Les coléoptères, ces petites bêtes extraordinaires
et de formes différentes, l'exposition « Coléoptères, insectes extraordinaires » invite à la découverte d'un monde animal stupéfiant jusqu'au 28 juin 2020. Visite dans les coulisses.

Quand tu auras mon âge, tu mangeras peut-être des coléoptères ». Face à la grimace expressive de son fils, la mère de famille éclate de rire. En plein cœur de la nouvelle exposition sur les coléoptères du musée des Confluences de Lyon, ils tentent de se frayer un chemin entre les nombreux visiteurs, captivés par ces petites bestioles colorées exposées aux quatre coins d'une salle de 175 m2.
Briser l'image négative
Une énorme photo attire le regard dès les premiers pas. À l'origine de ce cliché impressionnant, l'artiste anglais Levon Bliss, expert en photo stacking (empilement). « Ici, il a recomposé entre 8 000 et 10 000 clichés. Il a divisé le sujet en de multiples sections qu'il a photographié avec des mises au point différentes pour recomposer une image sublimée de l'insecte », explique Jean-François Courant, chef de projet de l'exposition
« Coléoptères, insectes extraordinaires ». À sa droite, des jeux de lumière imaginés par l'artiste Pascal Goet viennent sculpter une série de photos sur plexiglass, représentant des masques et des totems africains à partir de motifs et de formes différentes de coléoptères. L'imagination est capable d'aller bien au-delà. Certains y voient un chat, d'autres des fruits exotiques, d'autres encore une chouette ou une tête de lion. « L'idée, c'était de briser cette idée négative véhiculée autour des insectes dans le monde occidental. Ces bestioles suscitent souvent la crainte, la répulsion, l'anxiété... Nous voulions montrer qu'elles peuvent être belles et attractives », ajoute-t-il. Tout comme ces œuvres d'art tout droit venues du musée du chapeau de Chazelles-sur-Lyon, spécialement confectionnées par la chapelière-modiste Isabelle Grange : des chapeaux recouverts d'élytres de coléoptères. Fascinant.
Des capacités hors du commun
À l'improviste, le bourdonnement d'un goliath surprend dans la pièce obscure. L'ambiance sonore donne l'impression d'être entouré d'insectes. Depuis leur apparition, les premiers fossiles remontant à 250 millions d'années, les coléoptères ont fait preuve d'un extraordinaire pouvoir d'adaptation. « Mini-Hercule », « canon à six pattes », champion de l'infiltration, du déguisement ou survivant de l'extrême, chacun d'entre eux à ses propres particularités, pour le moins exceptionnelles. De la taille d'un grain de sable, environ 0,45 mm de long pour 0,1 mm de large, le Baranowskiella ehnstromi est le plus petit coléoptère d'Europe. « Il pourrait facilement passer par le chas d'une aiguille à coudre », indique Jean-François Courant.
L'Onthophagus taurus est, lui, capable de soulever 1 141 fois son poids, soit l'équivalent d'un humain de 70 kg soulevant 80 tonnes. Quant à Cicindela ebarneola, l'Usain Bolt des coléoptères, elle se déplace tellement vite qu'à l'échelle d'un humain, celui-ci devrait courir à la vitesse maximum d'un Boeing 747 pour pouvoir l'égarer. D'autres spécimens se distinguent pour leurs capacités hors du commun. Le scarabée bombardier peut projeter un jet de vapeur à 100°C vers son agresseur, le magistrat imite à la perfection les couleurs et les motifs de son habitat pour s'y fondre. Les coléoptères, qui sont présents sur tous les continents sauf en Antarctique, peuvent survivre dans les milieux les plus hostiles. Grâce à ses molécules « antigel », le Cucujus clavipes est capable, par exemple, de résister à des températures glaciales, variant entre - 40 et -58 °C. « Ses capacités sont étudiées par les chercheurs pour la conservation des dons d'organes », informe le chargé de l'exposition. L'Onymacris unguiculairs, qui peut survivre dans le désert à une forte sécheresse, est capable de condenser l'humidité de l'air. « Sur la base de son comportement, des réflexions sont en cours afin de créer de pièges à brouillard pour les tentes de réfugiés souvent installées dans des zones dépourvues d'eau », ajoute-t-il.
De la divination ...
Passé le puits lumineux qui rassemble en cercle des dizaines de coléoptères, du plus petits au plus grands, source d'inspiration pour les dessinateurs, un montage à la Beauchêne met en perspective un spécimen de Batocera Iamondi. « C'est un bel outil pédagogique pour expliquer l'anatomie de l'insecte : voici la tête portant les yeux, les antennes et les pièces buccales puis le thorax avec trois paires de pattes et deux paires d'ailes et pour terminer, l'abdomen contenant les organes digestifs et reproducteurs. » D'un esthétisme rare, ce coléoptère sous cloche semble presque vivant. L'harmonie de l'insecte invite à se rapprocher pour l'observer de près. Historiquement, les coléoptères ont été les ingrédients de nombreux remèdes. « Les pharmaciens confectionnaient des recettes et des aphrodisiaques. Aujourd'hui, la cantharide est encore extraite des coléoptères pour traiter les verrues », reprend Jean-François Courant. Dans la région des Balkans, les guérisseurs utilisent les morsures de coléoptères pour suturer les plaies et permettre la cicatrisation. Mais ces petites bestioles ne s'arrêtent pas là. Elles cristallisent les croyances et génèrent des mythes à travers le monde. Dans l'ancienne Égypte, le scarabée, symbole de résurrection, représenté sur les amulettes accompagnait les momies dans leur voyage vers l'au-delà. En Asie, les lucioles, ne vivant que quelques jours, représentent souvent la brièveté de la vie. La pâleur de leur lumière serait la manifestation de l'âme des défunts.
... à l'animal de compagnie
Dans certains pays d'Afrique, certains coléoptères sont associés à la magie noire. « Au Mali, la présence de certaines espèces dans sa maison annonce l'arrivée imminente d'un visiteur. Au contraire, si une cétoine vous heurte, c'est un signe de mauvais sort ». Au Mali, l'insecte est aussi l'allié des guérisseurs qui se servent d'une harpe-luth pour prodiguer les soins, à condition que l'insecte soit introduit dans la caisse de résonance et libéré lors de la cérémonie. Dans le monde occidental, le siècle dernier, les coléoptères étaient l'un des jeux favoris des élèves en classe. « Je me souviens qu'on mettait les hannetons dans une boîte à allumettes et dès que l'enseignant tournait le dos, on les libérait. Leurs bourdonnements faisaient un bruit fou », raconte Claude, touriste de la Haute-Marne en visite dans la région. Il a quand même du mal à comprendre la passion des Nippons pour « ces drôles de bêtes » au point d'en ouvrir des boutiques spécialisées appelées mushi-shop. « On s'amusait bien mais de là à les choisir comme animal de compagnie... Il faut le faire ! »
Alison Pelotier
Le monde agricole en première ligne
« Tuez le doryphore avec l’arsenialumine Madox ». En voici une belle affiche publicitaire d’époque. À la fin de la Première Guerre mondiale, cet insecte originaire du Mexique, introduit accidentellement en France, s’attaque aux cultures des agriculteurs en causant d’énormes dégâts. Dans les années 1940, les écoliers étaient chargés de les capturer dans les campagnes et de les détruire. Ginette s’en souvient bien. « En 1943, j’avais 8 ans. Les instituteurs nous amenaient ramasser les doryphores une fois par semaine. Nous prenions nos petits pots et dès le retour à l’école nous devions montrer les larves mortes souvent collées aux feuilles ». Souvent, les écoliers brandissaient des pancartes où il était inscrit « Mort aux doryphores », une allusion à l’occupant allemand qui réquisitionnait les denrées alimentaires. Parmi les coléoptères, des auxiliaires très connus, comme les coccinelles qui détruisent les colonies de pucerons, sont utilisées comme des agents de lutte biologique. C’est aussi le cas de certains carabes qui s’attaquent aux chenilles ou de quelques histeridés qui protègent les cultures des charançons ou des bruches.« Certains auxiliaires ont aussi été sélectionnés et introduits face à l’incapacité des coléoptères coprophages locaux, qui se nourrissent d’excréments, de recycler
le fumier du bétail, provoquant des problèmes écologiques et sanitaires », ajoute Jean-François Courant. Aujourd’hui, d’autres réflexions interrogent la société comme le simple fait de se nourrir d’insectes. Si dans l’hémisphère Sud, cette alimentation fait partie des habitudes culinaires, l’Europe n’a pas encore vraiment sauté le pas. Que diriez-vous d’une bonne assiette de spaghettis aux larves de ténébrions, criquets ou grillons sautés ? Alexandre, 7 ans n’a pas l’air convaincu. En tout cas pour Gérard, son grand-père, « c’est peut-être l’enjeu du futur ! ». Bon appétit aux plus curieux !
A. P.