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Bovin lait

Lait : ce que signifie le prix de revient publié par l’Idele

Les différents collèges du Cniel se sont entendus sur une méthode de calcul développée par l’Idele pour définir un prix de revient du lait. Avec les données publiques disponibles, le calcul aboutit à 396 euros les 1 000 litres pour l’année 2016. L’Idele détaille la signification de ce chiffre.
Lait : ce que signifie le prix  de revient publié par l’Idele

396 €/ 1 000 l, pour les exploitations laitières conventionnelles de plaine en 2016 ; 410 €/1 000 litres pour les exploitations de montagne (hors AOP) et 539 €/1 000 litres pour les exploitations bio. Ce sont les prix de revient que vient de publier l'Institut de l'élevage, et qui vont servir de base aux travaux entamés par l'interprofession laitière (Cniel). L'institut de l'élevage explique comment il a abouti à ce chiffre. L'évaluation des charges des éleveurs laitiers est une longue histoire. Suite à l'accord sur le prix du lait de 1997, l'Idele a publié pour la première fois l'indice Ipampa lait de vache qui permet de suivre l'évolution du prix d'un panier de charges typique des exploitations laitières. Depuis la loi Sapin 2 de 2016, l'institut technique publie également la marge Ipampa lait de vache sur coût total indicé (Milc), un indicateur de marge laitière par litre. Ces deux indicateurs, publiés mensuellement, ont comme intérêt d'être très réactifs, avec seulement deux mois de décalage. « Mais l'inconvénient est qu'ils sont partiels », souligne Christophe Perrot, économiste à l'Idele. La marge Milc ne prend en considération que 70 % des charges des exploitations. Et pour les produits, les aides ne sont pas incluses. C'est pourquoi l'Idele, dans le contexte de la loi Egalim, publie un indicateur plus complet, cette fois, au travers d'un prix de revient.

Moins réactif mais plus complet

« Pour obtenir un prix de revient du lait complet, nous avons ajouté des étapes par rapport à la marge Milc », explique Christophe Perrot. La méthode Couprod – qui a été validée par les différents collèges du Cniel pour calculer un indicateur de coût de production – permet de ventiler les charges par atelier dans les exploitations qui ont plusieurs productions. « Dans une exploitation, certains moyens de production servent à plusieurs ateliers, déchiffre Christophe Perrot. C'est le cas du travail, des bâtiments, des tracteurs, etc. ». Appliquée aux données du réseau d'information comptable agricole (Rica), cette méthode permet « une fois par an, et non plus tous les mois, de proposer une approche complète des résultats économiques des ateliers de production de lait de vache, intégrant tous les produits, y compris les aides et toutes les charges », développe l'institut technique. Aussi, pour obtenir le prix de revient annuel, l'Idèle soustrait au coût de production total (somme des coûts d'aliments achetés, engrais, mécanisation, etc.), les produits de l'atelier lait en dehors des ventes de lait (ventes des veaux, vaches de réforme et aides).

Vers un observatoire des coûts de production

Les charges considérées dans ce prix de revient prennent en compte les charges supplétives alors qu'elles ne le sont pas dans l'Ipampa ni dans la Milc. À savoir : le travail non salarié, rémunéré sur la base de deux Smic mensuel, la rémunération des capitaux propres et du foncier en propriété. Les coûts des travaux par tiers, des fermages, des salaires et les intérêts des emprunts sont également intégrés. Côté produits, en plus des produits joints (veaux, vaches de réforme, etc.) que le calcul de la Milc prend en compte, les aides sont incluses, tout comme les indemnités d'assurances et les produits financiers. Bien que complet, le manque de réactivité de ce prix de revient, publié avec deux années de retard, rend son utilisation difficile dans les formules de détermination des prix dans les contrats. Gardant la méthode mais cherchant à l'appliquer sur des données plus récentes, le Cniel a décidé de créer un observatoire des coûts de production. Une mise en place qui prendra encore un peu de temps mais qui représente un véritable enjeu pour la filière. 

 

396 ou 340 euros/1 000 litres 

En remontant le temps, on se souvient que dans un communiqué de juin 2017, la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) demandait aux « entreprises qu’elles soient coopératives ou privées […] la revalorisation du prix du lait payé au producteur dès juillet a minima à hauteur de 340 €/1 000 litres ». Aujourd’hui, ce chiffre interpelle au vu de la publication par l’Idele d’un prix de revient de 396 €/1 000 litres pour les exploitations conventionnelles de plaine. André Bonnard, secrétaire général de la FNPL, s’explique : il s’agissait d’une revendication « dans les conditions de 2017 » où le prix du lait payé aux producteurs était de 320 €/1 000 litres en juin. De plus, ce prix tient compte de la valorisation du mix produit des entreprises françaises sur le marché domestique mais aussi mondial lorsque « la rémunération du couple beurre-poudre était inférieure à 300 euros ». Aussi, il ne faut pas confondre ces 340 €/1 000 litres à une estimation de coût de production.

 

Interview / Stéphane Joandel, président de la FRPL Sud-Est, section lait de la FRSEA Aura, réagit sur le prix de revient du lait publié par l’Idele revendiqué par la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL).

Stéphane Joandel, président de la FRPL Sud-Est, section lait de la FRSEA Aura.

“ Nous demandons que les ordonnances attachées à la loi alimentation soient examinées rapidement ”

Le prix de revient estimé à 396 €/1 000 litres sur le marché intérieur prend en compte le travail non salarié, rémunéré sur la base de deux Smic mensuel. Vous semble-t-il adapté aux réalités que vivent les exploitations agricoles de la région ?
Stéphane Joandel : « Absolument. Le lait, tel qu’il est valorisé aujourd’hui, permet un salaire moyen de 1,16 Smic par producteur. Comme son nom l’indique, ce n’est qu’une moyenne. Cela veut donc dire que certains gagnent encore moins. Lors de mes différentes réunions dans les départements, j’ai pu constater une forte baisse de moral de la part de plusieurs agriculteurs. J’ai été très touché par certains témoignages dans la Loire et la Haute-Loire. Les gens sont submergés. Pour compenser le prix du lait très bas, ils ne comptent plus leurs heures : 70 par semaine pour gagner péniblement un Smic. C’est surtout le cas en zone de montagne. On estime qu’il devrait être à 410 € dans ces territoires difficiles. Certains producteurs se demandent même s’ils ne vont pas cesser leur activité. Ils sont résignés. Ce calcul à partir des coûts de production va permettre de revaloriser leur travail, de leur dégager un peu de temps libre, de leur redonner de l’espoir et une vie de famille plus épanouie. On le sait bien, quand les gens sont bien dans leur tête, ils sont bien aussi dans leur métier. »
Les charges considérées dans ce prix de revient prennent en compte le travail non salarié, la rémunération des capitaux propres et du foncier en propriété. Les coûts des travaux par tiers, des fermages, des salaires et les intérêts des emprunts sont également intégrés. Pourquoi est-ce si important de les intégrer ?
S. J. : « Tout simplement parce que nous sommes des chef(fes) d’entreprise et que tous ces coûts représentent des charges pour chacun d’entre nous dans nos exploitations laitières. Si vous regardez toutes les économies françaises, l’agriculture est la seule qui ne prend toujours pas en compte ses propres coûts de production. C’est la première fois qu’on les considère dans le calcul du prix de revient du lait et c’est très positif. Ce prix permettrait au producteur de gagner 50 € de plus les 1000 litres payés par la laiterie. Pour la FNPL, 5 % d’augmentation des tarifs de vente des produits laitiers aux distributeurs par les transformateurs permettrait d’atteindre ce prix de revient moyen calculé par l’interprofession. Grâce aux EGA, nous avons pu travailler sur le calcul de ces coûts de production mais il ne faudrait pas que la loi exclut ce point indispensable à nos yeux. Nous demandons d’ailleurs que les ordonnances attachées à la loi alimentation soient examinées rapidement (ndlr : Didier Guillaume a annoncé la semaine dernière le report aux mois de janvier et février prochains, en raison des manifestations de gilets jaunes). Il va falloir mener un vrai combat syndical. Nous sommes d’ailleurs en train de présenter ce prix de revient aux organisations de producteurs de la région pour qu’elles soient en mesure de l’appliquer dans leurs contrats, en espérant que la loi nous soit favorable dans les mois à venir. Il faudra également que les coopératives et la grande distribution jouent le jeu. »
Ce prix de revient est très complet mais il manque de réactivité. Il est publié avec deux années de retard, ce qui rend son utilisation difficile dans la détermination des prix dans les contrats. Qu’en pensez-vous ?
S. J. : « En effet, mais il faut le temps que toutes les données issues des exploitations soient calculées et prises en compte. Dans tous les cas, il vaut mieux être exhaustif que trop réactif. L’objectif, c’est qu’une fois ce prix validé et acté par tout le monde, on arrive à en proposer un nouveau mis à jour tous les ans, à partir de la base d’information comptable du Rica, pour être le plus en adéquation possible avec le marché intérieur. »
De quelle manière ce prix a-t-il-été accueilli par les industriels et la grande distribution ?
S. J. : « Ce qui est sûr, c’est que ce chiffre a surpris les transformateurs. Je pense que certaines PME seront prêtes à nous suivre, d’autres auront du mal car elles n’ont jamais eu l’habitude de payer les producteurs au juste prix. Cela risque de leur faire bizarre ! Intermarché a déjà affirmé être prêt à appliquer le prix, à la seule condition qu’il soit rémunérateur pour le producteur. Prochainement, la grande distribution entrera au 4e collège de l’interprofession laitière. C’est, à mon sens, une évolution et une opportunité pour arriver peut-être à connaître un jour la vérité sur la répartition des marges. Ces dernières années, on a beaucoup compensé les prix par le volume. Xavier Beulin, ancien président de la FNSEA, avait affirmé, il y a quelques années, qu’un jour ce système aurait ses limites. C’était un visionnaire, c’est ce qui arrive aujourd’hui ! » 
Alison Pelotier