Olivier de Serres, un précieux héritage à préserver

Né à Villeneuve-de-Berg en 1529 d'une famille de commerçants d'étoffes, Olivier de Serres est le troisième d'une fratrie de cinq enfants. Son éducation, celle d'un intellectuel de la Renaissance, forgera le savant lettré et humaniste qu'il deviendra par la suite.
Profondément attaché à la terre, le jeune Olivier de Serres achète en juin 1558 un domaine situé à Mirabel, connu sous le nom de « Pradel ». Il en devient « le seigneur » et y installe sa famille1 en 1578, une fois la paix retrouvée entre protestants et catholiques (voir ci-dessous). Mais à la différence de nombreux aristocrates de l'époque, qui laissaient leurs terres aux mains de fermiers pour en récupérer les revenus, Olivier de Serres n'entend pas se tenir à l'écart des travaux des champs. Lui qui considère l'agriculture comme le « premier des arts » veut en étudier les conditions d'exploitation pour pouvoir conduire « la maison rustique » de la meilleure des façons.
Pour cela, il s'abreuve de lectures d'auteurs anciens, observe, expérimente sur le terrain... Un travail scientifique dont il publie la synthèse en 1600, « Théâtre d'agriculture et mesnage des champs », est le premier traité sur l'agriculture en langue française. Une œuvre magistrale teintée de poésie qui suscite aujourd'hui encore un intérêt inépuisable dans le monde agricole et bien au-delà.
Une intuition de la rotation des cultures
Attentif à la qualité de la terre, l'agronome ardéchois affirme que le choix des cultures doit être adapté au terroir, et donc à la variété des sols et des milieux. Il promeut la suppression de la jachère et de la vaine pâture et préconise la culture de plantes fourragères et notamment légumineuses (sainfoin, trèfle, luzerne...) pour nourrir les animaux mais aussi pour apporter l'azote nécessaire à la fertilité des sols. Le bétail, à son tour, apporte le fumier qui nourrit les sols.
Les notions modernes d'assolement et de rotation des cultures sont également en germe dans l'œuvre d'Olivier de Serres.
À son époque, on appliquait le principe de l'assolement triennal, soit l'alternance des cultures tous les trois ans pour permettre au sol de se régénérer. Le savant du Pradel propose d'intercaler dans le cycle des cultures profondes, les prairies artificielles, pour permettre d'exploiter le sol sans discontinuer. Il préconise aussi la diversification, à l'échelle de la ferme et de la parcelle afin d'atténuer les pertes en cas de maladie ou d'aléas climatiques.
Les innovations du Seigneur du Pradel
Olivier de Serres, qui a voyagé en France et à l'étranger, a acclimaté plusieurs cultures au Pradel (maïs, houblon...). Bien qu'il ne l'ait pas expérimenté dans son domaine, il s'est intéressé de près à la culture de la pomme de terre (la « cartoufle ») alors inexistante dans la France de l'époque. Il a aussi promu de nouvelles cultures comme le coton, les agrumes, la garance, le safran, le tabac, le riz, la tulipe ou encore la betterave dont il souligne les qualités sucrières.
Il innove également en matière d'irrigation dont il avait saisi toute l'importance : « Commençant par l'eau, je dirai qu'elle surpasse les autres éléments, en ce qu'elle sert d'aliment en abreuvant toutes sortes d'animaux, au lieu que le feu, ni l'air ni la terre ne donnent immédiatement de nourriture... C'est par l'eau que toutes les habitations sont rendues agréables et saines, et tous les terroirs fertiles »2. Il établit au Pradel un réseau de canaux permettant d'acheminer l'eau depuis un ruisseau vers ses vergers et prairies. Résultat : il en double les rendements !
Il décède le 12 juillet 1619 mais son œuvre invite à la réflexion sur de nombreux thèmes plus que jamais d'actualité : les relations entre les hommes et la nature, les campagnes et les villes, l'alimentation, l'environnement...
M. C.
1. Son épouse Marguerite et leurs quatre enfants Daniel, Gédéon, Bonne et Isabeau.
2. Olivier de Serres, Théâtre d'Agriculture et mesnage des champs, Lieu VII, chap.1.
Sériciculture / Le père de la culture française du mûrier
L’apport d’Olivier de Serres dans le développement de la production de soie est incontestable. À l’époque, les étoffes de soie sont principalement importées d’Italie bien que l’on trouve quelques productions de vers à soie dans la région de Nîmes. C’est d’ailleurs de Nîmes qu’Olivier de Serre ramène des plants de mûrier blanc qu’il acclimate au Pradel pour en étudier la culture. Mais l’apport de l’agronome du Pradel ne s’arrête pas là. Convaincu que la France gagnerait à rationaliser et développer l’activité séricicole, il en a chuchoté l’idée à l’oreille d’Henri IV. Les collaborateurs du roi, à l’affût de toute production pouvant être exportée et engendrer des devises, invitent l’Ardéchois à publier son « Traité de la cueillette de la soye par la nourriture des vers qui la font », distribué à des milliers d’exemplaires dans le royaume. Le souverain encourage, lui aussi, le développement de cette industrie, et demande même à Olivier de Serres de planter 20 000 pieds de mûriers blancs dans le jardin des Tuileries et à Fontainebleau ! L’agronome vivarois compte ainsi parmi les artisans de l’activité séricicole française et de sa rationalisation, contribuant à l’essor de la filature et du moulinage.
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Un acteur et un témoin des guerres de religion
Le jeune Olivier de Serres est contemporain de l’essor du protestantisme en France et en Vivarais. Et bien qu’il se marie en 1559 avec Marguerite à l’église catholique de Villeneuve, l’influence de son frère Jean, devenu pasteur, le rapprochera bientôt des idées de la Réforme... Si bien qu’il deviendra diacre des réformés de Villeneuve-de-Berg. Malgré lui, le jeune homme, sa famille et le Vivarais se retrouvent bientôt au cœur des guerres de religion. Son frère Jean sera d’ailleurs blessé en 1562 durant les affrontements à Annonay. La ville d’Olivier de Serres, acquise au protestantisme, restera plutôt à l’écart des violences, y compris lors des massacres de la Saint-Bathélémy. Un éphémère pacte d’union entre Villeneuvois catholiques et protestants est signé en 1572 mais rapidement rompu par les premiers. Les protestants ne tardent pas à répliquer et Olivier de Serres, « capitaine du Pradel », commande les troupes qui pénètrent dans la ville. Les combats durent trois jours, débouchant sur la mort de plusieurs prêtres catholiques. La paix générale est signée le 6 juillet 1573 mais ne dure que quelques années. Aux périodes de conflit succèdent les périodes de trêve, Olivier de Serres jouant un rôle majeur dans la conclusion de plusieurs traités de paix1. Quant à son frère Jean, il aurait été de ceux qui ont poussé le roi Henri IV à se convertir pour rassembler les Français. Le domaine du Pradel pris d’assautOlivier de Serres restera marqué à vie par la tuerie de Villeneuve-de-Berg et par les guerres de religion. S’il a connu la paix durant la fin de sa vie, les guerres civiles reprendront en 1620 dans la région. Le duc de Ventadour, sous l’ordre de Louis XIII, cherchera à s’emparer de « la maison de monsieur du Pradel » et fera plier le fils d’Olivier, Daniel de Serres, à la force des canons2. Le Domaine sera rasé... Mais reconstruit plus tard par le descendant du Seigneur du Pradel. M. C.1. Traités de La Borie (1576), trêve de Valvignères (1589), traité de Viviers (1594).2. Source : Guillaume de Vogüé, Guerres et paix en Vivarais, Olivier de Serres et ses proches dans les guerres civiles, article publié dans Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n° 142 « Olivier de Serres, De la Renaissance à nos jours », 2019.