Le dieu Amon insuffle un vent d'Égypte

Fascinante Égypte. En une poignée de semaines, elle a déjà attiré plusieurs dizaines de milliers de visiteurs à l'exposition qui lui est consacrée au musée de Grenoble. Servir les dieux d'Égypte, ce ne sont pas des pyramides, ni des momies, ni des parures d'or et de jade, c'est plutôt une immersion dans la vie du temple de Karnak, à Thèbes (l'actuelle Louxor), durant la Troisième Période intermédiaire (1069-664 av. JC). Qui sont ces prêtres, ces adoratrices et ces chanteuses ? Quels rôles ont-ils joué dans ce haut lieu de culte du dieu Amon ?
« C'est une période peu connue du grand public, explique Valérie Huss, conservatrice du musée de Grenoble chargée des arts anciens. On apprend tous les jours des choses nouvelles à l'occasion des fouilles. » Si l'Égypte ancienne n'a pas fini de livrer ses secrets, l'exposition grenobloise permet de percevoir le fonctionnement de cette société, à la fois puissance religieuse, politique et économique.
Nécropole de Karnak
La scénographie, sobre et feutrée comme pour plonger le visiteur dans l'intimité d'un temple, dévoile sur un parcours de 1 500 m2 les 270 œuvres réunies pour l'occasion et réparties en quatre thèmes. Les bas-reliefs de la première partie - pour bon nombre issus de la collection grenobloise - resituent Thèbes dans le contexte géographique et historique de l'époque. On fait aussitôt la connaissance de la maîtresse de maison et chanteuse d'Amon Hénnouttaneb, ou du moins de sa couverture, élément de son mobilier funéraire. Et la magie opère. Scarabées et déesses ailés, perles multicolores, enchevêtrement d'emblèmes racontent le raffinement d'une société à peine dévoilée. Pourtant, des sépultures aussi bavardes laissent le visiteur s'interroger sur ce que les morts ont à dire aux vivants. C'est une société esthète, sans nul doute. En témoignent les coffres, cartonnages, couvercles présentés dans la deuxième partie de l'exposition, la plupart issus de tombes du clergé, masculin et féminin, découvertes dans la nécropole de Karnak. Il y a notamment le cartonnage de Djedmoutiouefânk qui retrouve pour cet événement ses deux parties d'origine et un socle d'exposition. Fabriqué en lin et en plâtre, ces cartonnages enveloppaient la momie et la rendaient inviolable. A leur découverte, deux millénaires plus tard, les archéologues les ont sciés pour en extraire le défunt. « Pour le musée de Grenoble, c'est l'occasion de montrer à nouveau ses collections aux spécialistes, indique Valérie Huss. La préparation, qui a duré une année, nous a permis de revoir certaines choses, d'avoir de nouvelles traductions et de restaurer de nouvelles pièces comme ce cartonnage. » L'opportunité d'effectuer un travail de fond sur la collection, en termes de conservation, de restauration et d'études spécifiques. L'exposition grenobloise permet de découvrir des pièces jamais présentées ni à Grenoble, ni au Louvre ou bien d'autres sorties du circuit permanent.
Épouses, déesses et reines
La troisième partie s'attache au fonctionnement de la société religieuse, où l'on découvre que les charges étaient transmissibles au sein des familles, qu'il existait une hiérarchie entre les prêtres et que seuls certains clercs étaient autorisés à pénétrer dans le saint des saints. La représentation du dieu Amon, dans la statuaire, l'art lapidaire ou graphique, est facilement reconnaissable aux deux plumes dont il est coiffé. C'est aussi la salle des stèles et des papyrus qui disent que les prérogatives du clergé allaient bien au-delà de l'ordre religieux. C'est au cœur du parcours que l'on découvre le magnifique cercueil de Néhemsymontou, prêtre thébain, chef de bordée de la barque d'Amon et figure de proue de l'exposition. L'ensemble est parfaitement conservé, notamment le cartonnage lui aussi issu des collections de Grenoble.
La dernière partie est dédiée aux personnages féminins du temple d'Amon. Épouses, déesses et reines, elles sont représentées dans leurs fonctions, telle l'imposante statue de la déesse-lionne Sekhmet (deux mètres de haut et deux tonnes) ou les statuettes d'Isis-Hathor et de Mout, la compagne d'Amon, reconnaissable à son pschent, les couronnes emboîtées. Il y a de la grâce et de l'émotion dans ces représentations féminines et dans l'extrême finesse des objets de culture.
Isabelle Doucet
Musée de Grenoble, jusqu'au 27 janvier. Ouvert tous les jours sauf le mardi. Gratuit le 1er dimanche du mois.
Grenoble, capitale de l’Égypte ancienne
La présentation de cette exposition sur l’Égypte ancienne au musée de Grenoble ne doit rien au hasard. En effet, depuis sa création, en 1798, le musée bibliothèque a toujours été dépositaire d’objets rapportés par des voyageurs de la lointaine Égypte. Il a été nourri par deux sources principales : une partie de la collection de Saint-Antoine-l’Abbaye et le legs de Gabriel Saint Ferriol en 1916. Ces riches collections ont toujours été exposées lorsque le musée était situé place de Verdun à Grenoble.
En 1979, un congrès d’égyptologie se tient à Grenoble donnant l’occasion de dépoussiérer la présentation de la collection et de lancer une campagne de restauration.
En 1994, les collections déménagent dans l’actuel musée, place Lavalette, où elles prennent place dans le département antiquités.
L’exposition temporaire Servir les dieux d’Égypte est la plus importante en nombre de pièces et en volumes de l’histoire du musée. Au-delà de la collaboration avec le musée du Louvre, il a été fait appel à de nombreux musées européens pour proposer un ensemble abouti. Cet événement annonce un nouveau projet autour du centenaire du déchiffrement des hyéroglyphes par Champollion, en 2022.
Dans les réserves du comte Louis de Saint Ferriol
La collection égyptienne grenobloise, qui est une des plus importantes de France, doit beaucoup au legs de 1916 d’une partie des œuvres du comte de Saint Ferriol (1814-1877). Entrepreneur et propriétaire de plusieurs châteaux en Dauphiné, dont celui d’Uriage, cet érudit « part en Égypte, alors qu’il n’a pas 30 ans, sur les traces de Champollion », raconte Valérie Huss, conservatrice du musée de Grenoble.
De cette expédition de huit mois, entre 1841 et 1842, qui le conduit d’Égypte en Nubie, il ramène « quatorze caisses dont dix de pierres, deux de momies (...) ». La méthode relève plus du pillage que de la fouille scientifique, au prétexte que d’autres se sont déjà servis et se serviront encore sur ces sites archéologiques égyptiens. Les bas-reliefs sont attaqués à la scie et à la dynamite, les coffres de momies « dépecés », selon l’expression de l’égyptophile. Ces trésors antiques sont ramenés à Uriage où le comte possède son propre musée qui relève davantage du cabinet de curiosités, très en vogue au XIXe siècle. Là, le comte, qui est aussi à l’origine du renouveau des thermes d’Uriage, ouvre sa collection aux spécialistes de l’Égypte et aux curieux sur rendez-vous.
C’est en 1916, soit près de 40 ans après la mort du comte, que son fils, Gabriel de Saint Ferriol, fait don de la plus grande partie de la collection de son père, soit 130 pièces, au musée bibliothèque de Grenoble. L’inventaire est réalisé en 1919 par Alexandre Moret.
L’exposition au musée de Grenoble permet d’admirer le cercueil anthropoïde de Psamétik une pièce « exceptionnelle » probablement achetée à Louxor par le comte, dont les égyptologues soulignent « la fraîcheur de la palette colorée alliée à la précision du dessin » qui en font un monument de raffinement. L’ensemble funéraire compte aussi huit ouchebtis, ces petites faïences égyptiennes qui sont des statuettes de serviteurs funéraires. L’une d’elles appartenait au comte, les autres sont au Louvre. Tout aussi délicats, les fragments d’une procession de génies de la fécondité, font partie d’une série acquise à Ermant et dont les blocs ont été extraits du temple de Montou-Ré. C’est avec ces œuvres lapidaires que les visiteurs sont plongés dans l’exposition temporaire.