Accès au contenu
culture

Le bambou, une voie de diversification pour l’agriculture française ?

Dernièrement, la filiale française de la société italienne de production industrielle de bambous géants Consorzio Bambù Italia (CBI), est venue planter une bambouseraie de 17 hectares à Villars-les-Dombes dans l’Ain. Il s’agit de sa première plantation en France dans le but d’une future commercialisation. De quoi susciter la curiosité des passionnés mais aussi la défiance et le doute des professionnels de la filière.

Le bambou, une voie de diversification pour l’agriculture française ?

Ce jour de mi-mai, ils sont plusieurs agriculteurs à avoir fait le déplacement jusqu'au château des Creusettes dans l'Ain. C'est dans le jardin de cette demeure majestueuse, en plein cœur de la Dombes, que Fabrizio Pecci, gérant de la société de production de bambous géants Consorzio Bambù Italia (CBI) est venu planter les premiers plants de bambous en France.

En France, les cannes de bambous ont vocation d’ornement, en particulier pour la décoration de jardins. Les pépinières de la bambouseraie d’Anduze produisent une centaine de variétés.
Premières plantations dans l'Ain
La vente et l'export de bambous géants, particulièrement développés en Chine, ont donné des idées à l'entrepreneur Italien qui a créé sa société il y a quatre ans. « En Italie, le bambou n'existait qu'en ornement lorsque nous nous sommes lancés. L'intérêt, c'est qu'on le plante qu'une seule fois et qu'on n'a pas besoin de produits chimiques pour qu'il se développe », explique Fabrizio Pecci. En France, Étienne Dill, responsable de la filiale française Onlymoso, est en charge du développement de la variété moso, de son nom scientifique Phyllostachys edulis, « la plus résistante et la mieux adaptée au climat tempéré parmi les quelque 1 500 existantes », selon la société italienne. « Elle aime la chaleur mais elle est capable de résister à des températures allant jusqu'à - 25° », affirme Consorzio Bambù Italia (6,5 M€ de chiffre d'affaires). La plantation des premiers bambous géants dans l'Ain par la société italienne a attisé la curiosité d'agriculteurs du Loiret et de l'Aisne venus à la pioche d'informations, « pour une éventuelle diversification » sur leur exploitation. « Dans cinq ans mon mari et moi partons à la retraite. On regarde ce qu'il se fait autour de nous. Nos enfants ont pour projet de reprendre l'activité. Le bambou pourrait être une piste... », estime Alain Templier, céréalier dans le Loiret. Arnauld Malhomme, agriculteur installé en céréales, betteraves, colza dans le département de l'Aisne, s'interroge, lui, sur la capacité de ses sols argilo-calcaires au pH plutôt alcalin à accueillir cette variété de bambou, s'épanouissant davantage dans des sols au pH acide. « Vu la situation économique de la betterave aujourd'hui et la faible rentabilité des autres cultures, je me pose des questions. Je suis à la recherche d'un nouveau challenge. Le bambou est une piste mais l'activité est encore trop peu connue en France pour se lancer ... », soutient-il.
Une rentabilité à prouver
La société italienne propose la commercialisation de pousses de bambou à visée alimentaire et de cannes de bambou utilisées aujourd'hui dans le mobilier, le papier, les textiles ou encore dans la construction de ponts, de murs ou de cloisons. La rentabilité économique du bambou géant en France reste encore à prouver, malgré un business plan très alléchant établi par Onlymoso. « La première récolte de pousses a lieu quatre ans après la plantation. La pleine capacité est atteinte six ans après la plantation », prévoit-elle. Les coûts d'implantation (préparation du terrain, labour et mise en place d'irrigation goutte-à-goutte) sont importants : autour de 35 000 € par hectare. Une bambouseraie Onlymoso permettrait de générer un revenu net annuel moyen d'environ 26 000 €/ha (1 800 plants) pour une rentabilité de 69 % par an pondérée sur 15 ans. Des chiffres qui laissent perplexes certains professionnels du bambou français. « Je suis hyper-sceptique par rapport à la pousse de cette variété, surtout dans le Nord de la France. Sur des sols profonds de bonne qualité du côté de Bordeaux, Nîmes, Montélimar, le moso poussera mais jamais aussi vite. Les rendements annoncés me paraissent surestimés », avance Denis Forge, directeur des pépinières de la bambouseraie d'Anduze. Onlymoso, qui affirme développer depuis quelques mois son activité en France et en Belgique, compte déjà 900 clients en Italie (voir encadré) ayant planté des bambous géants sur plus de 2 000 hectares du Nord au Sud de la péninsule. « Parmi eux, un tiers est des agriculteurs », indique Massimiliano Colombo, commercial de CBI. « Cette installation d'avril 2017, en quatre à cinq ans pourrait nous donner des cannes de plus de 20 mètres de haut », indique Antonio Iaropoli, consultant Onlymoso. Ce à quoi peine à croire Denis Forge. « En Chine, dans les meilleures conditions possible, on arrive à cette taille six ans après la première plantation ». « En plus, le moso ne se développe qu'en flanc de vallée, en pente. Il a besoin d'un environnement spécifique pour se développer. En France, je ne le vois pas atteindre cette taille avant huit à neuf ans dans les territoires les plus adaptés comme les Landes », avance Stéphane Alzaix, gérant de Newfi Bamboo, société qui œuvre pour la promotion du bambou. 

Alison Pelotier

 

Quels débouchés pour le bambou ? 
La Chine possède près de 30 % des plantations de bambou dans le monde et détient la première place du marché mondial. Ses habitants apprécient les pousses de bambou dans l’alimentation, une spécialité culinaire traditionnelle qui s’exporte dans de nombreux pays européens. Cette plante qui appartient à la famille des poacées (graminées) trouve son utilisation dans une multitude de secteurs. Alternative au béton, au PVC, au plastique et à l’acier, elle fait ses preuves comme matériaux biosourcés dans l’écoconstruction pour sa capacité à stocker une grande quantité de carbone (une bambouseraie de  un hectare peut capter jusqu’à 60 tonnes de CO2 par an suivant l’espèce et le type de culture, soit cinq fois plus que les arbres). Meubles, bâtiments et toits, revêtements de sol, plafonds ou encore cadres de portes et fenêtres, le bambou trouve sa place dans le secteur du bâtiment. Ses fibres naturelles sont aussi utilisées dans l’industrie textile pour la fabrication de vêtements. Le monde de la cosmétique et de l’hygiène n’est pas en reste. Un vaste choix de crème, coton, shampoing ou encore couche pour enfants ou litière pour animaux à base de bambou ont trouvé leur place sur le marché.

Une trentaine de kilos de pousses de bambous a été récoltée sur la parcelle de Gianfranco Bisterzo près de Latina en Italie.

 

Témoignages /  En Italie, le CBI affiche sa volonté de développer une nouvelle filière cellulose issue du bambou pour la production de papiers, d’énergies combustibles et de biomasse. Les premiers clients à s’être installés il y a cinq ans ont commencé à récolter leurs premières pousses ce printemps.

Une production qui cherche à faire ses preuves

Parmi l’un des premiers clients italiens du consortium, Bruno Lorini, maraîcher basé dans la province de Bergame (Lombardie) au Nord de l’Italie. En complément à sa production de salades et épinards sous serres sur deux hectares, il a décidé de se lancer dans la production de bambous géants. En 2014, un millier de plants sur un hectare ont été installés dans sa parcelle. « Au total, j’en ai planté trois dans des lieux différents sur des sols mi-terre mi-graviers. Je m’aperçois que les bambous qui se développent le mieux sont ceux plantés sur le sol le plus acide qui a un pH de 0,7. Plantés en 2016, les chaumes atteignent aujourd’hui presque la même taille que celles de 2014 installées sur un sol plus neutre, soit environ 8-9 mètres de hauteur », affirme Bruno Lorini. « Mes pousses font entre 3,5 et 4,5 cm de diamètre. La société prévoit une récolte de 10 000 kilos par hectare pour janvier 2020 lorsque les pousses atteindront  5 cm de diamètre et 25 cm de hauteur, payées 3,20 € le kilo la première année de production. » Gianfranco Bisterzo, retraité a, lui, planté en mai 2015 un millier de bambous moso sur un hectare et demi, à Latina au sud de Rome, à une quinzaine de kilomètres de la mer Tyrrhénienne sur des sols argileux-poreux et perméables à l’eau. « Étant situé juste au-dessus d’une nappe phréatique, le taux de calcaire dans le sol est assez important, mais cela ne nous pose pas de problème particulier à ce jour, estime-t-il.  L’idéal étant de disposer de sols sableux pour permettre aux racines de mieux s’implanter ». Il y a deux mois, sa première récolte a donné 35 kilos de pousses commercialisées par CBI. Irrigation et fertilisation importantes les premières années« Le plus important, c’est d’apporter une bonne irrigation et fertilisation avec de l’urée, du phosphore et du fer, les trois premières années, précise Bruno Lorini. Période pendant laquelle il faudra aussi faire attention aux mauvaises herbes. Une fois que les bambous mesurent plusieurs mètres, le soleil ne filtrant plus, il n’y aura presque plus besoin de désherber ». « Pour un agriculteur, vivre juste de bambous, cela ne me semble pas possible. En diversification, pourquoi pas, mais en ayant déjà des revenus stables par ailleurs sur d’autres productions agricoles.»
A. P.