“ Les produits phyto, c’est savoir prendre le temps ”
Mi-février, l’association Contrat de solutions a organisé une journée de prévention pour que le public agricole se confronte aux risques phytosanitaires. L’événement, conduit pour la première fois dans la Loire au lycée de Ressins, a été ponctué par des ateliers pratiques.

Dans le foyer du lycée de Ressins dans la Loire, les estrades installées sont pleines à craquer d’élèves venus participer à la journée de prévention des risques liés aux produits phytosanitaires organisée par l’association Contrat de solutions. Une table ronde a ouvert la journée. « Le plan Écophyto a été lancé en 2008, lance en préambule Alexandra Dubassy, adjointe à la cheffe de pôle Ecophyto à la Draaf Auvergne-Rhône-Alpes. Chaque région a ses priorités et déploie le plan national en fonction des spécificités de son agriculture. » Dans la Loire,
territoire d’élevage plutôt que de grandes cultures, les produits phytosanitaires sont peu utilisés : 15 tonnes de glyphosate l’an passé. Dans la région, les plus gros consommateurs sont l’Allier et la vallée du Rhône. Aussi, la prévention et le port des équipements de protection individuels (EPI) sont l’un des axes de travail de cette journée. « Comme nous sommes un territoire où on utilise peu les produits phytosanitaires, on a souvent de mauvais réflexes et donc de mauvaises pratiques, notamment pour les doses », déplore Bertrand Palais, agriculteur en production laitière à Cottance et élu à la chambre d’agriculture de la Loire. « On essaie de
favoriser une démarche où les agriculteurs sont moteurs », poursuit Alexandra Dubassy. L’utilisation des EPI sera
d’ailleurs l’objet d’une étude menée par la Draaf : « L’idée, ce n’est pas d’avoir une perception négative, précise sa représentante. Au contraire, on veut comprendre pourquoi les agriculteurs les portent. » Dans la salle, les élèves bruissent. « Si c’est pour les mettre et les enlever dix fois par jour… », maugrée un garçon de BTS.
« Traiter, ça se programme »
Une idée que révoquent le docteur Aurore Sury pour la MSA et Karine Clémenti, infirmière à la médecine du travail qui co-animent l’atelier « PhytoFluo, le risque invisible ». « Traiter, ça se programme, on ne décide pas le matin en se disant ‘’Tiens, j’ai un peu de temps’’. » Les deux spécialistes santé insistent : « Surtout, il faut mettre les EPI. » Pour appuyer leurs propos, une mise en situation a été proposée. Un élève est désigné pour effectuer les gestes qu’il aurait à faire. Bien évidemment, le produit utilisé n’est pas une substance dangereuse, mais un colorant fluorescent : pour les intervenants, l’idée est de montrer aux élèves et aux professionnels présents, que les produits sont partout : semelles de chaussures, pantalon, pull, visière, flacon... Lors de l’exercice, la buse est obstruée. Le bachelier s’empare d’un spray pour nettoyer. Un geste salué par les intervenants : « Dans le groupe précédent, l’élève a soufflé dedans », s’exaspère le docteur Sury. « C’est notre quotidien, abonde Karine Clémenti. Le problème des produits phyto, c’est le long terme, l’intoxication petite, mais répétée dans le temps. Le produit est invisible, la contamination aussi, et on le retrouve dans la machine à laver, les bâtiments... »
Pour lutter contre de « mauvaises habitudes », souvent prises dans les exploitations familiales, les intervenants de la MSA ont refait le point avec les élèves. « Qu’est-ce qu’on fait quand on traite ? » interroge Karine Clémenti. La réponse fuse et les EPI ne sont pas la priorité des élèves. « On prend le produit adéquat, on remplit le pulvérisateur d’eau, on regarde la dose préconisée », liste l’un d’eux. Enfin se pose la question de l’équipement. Et là, rien n’est laissé au hasard : gants, tabliers, visières, chaussures. « On ne porte pas les mêmes EPI partout ! » répond un garçon. Gagné. Le but, c’est d’éviter la contamination et les professionnels le rappellent, insistant notamment sur les chaussures : « On ne prend pas les bottes d’élevage ! Les bovins peuvent sentir les produits, avoir un comportement bizarre et bien sûr être contaminés. »
Chaque EPI doit pouvoir être identifié rapidement comme tel. Pour les gants, la combinaison et les chaussures, les animateurs conseillent de bien vérifier les chiffres indiqués. « Pour les combinaisons, ça va de 6 à 1, détaille l’intervenant. Il faut au moins 3 pour être étanche. » Idem pour les protections du visage : sur les cartouches des masques, un liseré marron indique qu’elles sont faites pour les produits phytosanitaires. « Ça marche aussi pour les filtres que vous utilisez sur les tracteurs... », a rappelé le professionnel. Le docteur Sury est formelle : « On nous appelle encore trop souvent quand la situation est déjà trop avancée et les problèmes de santé aussi ! » Elle interpelle durement les élèves : « Le réflexe, quand vous vous installez, c’est de réfléchir le plus en amont possible. Le but du travail n’est pas de dégrader sa santé. » « Un cancer, on passe sa vie avec », abonde sur le même ton Karine Clémenti. De quoi inciter à porter les équipements...
Alexandra Pacrot
Optimiser l’utilisation des produits phyto

Le plan Écophyto vise à réduire de moitié l’utilisation de ces produits d’ici à 2030 sans impacter les rendements. L’une des interventions proposées au cours de la journée détaille la réussite de certaines exploitations. « Quelques exemples du groupe Dephy (terminé en 2020, NDLR) montrent une réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires de 33 %. Le but, c’était que cette baisse n’ait pas d’impact sur les rendements », détaille Quentin Marliac, conseiller technique maraîchage et agronomie pour la chambre d’agriculture de la Loire, animant un atelier intitulé « Quels leviers agronomiques faut-il tester pour réduire l’usage des herbicides ? » Réfléchir en amont pour limiter les produits phyto, c’est le cœur de la conférence qu’il propose. En trente minutes, les élèves sont invités à réfléchir sur comment les limiter. Pour cela, le
technicien de la chambre d’agriculture répète comme un mantra : « Il faut connaître ses parcelles, les observer et savoir ce qui y pousse. » Face à des élèves semblant peu enthousiasmés, l’intervenant tente de les réveiller. « Il y a des stades où même l’herbicide ne parvient plus à tuer l’herbe. Donc, il faut intervenir au bon moment. » Sans oublier que le désherbage chimique vient en complément du désherbage mécanique. « On les conduit de façon à optimiser les produits phytosanitaires et donc les économiser », martèle-t-il.
Réduire les phyto
Quentin Marliac aborde également d’autres axes de réflexion : diversifier les variétés pour favoriser celles qui poussent en sortie d’hiver, comme certains blés. « Ils vont grandir très vite et seront donc très concurrentiels des adventices, qui auront du mal à se faire une place », détaille-t-il. Mais aussi d’être prudent sur les labours. « Ce qui est en surface se retrouve enfoui et donc ne germe pas. Mais si on laboure tous les ans, ce qui était au fond remonte... » Pour que l’opération soit optimale, il faut que les graines d’adventices moisissent. Le technicien suggère de ne labourer que tous les trois ou quatre ans.
Dernière solution pour réduire l’usage des produits phytosanitaires pour désherber ses parcelles, le faux semis qui favorise la levée et donc la destruction des adventices. « Certains des maraîchers que j’accompagne font trois ou quatre faux semis avant de faire les leurs », raconte Quentin Marliac. Autant de solutions qui se réfléchissent en amont.
Le pulvérisateur, « source d’angoisse »
Réfléchir en amont, c’est aussi ce que dit Patrick Mirandon, inspecteur commercial pour Amazone France. Devant une rampe de pulvérisation, il explique que pour avoir une utilisation efficace des produits, il est impératif de bien préparer la parcelle et les outils. « Pour régler le pulvérisateur, il faut connaître la largeur à laquelle on travaille, la vitesse d’avancement et le débit en litre par minute. » Patrick Mirandon résume : « Si vous retenez ces trois paramètres, vous pourrez régler n’importe quelle machine. » Un garçon de Terminale CGEA (Conduite et gestion d’une entreprise agricole) s’approche, interrogateur quant à l’utilisation d’une telle rampe dans une pente. « On peut rajouter une correction de dévers qui va la compenser. Le dosage des produits ne change pas », répond l’inspecteur commercial. Pour une utilisation
optimale de l’outil, sa hauteur est importante : à 70 cm de la surface à traiter. Il est possible de le régler avec des tronçons de trois mètres pour éviter le surdosage, notamment en fin de parcelle. « Aujourd’hui, on peut définir le volume d’hectares à traiter. La tendance est plutôt à le diminuer et on augmente donc la concentration du produit. Ce qui induit d’être très précis », avertit l’intervenant. Il attire l’attention des élèves sur les buses, violettes : « La couleur est un élément important. Elles ont une norme ISO où chaque coloris correspond à un débit », fait-il savoir. Le public s’intéresse de près au pulvérisateur. « Beaucoup de gens achètent des machines sophistiquées mais ne savent pas s’en servir. Le pulvérisateur, c’est un outil dont on ne voit les effets qu’après l’avoir utilisé, glisse Patrick Miradon. C’est une source d’angoisse pour beaucoup car les effets sont irréversibles. » Raison pour laquelle les deux intervenants rappellent un principe basique : la prudence est de mise quand on utilise des produits phytosanitaires.
Alexandra Pacrot