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Phytosanitaires

Phytos : le gouvernement ira jusqu'au bout

La feuille de route et le projet de loi issus des États généraux de l’alimentation sont très clairs : le gouvernement veut séparer la vente et le conseil de produits phytosanitaires. Outre une clarification évidente des fonctions de chacun, la séparation de la vente et du conseil peut aussi avoir la vertu de faire prendre conscience de la valeur du conseil en agronomie. Mais cela peut aussi se traduire par une charge supplémentaire pour les agriculteurs, à moins que le prix des produits phyto diminue d’autant...
Phytos : le gouvernement ira jusqu'au bout

La séparation entre la vente et le conseil de produits phytosanitaires est inscrite dans la feuille de route du gouvernement. La dernière version du projet de loi prévoit à son article 8 « une séparation capitalistique des structures exerçant ces deux activités ». Le coup est rude pour les coopératives et le négoce. Le plan d’action, dévoilé le 19 janvier par les ministères de l’Agriculture, de la Transition écologique, de la Santé et de l’Enseignement & la recherche, est en phase de concertation.

Garder le conseil ou la vente ?

Une « fausse bonne idée », estime Coop de France. Les coopératives veulent garder leur « capacité à conseiller au plus près l’agriculteur dans sa pratique quotidienne : on l’aide à produire pour un marché », a souligné Christian Pèes devant la mission phytos. Interrogé sur la meilleure façon de séparer vente et conseil, il a répondu qu’au sein des entreprises, « une séparation du corps des conseillers, des vendeurs, cela ne me choque pas », insistant toutefois pour que les coopératives « gardent une vision globale de l’exploitation ». Son délégué général, Pascal Viné complète : « Nous sommes prêts à séparer clairement les équipes pour que le conseil et la vente soit assurée par des salariés différents, à séparer sur les factures la partie vente et conseil, faire en sorte qu’il n’y ait pas de commission liée au chiffre d’affaires, mais pas une séparation capitalistique », explique-t-il. Car cela consisterait à abandonner purement et simplement l’une des activités. Coop de France se positionne prioritairement sur le conseil plutôt que sur la vente de phytos. Mais nombre de coopératives françaises pourraient faire le choix inverse. « Les coopératives sont libres », reconnaît Pascal Viné. Mais pour lui, le développement de la vente en ligne va progresser très vite. Reste à savoir comment ces nouveaux distributeurs vont assurer la logistique, considérable, pour acheminer des produits, fragiles, partout en France. Et l’agriculteur n’aura plus forcément la possibilité de retourner les produits non utilisés (du fait d’absence de maladie) comme c’est le cas aujourd’hui.

Un bouleversement du secteur

« Pour nous, le conseilleur doit être le payeur, et c’est le cas des conseillers de coopératives qui sont en prise directe avec l’économie du fait de l’achat des produits agricoles issus des exploitations agricoles, voire leur transformation », explique-
t-il. Les agriculteurs ont créé des coopératives pour « être performants aux achats », selon Christian Pèes. Or, « si le conseiller est totalement indépendant », avec « des officines dans tous les coins », « chaque groupe de conseillers aura son idée sur la bonne solution » en matière de protection des cultures, a-t-il dit face aux parlementaires. Le son de cloche est à l’unisson en écoutant le négoce. Comme chez les coopératives, des efforts sont envisagés pour mettre fin au « procès d’intention » contre les vendeurs de phytos, suspectés de « conflit d’intérêts », explique Damien Mathon, délégué général de la FC2A. « Nous sommes prêts à davantage de transparence : aller plus loin dans la documentation des actes de conseil et de vente, séparer les deux au sein des factures. » Peine perdue, le gouvernement voit encore plus loin. Les coopératives et le négoce vont donc se trouver face à l’épineux choix de conserver la vente ou le conseil. « C’est un bouleversement complet de l’activité », redoute Damien Mathon, parlant de nombreux « dégâts en termes économique et social dans les entreprises ». Des arguments qui ne font pas le poids aux yeux du ministère de l’Agriculture : « C’est leur problème », lâche-t-on au cabinet de Stéphane Travert. Autre question, celle de la mobilisation de nouveaux conseillers. « Comment arriver du jour au lendemain à 5 000 ou 10 000 conseillers indépendants ? » s’interroge Damien Mathon.

Les vertus du conseil indépendant

Du côté des conseillers privés, la réaction est tout autre. Hervé Tertrais, président du pôle de conseil indépendant en agriculture (PCIA), assure que la France peut et doit aller vers une indépendance totale du conseil, des conseillers, « il n’est jamais trop tard pour bien faire ». Selon lui, les conseillers adhérents du PCIA sont les seuls à être véritablement indépendants (pour l’instant, il y aurait environ 200 conseillers indépendants en France), car « ceux des coopératives et du négoce sont impliqués à la fois dans la vente et le conseil ; quant à ceux des chambres d’agriculture ou des instituts techniques, ils sont dans un contexte - syndicalo-politico-administratif - de sorte qu’ils ne sont pas complètement indépendants », explique-t-il. Le président du PCIA insiste sur un point : « Après le bon conseil, il est important qu’il y ait de bons distributeurs bien organisés, mais à chacun son métier et chacun doit rester à sa place ». Florent Thiebaut, ingénieur conseil du Ceta de Romilly, est lui aussi très favorable au conseil indépendant et à la séparation du conseil et de la vente. Il y voit une vertu : « Celle de pouvoir faire prendre conscience à tous les agriculteurs du coût réel du conseil, car aujourd’hui les agriculteurs n’y sont pas du tout sensibilisés », explique-t-il. Car chez les coopératives et le négoce, le coût du conseil est intégré dans le prix des produits phytosanitaires. Pour lui, « cela va enfin permettre de faire décoller le conseil sous forme d’outils d’aide à la décision (OAD) car, là encore, pour l’instant, ce type de service est souvent inclus dans le prix des produits phytosanitaires.

 

Quel avenir pour les CEPP ?
L’avenir des CEPP (Certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques) se pose également. Dans le plan d’action du gouvernement, il est prévu de les renforcer. Coop de France estime, pour sa part, qu’avec la séparation entre vente et conseil de pesticides, le dispositif serait « abandonné de fait ». Les coopératives jugent la mesure « en contradiction avec le dispositif des CEPP », selon un communiqué le 23 janvier. « Cet outil au service du plan Ecophyto serait ainsi abandonné de fait. »

 

Politique / Le 19 janvier, quatre ministres ont lancé la concertation sur « les propositions de plan d’action sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides ». Elles tiennent en trois priorités : diminuer les phytos les plus préoccupants, renforcer la recherche santé, amplifier la recherche d’alternatives

La proposition du gouvernement en trois points

Nicolas Hulot, Agnès Buzyn, Stéphane Travert et Frédérique Vidal ont lancé « la concertation sur les propositions de plan d’actions sur les produits phytopharmaceutique et une agriculture moins dépendante aux pesticides », le 19 janvier, qui identifie trois priorités : diminuer rapidement l’utilisation des substances les plus préoccupantes ; structurer et renforcer la recherche sur les impacts sur la santé ; accompagner la recherche d’alternatives et leur mise en oeuvre auprès des agriculteurs. Les ministres précisent que « des consultations seront initiées rapidement avec les parties prenantes [...] afin de prendre en compte l’ensemble des préoccupations. »
Diminuer l’utilisation des substancesles plus préoccupantes
Le gouvernement propose de diminuer « rapidement » l’utilisation des substances les plus préoccupantes en reprenant le calendrier proposé par la mission CGAAER-IGAS-CGEDD. Pour tenir cet objectif, il propose « d’améliorer le dispositif d’évaluation des substances actives et des produits phytopharmaceutiques », « d’accélérer la mise en oeuvre du calendrier européen de sortie des molécules les plus préoccupantes », « d’associer les filières dans la transition des systèmes agricoles », de « séparer les activités de distribution et de conseil » ou encore de « revoir la redevance pour pollutions diffuses pour inciter à réduire les consommations et contribuer au financement des transitions ».
Structurer et renforcer la recherche sur la santé
La deuxième priorité proposée par le gouvernement est de renforcer la recherche sur la santé. Ainsi, il propose notamment « d’actualiser l’expertise collective de l’Inserm », « de mettre en place une surveillance nationale des pesticides dans l’air ambiant », « renforcer la recherche au niveau européen sur les effets cocktails » et « de prévenir les expositions aux phytos et d’informer les populations, de former et d’informer les professionnels de santé ».
Amplifier la recherche d’alternatives
La troisième priorité est d’amplifier la recherche et le développement des alternatives aux phytos. Le gouvernement propose d’améliorer la gouvernance et le fonctionnement d’Ecophyto 2 en élargissant sa gouvernance aux ministères de la Santé et de l’Enseignement & Recherche en plus des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique. Par ailleurs, il entend proposer au niveau européen la reconnaissance des produits de biocontrôle, faciliter le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes, mobiliser une partie de la ressource générée par la redevance pollution diffuse afin de renforcer le financement des MAEC avec engagements de réduction des phytos ou encore amplifier le dispositif de certifications HVE2 et bio. En somme, le gouvernement souhaite aller vers un plan Ecophyto 2+ qui intégrerait toutes les actions de la feuille de route. La finalisation du plan est prévue « avant la fin du premier trimestre 2018 ».

 

Interview / Nicolas Perret, référent du comité de filière grandes cultures à la FRSEA Aura, revient sur l’actualité et notamment sur la réaction de l’AGPB, Association générale des producteurs de blé, suite aux mesures prises ou envisagées par le gouvernement.

 “Il faut des alternatives crédibles à l’interdiction des pesticides"

 

Nicolas Perret, référent du comité de filière grandes cultures de la FRSEA Aura. Il est installé depuis quatre ans à Brugheas dans l’Allier en polyculture élevage.
Les céréaliers de l’AGPB se sont exprimés par la voix de leur président, Philippe Pinta. Quelles sont les raisons du mécontentement des céréaliers ?
Nicolas Perret  : « Il y a plusieurs raisons qui justifient notre mécontentement, dont deux mesures qui ont déjà été mises en place. La première, c’est le transfert de 4,2 % des aides du pre- mier au second pilier de la Pac. Cette ponction impacte tous les agriculteurs. Néanmoins, les céréaliers, peu concer- nés par le 2e pilier, ont largement subi cette mesure prise par le gouvernement. Au total, un transfert de 120 millions d’euros sera opéré au niveau national. D’autres charges viendront alourdir les finances des céréaliers notamment la baisse de 7 points des cotisations MSA accordée sous François Hollande, au- jourd’hui effacée par le gouvernement d’Édouard Philippe. Ces deux mesures représentent un manque à gagner de 300 millions d’euros par an pour la filière céréalière. »
L’AGPB estime que la prochaine interdiction du glyphosate et des néonicotinoïdes, remplacés par des matières actives moins efficaces à l’emploi, aura également un coût supplémentaire pour les céréaliers. Quelle est votre position ?
N.P. : « Nous sommes tout à fait d’accord. Les différentes mesures prises portant sur l’emploi des produits phytosanitaires  s’élèvent  à plus de 500 millions d’euros par an pour la filière. Nous sommes contre l’interdiction de ces produits tant qu’on n’aura pas trouvé d’alternatives crédibles pour les remplacer. Autrement, nous devrons faire face à l’achat de produits plus cher, prévoir des passages mécaniques en plus, sans aucune garantie de production, subissant au contraire  très certainement une baisse des rendements. C’est pour cette raison que nous travaillons sur un contrat de solutions pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires à moyen et à court termes. Nous rassemblons tous les acteurs de la filière afin d’établir un plan et trouver des réponses avec des associations spécialisées dans le végétal et des centres de recherche. Je tiens à souligner qu’en 20 ans, le tonnage des produits phytosanitaires a baissé de 40 %, face à une augmentation des coûts de 40 % également ».
 Le gouvernement souhaiterait aussi séparer la vente du conseil de produits phytosanitaires en créant un ordre indépendant donnant des préconisations sur leur utilisation. Cette mesure ne vous satisfait pas non plus…
N. P. : « Non, pour la simple et bonne raison que la création de cet ordre impliquerait une visite dans chaque exploitation et dont le coût estimé avoisinerait les 1 500 euros par an. En parallèle, la moyenne des résultats d’entreprise, sur les cinq dernières années, s’élève à 2 500 euros par an en grandes cultures blé par agriculteur(1). Le transfert des fonds de la Pac durant l’été 2017, la suppression de la déduction des sept points de MSA, les restrictions des phytosanitaires ainsi que la séparation des activités de vente et de conseils et ses répercussions re- présentent une augmentation de 200 euros par hectare en moyenne pour les producteurs de grandes cultures. Ces charges supplémentaires sont clairement insupportables. Ça ne peut plus durer !"
 Depuis la fusion des  régions  Auvergne et Rhône-Alpes, un travail de connaissance et de partage d’informations a dû être réalisé. Aujourd’hui, sur quels sujets travaillez-vous au sein du comité de filière grandes cultures ?
N. P. : « Nous nous réunissons quatre fois par an. Cette nouvelle région est tellement vaste et diverse qu’il nous a fallu du temps pour identifier nos demandes communes. Nous parlons des freins et des réussites de l’irrigation, par exemple. La loi sur l’eau qui est très exigeante ne nous permet pas ou peu de développer l’irrigation comme on le souhaiterait et le stockage de l'eau fait partie de nos priorités. De plus, notre région dépend de deux bassins différents avec des réglementations différentes. Le stockage de l’eau est plus difficile du côté du bassin Loire-Bretagne que du côté du bassin Rhône-Méditerranée. Pendant les sections grandes cultures, nous évoquons bien sûr l’état des campagnes. Pour 2018, elle se présente bien. Malgré une fin d’hiver très humide, un peu de retard dans les semis de prin temps, le travail avec les beaux jours est bien rattrapé. Il ne faudrait néanmoins pas d’incidents  climatiques  comme l’année dernière avec le gel. Pour le moment, on est dans la moyenne d’une année normale. La volonté est aussi celle de travailler sur un plan de filière régional grandes cultures. Nous com- muniquerons nos propositions d’ici la fin de l’année ».
Propos recueillis par Alison Pelotier
 (1) - Étude AGPB d’après la commission des comptes de l’agriculture décembre 2017 et RICA.