Projet LactoDouce : pour une induction naturelle de la lactation chez des chèvres non gestantes
Une chèvre peut-elle produire du lait sans gestation préalable ? C’est la question sur laquelle s’est penchée le Fibl (Institut de recherche de l’agriculture biologique) à travers un projet (2021-2023) intitulé Lactodouce. Les premiers résultats semblent encourageants.

La filière caprine poursuit son évolution. Les éleveurs le savent, la période de mises-bas des chèvres représente pour eux un investissement important tant en termes de temps de travail que de risques sanitaires. D’autre part, la vente de chevreaux est souvent mal valorisée, et la viande caprine, en général, de moins en moins recherchée.
À l’inverse, le lait et le fromage de chèvre séduisent de plus en plus les consommateurs. Dans ce contexte, une question se pose : comment diminuer la production de chevreaux sans perte de production laitière ? Une première piste permet de répondre à cette question. En effet, la conduite du troupeau de chèvres en lactation longue s’est développée dans les élevages. Toutefois, cette méthode induit des contraintes pour l’éleveur (pas ou peu de fermeture de la salle de traite) et pour l’animal (fatigue, pas de repos de la mamelle et donc gestion difficile des mammites éventuelles).
C’est face à une demande significative des éleveurs caprins, sur la possibilité d’induire des lactations sans gestation préalable, que le FiBL France (institut de recherche de l’agriculture biologique) a lancé le projet Lactodouce (2021-2023), financée par une fondation privée suisse.
L’ambiance et la stimulation, deux facteurs clés
À travers ce projet, le FiBL France a souhaité étudier une méthode naturelle d’induction de la lactation, sans recours à de la stimulation hormonale de la lactation. L’expérimentation s’est déroulée chez six éleveurs drômois qui ont accepté de garder cinq chèvres vides, de race saanen ou alpine. Lors de la mise en place du protocole, plusieurs hypothèses avaient été avancées. « D’une part, l’ambiance de mise-bas du reste du troupeau, ainsi que la présence des chevreaux, peut créer une émulation du troupeau et entraîner, chez les chèvres non gestantes, une modification hormonale susceptible d’induire une mammogénèse », stipule Laurène Fito, collaboratrice scientifique du FiBL France, basé à Eurre (26). « D’autre part, la stimulation manuelle des trayons entraîne la sécrétion de la prolactine - une hormone indispensable pour la production de lait – et favorise donc la lactogénèse », précise Michel Bouy, vétérinaire rural à Barbières (26), rattaché au FiBL pour ce projet. L’une des hypothèses du FiBL est basée sur la possibilité d’un effet de mimétisme hormonal entre les animaux gravides et non gravides.
Ainsi, les éleveurs partenaires du projet ont stimulé les chèvres non gestantes dès l’ouverture de la salle de traite. En parallèle, des prélèvements sanguins ont été effectués sur un lot de cinq chèvres témoins, pour les mettre en comparaison avec les analyses de sang des cinq chèvres non gestantes. « Les paramètres d’apparition d’une lactation chez les chèvres non gestantes ont été étudiés, en surveillant le développement du pis, les changements hormonaux et la lactation qui en résulte », explique Laurène Fito.
Une production de lait plus lente
« Les premiers résultats ont permis d’observer que 60 % des chèvres « vides » ont fait du lait. Il est donc intéressant de voir que la majorité des chèvres sont capables de faire du lait, du moment qu’on les stimule et qu’elles ne sont pas malades », note Michel Bouy.
Pour les éleveurs adhérents au contrôle laitier, il a été possible de comparer la production moyenne de lait du lot « témoins » et du lot de chèvres « vides ». Il apparait que les chèvres non gestantes produisent le même niveau de lait au bout du quatrième ou cinquième mois, avec un démarrage plus lent. « Nous n’avons cependant pas relevé de différences significatives en termes de qualité du lait, avec des taux butyreux (teneur en matières grasses) et des taux protéiques (taux de matières azotées totales) similaires », souligne le vétérinaire. « De plus, grâce aux analyses de sang, nous avons pu observer que les chèvres non gestantes qui démarrent une lactation ont un taux de prolactine plus élevé que les chèvres vides qui ne feront pas de lait, et ce, trois semaines avant la stimulation des trayons. C’est un sujet qui reste à approfondir même si les hypothèses les plus plausibles sont une sensibilité particulière de ces chèvres à des stimuli visuels, auditifs ou olfactifs générés par le reste du troupeau », poursuit-il.
Pour aller plus loin, le FiBL prévoit de donner une suite à ce projet Lactodouce dès le printemps prochain. « Nous souhaitons poursuivre nos travaux auprès d’éleveurs volontaires afin de comprendre entres autres, pourquoi fonctionne l’induction de lait chez certaines chèvres uniquement et évaluer si un système de gestation tous les deux ans (pour limiter les chevreaux) pourrait être économiquement viable pour une exploitation », conclut Laurène Fito.
Amandine Priolet
Anne-Laure Vautrin : « Démarrer la stimulation au bon moment »

À la tête d’un troupeau de 46 chèvres de race alpine sur la commune d’Aleyrac (26) depuis le 1er janvier 2020, Anne-Laure Vautrin transforme le lait de ses bêtes en proposant – en vente directe sur les marchés locaux – ses fromages. « Je me suis installée lors de la première année de la Covid. J’ai alors expérimenté la lactation longue, car il était compliqué pour moi, sans réseau à l’époque, de trouver des débouchés pour mes chevreaux », annonce-t-elle. Aujourd’hui encore, l’éleveuse poursuit cette technique de lactation longue pour ses « anciennes » chèvres ou celles n’étant pas en état de faire une gestation. L’an passé, Anne-Laure Vautrin a répondu positivement à la demande du FiBL pour participer au projet Lactodouce. « Cela ne changeait pas grand-chose pour moi, mis à part qu’il fallait stimuler mes bêtes d’une certaine manière. De plus, c’est toujours agréable de pouvoir bénéficier de la vision – et de l’expérience – d’un vétérinaire compétent comme Michel Bouy », ajoute-t-elle. Ce projet, visant à évaluer la possibilité d’induire des lactations sans gestation préalable, a permis à l’éleveuse d’observer que « la lactation ne démarre pas quand on le souhaite. Il faut débuter la stimulation au bon moment, c’est-à-dire au milieu de la période des mises-bas. En effet, les lactations des chèvres non-gestantes vont surtout se déclencher à ce moment-là. La mise à l’herbe au printemps, et le fait de manger une alimentation plus riche, les stimulent également », prévient l’éleveuse drômoise. Quant à l’aspect quantitatif, Anne-Laure Vautrin avoue toutefois que « la productivité de lait est un peu plus faible avec cette méthode ». « Pour certaines exploitations, c’est un élément à prendre en compte », réagit-elle, avant de conclure « pour ma part, j’ai surtout respiré d’avoir moins de chevreaux cette année ».
A. P.