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Ethnologie

Le peuple Kalash, aux antipodes des codes de la modernité

Une exposition du musée des Confluences de Lyon propose une totale immersion dans la culture Kalash. Les 3000 derniers Kalash tentent aujourd'hui de résister à une perte d'identité mêlée à la pression des sociétés monothéistes voisines.
Le peuple Kalash, aux antipodes des codes de la modernité

Pour la première fois de l'histoire du Pakistan, un membre de la communauté Kalash a été élu l'été dernier à l'Assemblée de la province Khyber Pakhtunkhwa située au Nord-Ouest du Pakistan, le long de la frontière avec l'Afghanistan. Une victoire pour la médiatisation de la communauté, mais un vrai trompe-l'œil tant la situation des Kalash apparaît aujourd'hui de plus en plus précaire. L'exposition qui leur est consacrée au musée des Confluences à Lyon (lire ci-dessous) propose un récit intime, rendu possible par les donations de trois voyageurs passionnés, conscients que la communauté à laquelle ils ont appartenu pendant près de quinze ans pourrait un jour définitivement disparaître.
Localisés dans les vallées de Birir, Rumbur et Bumburet au Nord-Ouest du Pakistan, les Kalash représentent une communauté d'environ 3 000 individus. Leur modèle de société est basé sur le polythéisme, le matérialisme et la quête de l'abondance. Les Kalash vénèrent principalement les dieux Dezau et Khodaï. Mais aussi des divinités comme Balumain, Mahandeo et Sajigor, chargées d'administrer les affaires terrestres des hommes, qui leur rendent grâce par des fêtes sacrificielles. Messagers des dieux, les chamans sont les personnages les plus importants pour la communauté. C'est par leur intermédiaire que les divinités manifestent leur satisfaction ou leur mécontentement. Immortalisés par l'objectif d'Hervé Nègre, les moments de communication entre le chaman en transe et le royaume du surnaturel se révèlent particulièrement intenses.

Le peuple Kalash présente des caractéristiques éthniques très particulières pour la région.
L'été, saison de la chasse et de l'agriculture
Éleveurs de caprins, cultivateurs de maïs et de blé et producteurs de vin, les Kalash constituent pendant l'été les réserves alimentaires qui leur servent à subsister le reste de l'année. C'est pendant ces quelques mois que les bergers gardent les troupeaux de chèvres, perchés dans des pâturages à 4 000 m d'altitude. Ils y récoltent le lait de leurs bêtes et confectionnent des fromages qu'ils rapportent au reste de la communauté une fois la saison achevée. D'après leurs croyances, l'abondance des laitages dépend du bon vouloir de fées protectrices qui les accompagnent jusque dans les pâturages. Au retour des bergers, c'est tout le village qui se réunit pour leur réserver l'accueil qu'ils méritent.
Le sanctuaire du dieu Sajigor représente avant cela un point de passage obligatoire pour y faire bénir leurs fromages. À cette période succède celle des vendanges célestes, durant lesquelles les Kalash produisent eux-mêmes leur vin, une boisson qu'ils considèrent comme divine.
Une société menacée de disparition
S'ils étaient encore 40 000 en 1950, on ne compte plus que 3 000 Kalash aujourd'hui. Pour Jean-Yves Loude, ce déclin a commencé en 1978 : « On a pu observer les prémices de la guerre en Afghanistan qui a affecté les conditions de vie des Kalash. De nombreux réfugiés sont arrivés dans leurs vallées et les Afghans n'ont pas hésité à exploiter leurs forêts et à inonder leurs champs sans autorisation ». Au fil des années, la pression monothéiste des populations musulmanes voisines s'est aussi accrue, en même temps que les Kalash s'éloignaient peu à peu de leurs mythes fondateurs. Les grands hommes, garants de l'unité de la société, sont aujourd'hui décédés. Quant au dernier chaman, il a disparu en 2002 et n'a jamais été remplacé depuis, menaçant l'équilibre de la communauté. Le 28 novembre dernier, le Suri Jagek, une pratique météorologique et astronomique traditionnelle des Kalash, a été placé sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco nécessitant une sauvegarde urgente. De quoi mettre un coup de projecteur sur une communauté qui, malgré un soutien du gouvernement pakistanais, voit sa survie aujourd'hui compromise. 

Pierre Garcia

Les Kalash vivent sur les contreforts de la chaîne himalayenne de l’élevage de chèvres notamment. D’importantes festivités marquent le retour des bergers à la fin de l’été.

Une collection unique sur la mémoire des Kalash
Photographies à l’échelle 1/1, diaporamas, films en super 8 ou encore enregistrements sonores et vidéos, c’est toute la société Kalash qui est dévoilée au musée des Confluences à travers les donations de Viviane Lièvre, Jean-Yves Loude et Hervé Nègre. Fruit de leurs quinze années de recherches,
celles-ci permettent de rendre vivante pour les visiteurs une culture aujourd’hui menacée. « L’objectif était de montrer cette société non pas comme elle est aujourd’hui mais à une époque d’abondance, comme c’était encore le cas entre 1976 et 1990 », explique l’ethnologue Jean-Yves Loude. En plus des documents audiovisuels, l’exposition est agrémentée de nombreux objets du quotidien comme des vêtements offerts par les Kalash, des reproductions de statues ou encore des ustensiles du quotidien. En parallèle de l’exposition, une BD reportage a également été conçue par les trois protagonistes en collaboration avec le dessinateur Hubert Maury pour retracer leurs aventures aux côtés des Kalash. 

Exposition / Du 23 octobre 2018 au 1er décembre 2019 à Lyon, l’exposition « Fêtes himalayennes, les derniers Kalash » met en lumière ce peuple méconnu vivant dans les montagnes himalayennes.
Le peuple Kalash, ses dieux et ses chamans se dévoilent
Les Kalash forment une communauté indo-aryenne  établie au Nord-Ouest du Pakistan. Une société qui présente la particularité d’être l’une des dernières de l’arc himalayen dont le polythéisme et le chamanisme structurent encore l’intégralité de leur mode de vie. Ce peuple singulier fascine depuis plus de quarante ans les ethnologues Viviane Lièvre et Jean-Yves Loude ainsi que le photographe Hervé Nègre. Après avoir vécu près de quinze ans au sein de la communauté Kalash, les trois voyageurs ont choisi le musée des Confluences de Lyon, leur ville d’origine, pour raconter l’histoire d’une société singulière aujourd’hui en voie de disparition.
« Un véritable regard ethnologique sur cette société »
Le peuple Kalash, Viviane Lièvre, Jean-Yves Loude et Hervé Nègre le découvrent en 1976 grâce à un film de John Huston basé sur le livre « L’homme qui voulut être roi », de Rudyard Kipling. L’écrivain britannique y décrit ces femmes et ces hommes aux yeux bleus et à la peau claire, reprenant à son compte la légende des mariages entre soldats d’Alexandre le Grand et femmes Kalash qui auraient donné à ce peuple ses caractéristiques si particulières. Le livre de Kipling est un vrai déclic pour ces trois passionnés d’ethnologie qui décident, dès 1976, de rejoindre les territoires Kalash pour vivre en totale immersion au sein de la communauté. De 1976 à 1990, ils y retourneront huit fois ensemble, sans compter les deux voyages effectués depuis par Hervé Nègre. C’est en 2016 que germe l’idée de faire découvrir au grand public le peuple Kalash en s’appuyant sur les milliers de documents amassés au cours de leurs voyages. Pour monter cette exposition, ils ont collaboré pendant plus d’un an avec Héléna Ter Ovanessian, chef de projet au musée des Confluences de Lyon : « Notre but à travers cette exposition n’est pas de faire l’apologie des Kalash. Ce que nous avons souhaité proposer aux visiteurs, c’est un véritable regard ethnographique sur cette société », précise-t-elle. 
P. G.