Protéger les territoires alpins sous le regard de la loi montagne
Promulguée le 9 janvier 1985, la loi montagne régit depuis quarante ans les territoires montagneux et leurs spécificités. Un évènement qui marque et rappelle les grandes orientations dans lesquelles se sont inscrites les montagnes françaises, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui.

Tout commence avec le discours de Vallouise (Hautes-Alpes), prononcé par le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing le 23 août 1977. Alors qu’il se tient sur le terre-plein de la Maison des Écrins, le Président de l’époque plaidait pour une montagne « vivante, active et protégée », rappelant l’importance de ces territoires qui recouvre alors 20 % de l’Hexagone (30 % aujourd’hui) et concernait 6 % de la population. Un discours qui donna naissance à la directive nationale d’aménagement sur la protection et l’aménagement de la montagne, le 22 novembre de la même année. En effet, depuis l’adoption du Plan neige en 1963, qui a fait naître de nombreuses stations de ski, les montagnards se sont vus dépossédés de leurs terres, les scandales immobiliers se sont enchaînés... Le non-respect des territoires de montagne causait également la dégradation des espaces, ainsi que des avalanches.
Quarante ans de loi Montagne
C’est donc le 9 janvier 1985 que naît la loi Montagne, relative au développement et à la protection de la montagne. C’est la première fois en France qu’un espace géographique fait l’objet d’une loi, codifiée dans le Code de l’urbanisme. Ayant pour objectif de limiter les excès du tourisme et ses conséquences sur l’environnement et l’agriculture, elle prévoyait également d’assurer un équilibre économique dans les territoires. Les montagnes françaises s’inscriront par la suite dans les massifs administratifs que nous connaissons aujourd’hui : les Alpes, les massifs jurassien et vosgien, le Massif central, les Pyrénées et la Corse. Une fois créés, des instances spécifiques sont dédiées à leur gestion. Il s’agit du Conseil national de la montagne et les comités de massif. La loi Montagne, depuis sa promulgation, tend à préserver les espaces naturels, les terres agricoles, pastorales et forestières des territoires montagneux, tout en garantissant l’encadrement des aménagements touristiques. Ces missions sont assurées par les comités, présidés par un préfet coordinateur et épaulés par les commissariats de massif, sur un principe de concertation et de collaboration. La loi est fondée sur un principe de collectivité en raison de ses schémas de massif, qui invitent à prendre des décisions politiques d’intérêt général, toujours au service de la montagne et de ses habitants.
Modernisation et adaptation
Si les reliefs français portent d’importantes contraintes, qu’elles soient géographiques ou liées aux risques naturels, ils sont également affectés, entre autres, par les effets du réchauffement climatique et la désertification des services de l’État. C’est ainsi qu’en 2016, conformément à la feuille de route définie lors du Conseil national de la montagne de septembre 2015 et au rapport parlementaire des députés Annie Genevard et Bernadette Laclais, la loi Montagne se modernise. Le 21 décembre 2016, c’est donc la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, aussi appelée loi Montagne II, qui est adoptée par le Parlement. Elle comprend cinq titres et 95 articles. Il s’agit de réaffirmer le caractère particulier des montagnes et de leurs enjeux, de soutenir l’économie et l’emploi, de développer la couverture numérique et l’accès aux services. La loi renforce les mesures de soutien de l’activité agricole et forestière, le développement des activités touristiques. Elle réhabilite l’immobilier et renforce les politiques environnementales, notamment par l’intervention de parcs naturels régionaux et des agences de l’eau. Cette nmodernisation est le fruit d’un nouveau pacte entre le territoire national et la montagne, qui permet son développement propre, durable et solidaire.
Charlotte Bayon
« La montagne gagne à jouer collectif »
Quel bilan peut-on faire de la loi montagne dont on célèbre les quarante ans cette année ?
Paul-Henry Dupuy : « Depuis quarante ans, la loi a très peu évolué, preuve que l’outil répond pleinement aux besoins des territoires et de ses acteurs. La loi place, en effet, ceux qui vivent en montagne au cœur du développement avec une vision ascendante qui est matérialisée par la composition même des comités de massifs. En effet, à titre d’exemple, parmi les 90 membres du Comité de Massif central, la préfète de région est la seule représentante de l’État, les 89 autres membres sont issus des Régions, du monde économique et social, des associations… L’auto-développement est vraiment le principe de la loi montagne. »
En quoi est-il pertinent de disposer de politique de massif spécifique en matière agricole ?
P.-H. D. : « Les politiques de massif permettent sans jeu de mots de prendre de la hauteur sur les problématiques. Dans le Massif central, ce vaste territoire composé de 22 départements, il y a du sens à travailler autour des problématiques de l’élevage, du changement climatique… de manière collective. C’est d’ailleurs pour cela que le Commissariat de Massif accompagne des projets portés par le Sidam1 tels qu’AP3C (adaptation des pratiques culturales au changement climatique), Pâture autour de la valorisation de l’élevage à l’herbe. Par le passé, nous avons contribué à l’éclosion de la démarche Montlait pour valoriser le lait de montagne. L’enjeu est aujourd’hui de répliquer ce type de démarche à d’autres filières afin d’apporter de la valeur ajoutée sur les territoires. »
De quels moyens dispose le Commissariat de Massif central ?
P.-H. D. : « L’État ne travaille pas seul sur les politiques de massif. Il finance 8 millions d’euros, tandis que les Régions Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie financent tout autant toutes les quatre, soit un cumul annuel État-Région de 16 millions d’euros. Les départements et EDF Hydro, un partenaire privé complètent ce budget. Parmi les 8 millions de l’État, 600 000 euros sont financés par le ministère de l’Agriculture et le reste par le fonds de cohésion des territoires. 23 % des crédits octroyés par l’État sont mobilisés sur l’agriculture. »
À l’heure où les arbitrages budgétaires vont bon train, les politiques de massif sont-elles menacées ?
P.-H. D. : « À partir du moment où une politique publique différenciée est inscrite dans la loi et où les acteurs y sont attachés, il n’y a pas de raison de tout remettre en cause. En revanche, ce qui peut être menacé, ce sont les moyens financiers alloués. Comme tout le monde, les commissariats de massif vont être amenés à fournir des efforts dans les années à venir. »
Des travaux sont-ils menés conjointement entre les différents massifs français ?
P.-H. D. : « Nous aimerions travailler davantage en intermassif. Il y a un vrai enjeu à mutualiser les résultats des projets que nous portons. Nous devons impérativement profiter de l’année internationale du pastoralisme en 2026 pour jouer collectif. »
Propos recueillis par Sophie Chatenet
1. Service interdépartemental des chambres d’agriculture du Massif central.