme, avec Adeline Marion.

À 23 ans, Adeline Marion est devenue associée au Gaec de la Croix Bleue, ferme caprine basée à Saint-Donat-sur-l’Herbasse. « Au départ, ce n’était pas prévu comme ça », explique-t-elle. Alors qu’elle est en cours d’installation pour reprendre seule un élevage, le décès du cédant, rebat les cartes. Sans le soutien de l’ancien exploitant, la reprise devient plus difficile à envisager. C’est alors que Thierry Deygas lui propose de s’associer. « J’avais fait mon apprentissage avec lui et j’étais salariée à mi-temps sur sa ferme, donc plutôt qu’être seul chacun de notre côté, nous avons décidé de travailler ensemble », raconte Adeline. En 2022, la ferme familiale que Thierry avait reprise quatorze ans plus tôt devient le Gaec de la Croix Bleue et s’agrandit, passant de 60 à 120 hectares. Les 400 chèvres Saanen restent les mêmes, mais Adeline se charge de la gestion du troupeau tandis que Thierry s’occupe davantage des 60 ha de cultures vendues à la coopérative Drômoise de céréales. « Ça fait un peu cliché, s’amuse Adeline. Mais c’est vraiment ce qu’on aime : Thierry, la partie agronomie et moi la partie élevage. »
Savoir s’imposer
Depuis son installation, la jeune femme de nature timide commence tout doucement à prendre sa place. « Thierry est plus âgé et a plus d’ancienneté, j’ai l’impression qu’il est plus légitime quand il s’agit de prendre des décisions, reconnaît-elle. Mais, pour le coup, je ne pense pas que ça soit lié au fait que je suis une femme. » D’ailleurs quand les commerciaux s’adressent uniquement aux hommes - et ce même s’il s’agit d’un salarié - elle n’hésite pas à les rappeler à l’ordre. « Quand on n’est pas prise au sérieux, il faut s’imposer. Si on reste dans son coin, on est mise à l’écart », témoigne-t-elle. Élevée dans un milieu agricole très masculin (avec trois frères, dont deux agriculteurs, et un père maraîcher et éleveur de volailles), Adeline a pu observer une évolution ces dernières années, en faveur des femmes. « La différence de traitement est moins marquée, assure-t-elle. Surtout en filière caprine… C’est différent de l’élevage bovin, ce n’est pas la même mentalité. »
Maman et exploitante
Pour ce qui est des projets futurs du Gaec, Adeline pense à la transformation de viande. Une manière de réaliser un rêve d’enfant pour cette éleveuse qui a découvert sa vocation à l’âge de 7 ans quand son père a commencé à engraisser quelques chevreaux. La transformation du lait, aujourd’hui intégralement vendu à la fromagerie Alpine, à la Tomme Capra et à la fromagerie Pellissier, lui trotte aussi dans la tête. Mais, pour l’heure, c’est un autre projet, cette fois personnel, qui l’occupe, puisqu’Adeline et son compagnon, Antoine Suiffon (céréalier et maraîcher à Saint-Donat), vont accueillir leur premier enfant au printemps. Aujourd’hui, à sept mois de grossesse, elle est encore sur l’exploitation, avec un masque et en évitant le tracteur. Pour son congé maternité, elle compte sur l’aide de proches et sur les deux salariées à mi-temps, récemment formées. En revanche, c’est pour la suite qu’elle s’interroge : quel sera l’équilibre entre la famille et la ferme ? Car elle le sait, c’est souvent sur les mamans que repose la charge du foyer. « Mais ça, c’est dans tous les milieux et pas uniquement en agriculture... »