Les produits laitiers, les amis pour la vie des Turcs
Reportage dans la région de Bergame.

Avec ses 80 millions d'habitants, la Turquie constitue un marché énorme en matière d'agroalimentaire (19,7 % du PIB du pays), en particulier dans le secteur du lait de vache. Historiquement, la consommation de lait y est élevée : 40 litres de lait et 50 kilos de produits laitiers par an et par habitant. Au pays où l'Ayran, fromage blanc dilué et salé, est la boisson nationale, la production laitière, certes autosuffisante, est toutefois très hétérogène. Tout comme en viande, les ateliers de 5 000 vaches cohabitent avec les fermes d'à peine dix bêtes. La tendance à la restructuration est cependant à l'œuvre puisqu'en deux ans, les troupeaux de moins de 9 vaches ont diminué de 24 %, tandis que les fermes de 50 à 200 vaches ont bondi de 61 %. À Bergama, sur la côte ouest du pays à 300 km au sud d'Istanbul une série de bâtiments s'étirent à l'horizon sur près de 100 hectares. Bienvenue chez Süt Kardesler, comprenez en français, les frères du lait, en référence aux deux holdings ayant investi à 50-50 dans cette société en 2012, pour en faire aujourd'hui la 7e plus grosse exploitation laitière du pays. Ici, les conditions d'hygiène sont drastiques pour minimiser la propagation des maladies aux quelque 2 400 vaches prim'holsteins et brunes (3 à 5 % de l'effectif), réparties dans huit bâtiments disposant d'une aire d'exercice.
En sept ans, le prix du lait a doublé
Une équipe de 80 salariés assurent l'alimentation des animaux, les soins divers et la traite. Au rythme de trois traites journalières, générant un gain de productivité de 15 %, les vaches produisent annuellement 10 000 litres chacune. Ce lait est transformé au sein d'une unité de production d'une capacité de 5 tonnes par jour mais aussi vendu auprès de plusieurs industriels du pays. « Entre 2011 et 2018, le prix du lait a doublé », témoigne Hilmi Terniz, coordinateur de l'élevage. Ces dernières semaines, avec les majorations pour la qualité, le prix du lait départ ferme s'établissait à 36 centimes d'euro/le litre. Avec un litre de lait, Hilmi peut aujourd'hui acheter 1,56 kilo d'aliments. Une ration type est composée de : 20 à 25 kilos de maïs, de 4 kilos d'ensilage de trèfle, de 3 kilos de foin de luzerne, et de 10 à 12 kilos de concentrés (maïs, soja, vitamines, minéraux, huile de palme). Les fourrages sont essentiellement produits sur les 100 hectares attenants au site de production. La Turquie importe 65 % de l'alimentation destinée aux animaux. Le pays a notamment une grosse carence en protéines.
Dans cette zone, où les températures peuvent allégrement dépasser les 35°C durant les deux mois d'été, tout a été conçu pour ne pas pénaliser la productivité. Les toits sont équipés de systèmes d'aération et le site, étant construit en altitude, bénéficie d'un courant d'air naturel. Côté génétique, « un vétérinaire et des techniciens vétérinaires réalisent les inséminations essentiellement avec des doses de prim'holstein venues des États-Unis », raconte Hilmi Terniz, coordinateur de l'élevage. La fertilité varie entre 30 et 40 % sur les vaches, elle est légèrement supérieure sur les génisses. Les veaux restent durant deux mois dans des cases individuelles puis sont regroupés. Les veaux mâles sont vendus, en moyenne 450 euros pour ceux de moins d'un mois. Les vaches qui produisent moins de 20 litres de lait par jour sont envoyées à l'abattoir. Elles sont valorisées en moyenne 5 euros/kilo/carcasse. En moins de six ans, les frères du lait ont bâti un atelier efficace.
Sophie Chatenet
Génétique / Un secteur dynamique en races laitières

Lorsque l’on évoque la génétique en Turquie, difficile d’échapper à l’entreprise Anadolu Hayvancilik. Spécialisée dans la vente de semences et le conseil en élevage, la société a importé ces premières génisses pleines en 1986. Société familiale, Anadolu est pilotée par deux sœurs dont l’enthousiasme à œuvrer au développement de leur business fait plaisir à voir. Chaque année, elles importent entre 350 000 et 500 000 doses de semences prim’holstein, montbéliarde, simmental et charolaise, issues en majorité d’élevages américains, canadiens et un peu européens. Avant la fermeture des importations en raison de la FCO, Anadolu avait importé 1 000 génisses pleines montbéliardes françaises via la Coopex. Une race appréciée pour sa fertilité et son caractère mixte.
Le modèle coopératif peu soutenu
Du côté de Tire, dans l’ouest du pays, au sud de Bergama, l’exploitation en photo est celle d’un des 2 000 adhérents de la coopérative Tire Süt Kooperatifi. Avec près de 200 bêtes, l’éleveur est un des plus gros producteurs de la coopérative dont les membres exploitent en moyenne deux hectares, et produisent en moyenne 8 000 litres de lait par vache. Selon le président de la coopérative Mahmut Eskiyörük, le modèle coopératif est « peu soutenu en Turquie ». Par sa façon de fonctionner, la coopérative Tire Süt oscille entre anciens kolkhozes soviétiques et systèmes intégratifs pousser à l’extrême.S. C.
