Point de vue
Noix : « Avoir plus de poids au niveau national »

Jean-Claude Darlet, président de la chambre d’agriculture de l’Isère, producteur de noix et coprésident de la station de recherche Senura, plaide pour la structuration de la profession nucicole.

Noix : « Avoir plus de poids au niveau national »
La filière noix française traverse une crise sans précédent depuis quelques mois et l’appellation Noix de Grenoble n’est pas épargnée. À la suite d’une réunion des producteurs drômois et isérois, des orientations stratégiques ont été débattues. ©NoixdeGrenoble

Dans quel état d’esprit étaient les producteurs de noix lors de la réunion du 13 avril dernier ? 
Jean-Claude Darlet : « J’étais un peu inquiet, je ne savais pas comment ils allaient réagir, mais les échanges ont été constructifs. La réunion s’est déroulée en trois temps. Nous sommes revenus sur l’état des stocks dans les exploitations, sur la problématique du prix et de la rémunération et sur la question de la structuration de la filière noix dans le Sud-Est pour avoir plus de poids au niveau national. L’objectif serait d’adhérer à la FNPF* pour avoir un représentant qui porte la filière noix française - avec le Sud-Ouest - à Paris. Jérôme Jury, producteur de fruits à Saint-Prim (38), qui siège à la FNPF, a témoigné de la structuration de la filière fraise qui permet de faire face aux mastodontes de la grande distribution. »

L’absence de CVO est-elle préjudiciable à la filière ?
J-C. D. : « Lorsque tout va bien, cela ne pose pas de problème. Mais une année comme 2022, dont il faudra deux ou trois ans pour se relever, relance la réflexion. La seule cotisation qui existe est celle de la vignette AOP souscrite auprès de l’interprofession noix de Grenoble. Seuls 50 % des producteurs cotisent. Et en vente directe, il n’y a pas beaucoup de transparence. Mais lors de la réunion, une centaine de producteurs se sont prononcés pour constituer un comité de filière qui percevrait la cotisation volontaire. Il semble qu’ils seraient prêts à adhérer. »

Quelles sont les priorités pour la filière noix ?
 J-C. D. : « En plus de la démarche interprofessionnelle, nous avons besoin de moyens pour lancer une communication en direction du grand public. Le Français consomme très peu de noix comparé à ses voisins européens. Il y a un travail de fond à réaliser. Les gens ne savent pas où acheter des noix françaises. »

Peut-on parler d’un problème de mise en marché ?
 J-C. D. : « Les metteurs en marché se sont reposés sur une antériorité, sur ce qu’ils ont toujours fait mais ne savent plus faire. Or, demain, la concurrence sera encore plus forte avec pour conséquence des pertes de marché. Il faut mettre le doigt là où ça fait mal, savoir se remettre en cause au niveau de l’interprofession. »

« Il y a tout un travail de reconquête à engager », estime Jean-Claude Darlet.

Justement, il est question d’une grande hétérogénéité dans les prix payés…
J-C. D. :  « Lorsqu’on met la pression sur les négociants, on voit qu’ils reversent aux producteurs. La coopérative rémunère un peu mieux. Et ceux qui ont des marchés organisés s’en sortent mieux. Le problème est d’avoir un prix rémunérateur par rapport aux coûts de production. Certains jeunes agriculteurs, qui ont réalisé des investissements conséquents, ne s’en sortent pas à moins de 1,60 euro le kilo. Les banques observent déjà des tensions sur les trésoreries. Nous allons retourner rencontrer les metteurs en marché, faire le point sur ce qui reste dans les fermes pour finir d’enlever les noix et qu’elles soient payées à un prix convenable. Dans un même lot, on a pu constater que le prix pouvait varier entre 1,10 et 1,60 euro le kilo. »

Quel est l’état des stocks ?
J-C. D. : « On estime aujourd’hui entre 10 000 et 12 000 tonnes de noix encore en stock dans les fermes en France et chez les metteurs en marché. Ces derniers n’ont pas vu arriver la surproduction avant la récolte. Il faut dire que jusqu’en 2019, la Senura effectuait une prévision de récolte. Mais elle a été décriée et, surtout, les parcelles repères ont été endommagées par les catastrophes naturelles. On s’aperçoit que c’est hyper important de savoir ce qu’on va récolter, surtout quand il y a 40 % de récolte en plus, et tout le monde est d’accord pour remettre quelque chose en place. »

Cette crise est-elle inédite ?
J-C. D. : « Le livre que l’historien Edouard Lynch a écrit sur la noix en 2021 nous rappelle que la dernière crise date du début des années 1980. Une autre date des  années 1960, lors de la création de la coopérative. Il n’y avait rien eu depuis, mais les années Covid, l’inflation, la perte du pouvoir d’achat, le fait que la noix ne soit pas un produit de première nécessité, que plus de 90 % des cerneaux soient achetés à l’étranger et la surproduction ont conduit à la situation actuelle. Il y a tout un travail de reconquête à engager. »


Quelles sont les pistes pour repositionner la noix française ?
 J-C. D. : « Jusqu’à maintenant, nous faisions du cerneau blanc, entier, de qualité supérieure, vendu 7 à 10 € le kilo. Mais cela n’intéresse qu’une niche. Ne devrait-on pas plutôt s’orienter vers du cerneau pour l’industrie agroalimentaire ? Mais aussi aller plus loin dans la transformation, viser les marchés des sportifs, des enfants, travailler en segmentation de filière, adapter l’offre à la demande. Il convient aussi de poursuivre les efforts dans l’amélioration en continu de la qualité. Certaines noix sont encore payées trop cher pour la qualité proposée. Lorsqu’on augmente les surfaces d’un verger, il faut pouvoir s’en occuper. La récolte se joue sur trois semaines. Avant, après, ce n’est pas bon. Sans parler des problèmes sanitaires causés par les chancres et les parasites. »

Des éléments vous rendent-ils optimiste ?
J-C. D. : « Nous sommes une toute petite production qui a l’avantage d’être reconnue dans le domaine de la santé et du sport. A nous de passer le virage le mieux possible. Mais nous avons besoin de producteurs qui s’engagent dans la filière afin de nous répartir les responsabilités. »


Propos recueillis parIsabelle Doucet

* FNPF : Fédération nationale des producteurs de fruits.