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Anniversaire

Le Comté à 60 ans et continue de grandir

À l’occasion du soixantième anniversaire de l’obtention de l’AOC pour le comté à Arc-et-Senans, vendredi 19 octobre, le président du comité interprofessionnel de gestion du comté (CIGC) précise que ce n’était pas un long fleuve tranquille. Il garde, pour autant, confiance en l’avenir ; à condition que chacun le joue de manière collective.
Le Comté à 60 ans  et continue de grandir

Le soixantième anniversaire de l’obtention de l’AOC pour le comté méritait bien une grand-messe. Et quoi de plus propice que de se retrouver dans cette grande cathédrale qu’est la saline d’Arc-et-Senans dans le Doubs. Il fallait bien ce lieu historique pour accueillir plus de 1 600 acteurs – passé, présent et futur – pour confirmer que le comté est dans l’ADN de l’agriculture du massif du Jura. Quelques affirmations se posent tout comme une interrogation. La filière est solide, elle concrétise la volonté des femmes et des hommes pour la porter vers le futur.  Pour son grand oral à l’occasion de cet anniversaire, Alain Mathieu n’omet ni l’histoire, ni quelques troubles.

Alain Matthieu, le président du comité interprofessionnel de gestion du comté (CIGC).
Entêtement
Dans les années 1970, on évoquait la nécessité de ne garder que quatre ateliers. « C’était paraît-il une vision moderne de l’évolution de l’agriculture. » Il ne faudrait surtout pas que les jeunes générations considèrent que cette réussite est un dû et ne soient tentées par une vision à court terme. Il faut donc savoir d’où l’on vient.
Le nouveau président rappelle que le 17 juillet 1958, a été un aboutissement : « c’est la concrétisation de la volonté d’hommes et de femmes de faire reconnaître une culture qui vient de loin ; de plus de 700 ans. »
Ajoutons encore le cinquantenaire du comté où quelques rancœurs ont vu le jour parce que le lait conventionnel offrait une meilleure paie. Mais comme le soulignait en son temps Yves Goguely, – 4e président du CIGC (1987-2002) – l’entêtement des producteurs de lait à comté a été salutaire. D’une réputation « usurpée » de passéistes avec tous les acteurs de la filière, le comté avec les chiffres qui progressent a prouvé que cette filière est moderne. « Nous avons eu raison ! » Bien entendu, la question de la révision du cahier
des charges est évoquée. L’essentiel reste de préserver l’identité du comté. Mais il fallait aussi gérer l’évolution de la filière en gérant la croissance des volumes de production par la régulation de l’offre.
Convictions
« Aujourd’hui, notre filière est une réussite. » Et pour demain ? « Ce sera toujours aussi passionnant que ces soixante
dernières années. » Doit-on être inquiet ? « Non, simplement lucide sur la période que nous vivons actuellement. » De nouvelles organisations des exploitations devront se réfléchir avec d’autres partenaires mais Alain Matthieu est persuadé de la capacité de tous les acteurs de vouloir s’engager dans les paris à venir : « Notre modèle doit rester à base d’herbe en cohérence avec son territoire. » L’enjeu est d’avoir des fermes plus résilientes face aux aléas climatiques ; le CIGC entend travailler cette question. Il reste encore la question des reprises des exploitations. « Nous devons veiller à la reproductibilité de notre système et non à le fragiliser. » Alain Matthieu met clairement un focus sur la transmission des exploitations et encore plus sur la place de femmes et des hommes au sein de la filière comté. « Il ne faut pas courir après les volumes ; c’est source d’individualisme et de vision à court terme. » Il reste une interrogation ? Elle tient en un badge et trois clips publicitaires à venir sur les écrans télévisés ; avec un slogan simple : Et vous, connaissez-vous quelqu’un qui n’aime pas le comté ? « Quoi qu’il en soit, le comté a de l’avenir. C’est notre histoire avec un grand H ! » 
Dominique Gouhenant

 

Comté / Vers une montée en gamme

Le comté fête les 60 ans de son AOP, cette année, l’occasion de constater que son économie a continué de se développer durant la dernière décennie. Alors qu’en 2001 un kilo de comté en libre-service coûtait 8,95 euros en moyenne, en 2016 le prix de vente a augmenté jusqu’à 12,56 euros. De même, la production s’est accrue en passant de 49 054 tonnes, en 2001-2002, à 67 154 tonnes, en 2017-2018. De 1990 à aujourd’hui, cette croissance était presque restée constante, à l’exception de deux périodes de régression : la première sur la période 2007-2008 et la seconde en 2016-2017, due à une mauvaise météo. On estime qu’aujourd’hui cette filière regroupe 14 000 emplois. Actuellement, le fromage essaye de monter en gamme. En 2018, l’assemblée générale du comité interprofessionnel de gestion du comté (CIGC) a adopté des changements du cahier des charges tels que la limitation de la taille des exploitations à 1,2 million de litres de lait par an, l’imposition d’un plancher de 1,3 ha d’herbe par vache laitière (au lieu de 1) et de 70 % de fourrage issus de l’exploitation. Depuis le début de cet automne, le CIGC a commencé l’écriture d’un guide de bonnes pratiques qui va recenser toutes les « bonnes idées » évoquées au cours des réunions de concertation, et qui n’ont pas été inclues dans le cahier des charges. Le comté essaie également de progresser à l’export. En 2016, le CIGC a investi 1,4 millions d’euros pour une prospection internationale en Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis et Japon. En 2017, le CIGC a répété son action en incluant la Chine en plus des précédents pays. Le CIGC souhaite également renforcer l’implantation du comté sur le marché espagnol. En 2017, 4 % de l’exportation était destinée à l’Espagne. 

 

Lors de la table ronde, chaque acteur a pu donner sa vision sur l’AOP comté et les indications géographiques.

Table ronde / Histoire de se mettre l’eau à la bouche pour ce 60e anniversaire de l’AOC comté, plusieurs intervenants ont présenté leur vision de ce fromage d’exception.

 

De l’Histoire et des terroirs
Une table ronde a réuni divers acteurs dans les salines royales d’Arc-et-Senans pour un anniversaire tout aussi royal. « Soixante ans déjà ! », s’exclame Denis Trossat, l’animateur de la matinée. Commençons tout d’abord avec un duplex en compagnie de Franck Ferrand, journaliste spécialisé en histoire. Après avoir présenté le contexte général de l’époque (voir ci-contre), il se focalise sur la région en confirmant que deux débats étaient engagés. Il faut rappeler qu’après guerre, les Suisses revendiquaient l’exclusivité du terme de gruyère mais en 1948, on arrive à la pacification suite à la mobilisation des gruyères français. Il reste le deuxième débat-franco français : « D’un côté, il y avait une bisbille de la part de ceux qui voulaient que le comté soit un gruyère comme le beaufort ou l’emmental ; de l’autre côté, ceux qui se battaient pour développer la singularité du gruyère de comté. » Si dès 1926, on évoque une appellation d’origine, elle passe bien des années plus tard par la voie judiciaire mais cela n’est pas suffisant, il faut poursuivre le chemin avec la voie réglementaire ; elle conduit aux décrets des 14 janvier et 17 juillet 1958 pour obtenir cette AOC.  A son tour, Pascal Berrion, maître de conférences en aménagement de l’espace et urbanisme et responsable de licence pro Terroir, intervient dans son domaine de prédilection. Charge à lui de parler de l’évolution de l’agriculture entre 1958 et 2018. « L’agriculture a été bouleversée mais l’évolution du comté tient du bon sens, d’une diversité et de l’adaptation. » Cela repose sur les trois métiers qui composent la filière. La Pac impose une politique agricole commune et à un moment met en place des modalités de cessation laitière. « Mais les éleveurs vont rester autour de leurs fruitières. »
Si la productivité des vaches progresse et qu’apparaissent de nouveaux outils, les vaches sont toujours traites à la main par des femmes et des hommes même si les fermes sortent des villages. Les fruitières évoluent aussi, même si elles s’organisent autour d’un bassin de collecte tout en maillant bien le territoire. De nouveaux équipements permettent d’améliorer la qualité des fromages. Les affineurs ont aussi beaucoup évolué pour exceller à mener à bien l’affinage des fromages avant de les mettre en marché. « C’est une énorme responsabilité. » 
Dominique Gouhenant


Retour vers le passé 
« L’année 1958, date de l’obtention de l’AOP pour le gruyère de comté, c’est la période où l’on rentre dans la modernité », rappelle Franck Ferrand. Comme le souvenir de la Seconde Guerre mondiale s’estompe, on veut passer à autre chose. « C’est le premier défilé de mode d’Yves Saint-Laurent chez Dior. C’est aussi l’époque du rock’n’roll, des bals et des dancings. C’est aussi une croissance de 2,2 % et une dette qui n’est même pas à hauteur du PIB. » Cette période de croissance sera dénommée sous le terme des Trente Glorieuses. Franck Ferrand n’en oublie pas la Guerre froide, ni le putsch d’Alger en mai de cette année-là lors de la Guerre d’Algérie et la prise de pouvoir du général De Gaulle. Coincé entre les géants américain et russe, sans oublier la Chine et les autres pays émergents, une réponse de l’Europe devra être apportée à ces situations. C’est le Traité de Rome de 1957 qui conduit à la création de la Communauté européenne économique.