Le loup reste strictement une espèce protégée
Alors que le plan loup est un échec pour la profession agricole, la demande de reclassement du statut de protection de l’espèce a été rejetée le 29 novembre.

En France et partout en Europe, la présence du loup est indéniable et les attaques sont exponentielles. Et pour la profession agricole, il ne fait aucun doute, le plan national d’action 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage est un échec. La FNSEA, Jeunes agriculteurs, les Fédérations nationales ovine, bovine et des éleveurs de chèvres ainsi que les chambres d’agriculture l’ont fait valoir le 22 novembre lors de la réunion du groupe national loup qui s’est tenue à Lyon. « Il n’a pas su préserver l’équilibre entre la population de prédateurs et les activités pastorales », estiment les représentants des éleveurs. « Les loups se portent bien, l’expansion de leur population et de leur zone de colonisation est hors de contrôle. En revanche, les éleveurs des départements colonisés sont exténués et les systèmes d’élevage à l’herbe en plein air sont à terme condamnés. Les territoires sont progressivement laissés en friche et les dépenses publiques explosent passant de 28 millions d’euros en 2018 à 35 en 2021 », notent les six organisations professionnelles agricoles dans un communiqué commun. Pour le prochain plan d’action, elles demandent la mise en œuvre d’un véritable plan de sauvegarde du pastoralisme et de l’élevage afin d’aboutir à l’arrêt des attaques des prédateurs sur les troupeaux.
« Le futur plan d’action doit ainsi devenir un plan de protection des éleveurs et de leurs troupeaux et de régulation des loups afin de maintenir la biodiversité, la sécurité face aux incendies et aux avalanches et une économie agricole et touristique vivante dans les territoires ruraux », expliquent-elles.
Six sur cinquante
En Suisse aussi, « la situation est hors de contrôle », a indiqué Éric Erb de l’Association romande pour la régulation des grands prédateurs lors de la convention organisée le 29 novembre à Saint-Jean-de-Bournay (lire ci-contre). « Le loup n’est plus une espèce en danger, mais connaît une expansion sans limite. Dans chaque région, sa population progresse de 30 % par an. » Une demande avait été faite au Comité permanent de la convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel pour reclasser le loup du statut de protection stricte (annexe II) à celui de protection simple (annexe III). Réuni le 29 novembre à Strasbourg à la demande de la Suisse, le Comité permanent a rejeté cette demande. Sur la cinquantaine de pays présents, seuls six se sont montrés favorables à son reclassement. C’est en effet sur la base de cette annexe II que sont prises toutes les mesures de protection du canidé aussi bien dans l’Union européenne qu’en France et que les tirs sont strictement réglementés et limités.
Financer des mesures de prévention
Pourtant, le 24 novembre, le Parlement européen s’était prononcé pour une évolution du statut du loup. Dans une résolution, il invite la Commission de Bruxelles « à mener régulièrement des évaluations des données scientifiques permettant d’adapter le statut de protection de l’espèce dès que l’état de conservation souhaité aura été atteint » et à « évaluer régulièrement les progrès accomplis dans la réalisation de l’état de conservation des espèces au niveau des régions biogéographiques et/ou des populations à l’échelle de l’Union ». La résolution souhaite également que davantage de fonds européens soient mis à la disposition des agriculteurs pour financer des mesures de prévention et compenser les dommages liés au bétail.
M.-C. S.-B. avec Actuagri et Isabelle Doucet
EUROPE : Une convention en Isère
En Europe, le nombre de loups aurait dépassé les vingt mille individus. C’est pour partager les expériences de différents pays que, le 29 novembre, le collectif « Le loup dans la bergerie » organisait une convention de l’Union européenne des éleveurs à Saint-Jean-de-Bournay (Isère) pour réclamer le déclassement du loup. Des associations d’éleveurs de toute l’Europe y ont participé. « Un des mensonges les plus répandus consiste à faire croire aux autres que cela se passe mieux ailleurs », a souligné dans son introduction Mélanie Brunet, présidente de l’association Cercle 12 et initiatrice de la journée. Les comptes rendus des pays présents ont prouvé le contraire.
Isabelle Doucet
Convention de Berne
La convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, communément appelée convention de Berne, est une convention internationale qui a pour but d’assurer la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe par une coopération entre les États. Elle a été signée le 19 septembre 1979 à Berne en Suisse, dans le cadre du Conseil de l’Europe, et est entrée en vigueur le 1er juin 1982. Cette convention comporte quatre annexes listant le degré de protection des espèces (faune ou flore) protégées : I : espèces de flore strictement protégées, II : espèces de faune strictement protégées, III : espèces de faune protégées, IV : moyens et méthodes de chasse et autres formes d’exploitation interdites.
Le loup a sans doute un impact sur le gibier

La présence du loup pousserait le gibier à se déplacer, selon les chasseurs.
«Là où le loup est présent, les associations communales de chasse agréées (Acca) nous signalent des déplacements de gibiers. Il leur arrive de faire une battue et de revenir dépités sans avoir vu d’animaux, et quelques semaines plus tard ils lèvent à nouveau du gibier », relate Michaël Marillier, technicien à la fédération des chasseurs pour les secteurs du Haut-Jura et de la petite montagne. Un phénomène de déplacement du gibier qui s’observe aussi avec le lynx. « La présence du loup a sans doute un impact sur la faune sauvage par la prédation. Certains chasseurs craignent de perdre des populations de cerfs. Mais cela reste du ressenti. Nous avons besoin d’éléments techniques précis. » D’où l’importance des comptages de chevreuils et cerfs et des observations sur le terrain. Les proies prédatées par le loup sont très difficiles à trouver et disparaissent très rapidement. La fédération de chasse installe également des pièges photographiques dans le cadre du suivi loup mis en place par l’Office français de la biodiversité (OFB).
En Drôme
La fédération des chasseurs de la Drôme (FDC 26) « s’inquiète de la raréfaction du grand gibier », selon un article de nos confrères de France Bleu, publié le 4 décembre. Il y est question notamment du sanglier, dont les prélèvements auraient été divisés par deux cette année. Le loup tuerait mais aussi ferait fuir les sangliers selon Michel Sanjuan, vice-président de la FDC 26. Rappelons que déjà en 2021, les chasseurs drômois s’inquiétaient de l’impact du loup sur le cheptel de certaines espèces d’ongulés (chamois, chevreuil, cerf…), à la fois en termes d’effectifs mais aussi de déplacements géographiques.
I. R. et S. S.
À télécharger : Vigifaune est un outil participatif en ligne pour collecter des informations et qui peut servir pour les grands prédateurs ou animaux morts.
“ Une attaque laisse des traces ”
Dans les Alpes, et notamment dans la Drôme, cela fait plus de vingt ans que les loups prédatent les troupeaux, rendant infernale la vie des éleveurs. Bien plus au nord, Fabrice Guy, éleveur dans le Doubs à Petite-Chaux, en Gaec avec trois associés, s’est préparé à « l’inévitable ». « Les premières attaques sur le secteur ont eu lieu au mois d’août, à 1 km à vol d’oiseau de nos troupeaux. Puis d’autres ont suivi sur Chapelle-des-Bois. On se dit qu’on passe au travers. On va donner la main aux copains, on voit les bêtes mortes au pré. Mais quelque chose a déjà changé en nous : on est en alerte sur la présence du prédateur, sans jamais savoir à quel moment et à quel endroit il va jeter son dévolu… ». S’ensuit, pour l’éleveur et ses associés, une vigilance accrue.
Ce matin-là…
« Si on se réveillait la nuit, on allait faire un tour vers le troupeau. Le matin, on allait voir les bêtes avec une boule au ventre se demandant ce qu’on allait trouver. » C’est sur un troupeau de quatorze jeunes bovins de 8 à 10 mois que l’attaque a eu lieu pour le Gaec de la Petite-Chaux. « C’était mi-octobre, je ne me souviens plus du jour exact. » Il faut dire qu’une trentaine d’attaques ont eu lieu dans les élevages de la commune de Chapelle-des-Bois ou à proximité entre le début du mois d’août et le 30 octobre. En trois mois, vingt-quatre génisses ont été tuées par les loups et trente blessées. « Ce matin-là, j’ai trouvé le troupeau affolé. Un jeune veau manquait. Et là on se dit que c’est notre tour. Il était en partie mangé. J’ai appelé les numéros qu’il fallait et l’OFB est arrivé dans l’après-midi. Nous avons rentré les quatre animaux blessés et deux ou trois génisses qui ont une valeur génétique importante, laissant le reste du troupeau pour que les louvetiers puissent tirer s’ils revenaient. C’est malheureux de devoir trier les bêtes, mais aujourd’hui on en est là. »
« La nuit suivante, je n’ai pas beaucoup dormi. Les louvetiers sont restés trois nuits. Je suis resté brassé par tout ça pendant une semaine, puis le boulot a repris le dessus. »
Un sentiment de colère
L’éleveur s’exprime calmement, mais avec une détermination et une colère perceptible. « Nous travaillons avec du vivant. Des pertes, nous en avons autrement, mais pas de cette manière-là, ce n’est pas normal. On n’élève pas des bêtes pour qu’elles soient mangées par le loup. On nous met une contrainte de plus, que l’on subit et qui aujourd’hui est incontrôlable. L’État, par le biais de l’OFB, a une responsabilité importante dans la gestion de ce problème… Je ne suis pas contre le loup, mais il faudra le réguler fortement, lui faire comprendre qu’il n’est pas le roi du monde ! » Maintenant, la première chose que François Guy fait lorsqu’il va voir son troupeau, c’est de compter ses bêtes. « Vivre une attaque de loup chez soi laisse des traces. Ce n’est pas anodin, ça change notre vie d’éleveur. »
I. R.