Pour restructurer les sols, il ne les travaille plus
En Nord-Drôme, l’EARL Le pré neuf produit des céréales en agriculture de conservation depuis 2018. Un modèle complexe mais qui présente de nombreux atouts.

Finies les journées passées sur le tracteur à labourer les champs ! Depuis 2018, sur son exploitation céréalière située à Lens-Lestang, Gaëtan Aubert ne prépare plus les sols avant la saison. Sur ses 90 ha, il pratique le semis direct sous couvert (technique pour semer sur les résidus de la culture précédente). Une décision prise avec son père, Marc Aubert, aujourd’hui à la retraite. « On participait au groupe Écophyto et on avait déjà baissé les traitements, mais on ne pouvait plus aller au-delà », explique Gaëtan Aubert. C’est lors d’une visite d’exploitation dans le Loiret, organisée par la coopérative Dauphinoise (aujourd’hui Oxyane), qu’ils découvrent le semis direct.
Intéressés, Marc et Gaëtan se forment pendant une année. Après de premiers essais en 2017, ils se dirigent progressivement vers une pratique d’agriculture de conservation des sols (ACS) sur l’ensemble de l’exploitation. « Notre premier outil de travail, c’est le sol et il ne réagit pas de la même manière s’il est travaillé ou non », assure le céréalier de 42 ans. Plusieurs études montrent l’intérêt de cette technique sur la structure du sol, elle permet notamment de limiter l’érosion en cas de fortes pluies1.
Beaucoup de connaissances nécessaires
L’agriculture de conservation reste toutefois complexe à mettre en place. « Ça ne se fait pas du jour au lendemain », alerte Gaëtan Aubert. Les sols, les processus de minéralisation, les plantes, et même le calendrier des cultures… « C’est complètement différent du conventionnel », ajoute-t-il. Le temps gagné à ne plus labourer est réinvesti dans la formation et l’observation. Il faut, notamment, être vigilant à la mise en place des cultures. Le maïs, par exemple, doit être semé à 12 degrés, mais avec le couvert, le sol met plus de temps pour se réchauffer qu’un sol labouré. Le type de couvert peut aussi faire varier la température : les féveroles, qui produisent peu de résidus, permettent au sol de se réchauffer vite, tandis que l’avoine le garde davantage frais et humide. « Ça demande beaucoup de connaissances. Si on part là-dedans sans se former, c’est risqué », prévient l’exploitant.
Un travail de longue haleine
Un risque, notamment économique, avec des frais engagés la première année, notamment pour financer un semoir adapté au semis direct (les semoirs conventionnels ne permettant pas de travailler à l’automne, lorsque le couvert végétal est fourni). À terme, l’investissement est rentabilisé, à condition de maintenir des rendements suffisants à l’équilibre de l’exploitation. « Au départ, c’était assez compliqué… C’est long. On peut bousiller le sol en trois saisons, mais pour le reconstruire il faut dix à quinze ans ! », témoigne Gaëtan Aubert. Aujourd’hui, cinq ans après son passage à l’agriculture de conservation des sols, le céréalier a retrouvé les mêmes niveaux de rendements qu’en conventionnel (122 q/ ha en moyenne en maïs).
Ce modèle présente aussi des avantages face au changement climatique. « On a besoin de 30 % d’irrigation en moins pour le même rendement2 », souligne Gaëtan Aubert. D’année en année, l’agriculteur devrait aussi pouvoir réduire ses apports d’engrais, grâce à l’association de cultures et à une minéralisation plus faible. Sans compter les économies de carburant. En revanche, travailler en bio semble compliqué. S’il n’utilise pas de fongicide de manière systématique, les herbicides restent nécessaires. Car sans travail du sol, les adventices seront inévitablement à surveiller de très près.
Pauline De Deus
1 L’agriculture de conservation des sols est d’abord apparue dans l’objectif de protéger les sols de l’érosion.
2 D’après une étude comparative de l’association drômoise d’agroforesterie menée en 2022.
Agriculture de conservation des sols : qu’est-ce que c’est ?
Née dans les années 1950 aux États-Unis, l’agriculture de conservation des sols (ACS) a été officiellement reconnue par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2001. Ce paradigme, centré sur la santé des sols, repose sur trois piliers : la réduction du travail du sol, sa couverture permanente et la rotation des cultures associées et diversifiées. L’objectif étant de diminuer l’érosion, d’augmenter le taux de matière organique, d’améliorer l’activité biologique et de ralentir la minéralisation. Cette pratique s’est développée depuis quarante ans, notamment en Amérique. En Europe, elle reste minoritaire.