Le numérique au service du désherbage

La ferme expérimentale d'Arvalis-Institut du végétal de Saint-Hilaire-en-Woëvre (Meuse) représente un outil de recherche appliquée au service des agriculteurs. A l'heure de l'agriculture connectée, cette station accueille depuis 2016 une « digiferme » sur laquelle les technologies numériques sont mises en œuvre en conditions réelles : capteurs d'état du végétal, des animaux du milieu, capteurs embarqués sur les machines, robots, outils d'aide à la décision... C'est ainsi que près de 300 participants étaient connectés, le 27 avril, pour assister au premier webinaire proposé par Arvalis, sur le thème « Désherbage : services rendus par les nouvelles technologies dans une gestion complexe des adventices ». Depuis trois ans, l'équipe des ingénieurs régionaux d'Arvalis Lorraine s'est penchée sur les leviers du désherbage, avec des objectifs multiples : un désherbage durable, une moindre dépendance aux herbicides ainsi que des alternatives au glyphosate, tout en prenant en considération la marge économique, le respect de la réglementation et la qualité de l'eau.
Le désherbage électrique, une solution imparfaite
Les agronomes ont d'abord étudié l'impact du désherbage électrique en intercultures, par le biais du système Xpower Zasso. Les essais de destruction des adventices par électrocution ont été réalisés entre octobre 2018 et novembre 2019, dans des conditions très variables : sol sec ou humide, vitesse d'avancement à 2, voire 4 ou 7 km/h, sur différentes espèces telles que le colza, le blé, le pois, etc. « Nous avons également testé cette méthode en conditions réelles de destruction de couverts en incluant d'autres leviers de type roulage ou broyage », indique Pascaline Pierson, ingénieure régionale et responsable de la station expérimentale. Ainsi, il est ressorti qu'un broyage, réalisé 10 jours avant le passage du Xpower Zasso à une vitesse de 2 km/h, apportait une efficacité notable sur des dicotylédones telles que la féverole, la moutarde ou encore la phacélie, contrairement à l'avoine et la vesce, plus difficiles à éliminer. L'essai a été poussé sur du liseron et du rumex, des plantes vivaces. « Nous arrivons à électrocuter la partie aérienne, mais le système est insuffisant pour les rhizomes. Il faudrait ainsi multiplier les passages pour les épuiser », explique l'ingénieure. Ainsi, ce type de matériel ne sera, a priori, pas commercialisé aux agriculteurs mais disponible sous forme de prestation, avec un coût proche des 100 € / ha, main-d'œuvre incluse. « C'est une alternative au glyphosate, imparfaite selon les conditions d'utilisation, d'où la piste de la coupler à d'autres leviers de destruction (broyage, roulage), plutôt que d'envisager plusieurs passages de Xpower », prévient Pascaline Pierson.
La robotique ou l'agriculture de précision, pour quelles promesses ?
L'équipe d'Arvalis a évalué la performance du robot autonome Dino de Naïo, destiné à du désherbage en planche en maraîchage. L'idée étant ici de voir le potentiel d'un tel robot en grandes cultures et de déterminer le nombre optimal de passages nécessaire pour l'obtention d'un désherbage efficace. Ainsi, l'expérimentation a porté sur une parcelle de blé non soumise au désherbage chimique. L'optimum efficacité-rendement a été fixé à cinq passages : au-delà, le rendement de la culture peut être impacté. D'autre part, les essais effectués sur un champ de maïs n'ont pu être conclusifs, en raison d'un sol très sec, d'une croûte de battance et d'une levée difficile et hétérogène. Une parcelle d'orge de printemps, en revanche, peut recevoir jusqu'à 7 passages, sans baisse d'efficacité. Compte tenu de son poids, Dino pourrait biner plus souvent qu'un tracteur. Malgré tout, la robotique Dino est à ce jour uniquement commercialisée pour le maraîchage, du fait de la valeur ajoutée de la culture.
Elle n'est pas optimisée pour désherber de grandes parcelles présentant de la pente ou des obstacles, et reste ainsi au stade du prototype pour les grandes cultures. En revanche, certains robots de désherbage mécanique présentent une architecture (roues, autonomie) qui pourrait leur permettre de se déplacer plus facilement dans ce type de parcelles. Le débit de chantier restera cependant faible car la vitesse est limitée à 5 km/h (au-delà, le règlement route s'applique). La station expérimentale programmait aussi de tester un nouveau robot, Anatis (HKTC) lors de la campagne maïs 2020.
Le semis à espacement régulier a ses limites
D'autre part, les ingénieurs ont étudié la possibilité d'un semis à espacement régulier, afin de faciliter le désherbage mécanique. Pour répondre aux enjeux de demain, l'agriculture de précision gagne peu à peu du terrain. Ainsi, pour améliorer l'efficacité du binage sur le rang - ici une parcelle de maïs semences -, l'équipe d'Arvalis a semé avec des espacements réguliers (écartement de 50 x 25 cm entre les pieds) afin d'envisager un binage dans les deux sens (longueur et largeur). Si cette technique s'est avérée satisfaisante, la synchronisation aux semis n'en est pas moins délicate. Le binage de la sorte est donc possible même s'il ne peut être appliqué à toute la parcelle, les roues du tracteur, trop larges (> 25 cm), écrasant quelques pieds de maïs.
Enfin, Arvalis s'est penché sur les enjeux du désherbage chimique localisé et la détection par drone ou satellite. Ainsi, la détection des adventices par le biais d'une cartographie permet de localiser les mauvaises herbes et de traiter uniquement les cibles. L'essai a été réalisé à partir de chardons (plante vivace poussant en tâches) présents sur la parcelle, localisés manuellement par un GPS piéton et retranscrits sur une carte de préconisation. Un capteur de pression a été installé sur chaque tronçon du pulvérisateur pour pouvoir valider l'ouverture et la fermeture de chacun d'entre eux, au moment adéquat : ainsi, lors de l'expérimentation, 88 % de la surface n'a pas été traitée puisqu'elle correspond à des zones sans chardon. Le traitement se trouve donc plus efficace et les quantités de produits appliqués sont revues à la baisse.
Drone et satellite, les outils de demain ?
Pour automatiser la détection des adventices, deux types de capteurs sont aujourd'hui installés sur des tracteurs ou des drones : l'image RVB (rouge/vert/bleu) et l'image multispectrale. Les comparaisons effectuées entre les différentes photos prises par drone n'ont pas été concluantes.
« Ce travail, mené depuis trois ans, n'a pas abouti à la hauteur de nos espérances. Le drone ne semble pas le meilleur vecteur pour acquérir ce type d'informations à cause du manque de précision absolue nécessaire pour une application localisée avec un pulvérisateur. Il faudrait passer avec un drone RTK mais le coût sera élevé », note Pascaline Pierson. Avant d'ajouter : « pour l'instant, le capteur multispectral utilisé dans notre essai ne permet pas de localiser les adventices proches du rang de la culture ».
De nombreuses start-up françaises travaillent sur le sujet des capteurs embarqués sur tracteur, comme Bilberry (caméra RVB) ou encore Carbon Bee (caméra hyperspectrale + RVB), de même que des sociétés internationales comme Blue River (filiale de John Deere).
Les solutions de désherbage testées et existantes sont donc nombreuses, même si certaines n'en sont qu'au stade de l'expérimentation. L'objectif agronomique est cependant au cœur des innovations et des essais en cours, avec une volonté forte de réduire la quantité de produits utilisés.
Amandine Priolet
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