La mozzarella di bufala, une bouchée de nouveauté
et commercialise en direct sa production.

Tantôt compacte, comme les spéciales cuissons, tantôt onctueuse, toujours élastique à souhait, la mozzarella a conquis son public. La « vraie », comme diraient les Italiens, encore davantage. Cette « mozzarella di bufala » est le résultat d'une fabrication traditionnelle élaborée avec le lait de bufflonnes. Avec 400 000 têtes, l'Italie ne possède que 0,2 % du cheptel mondial, le reste étant concentré en Inde, Asie du Sud-Est et en Afrique.
Sur l'exploitation familiale de Chicco Luca, située à Carmagnola, dans la province de Turin, se trouve l'un des trois élevages du nord de l'Italie. Traditionnellement, le petit fromage rond est produit dans la région des Pouilles. Pourtant, la ferme de Chicco Luca, installée depuis les années 1960 avec des vaches frisonnes, a opéré en 2003 un virage à 180 degrés : si les choses durent chez les Chicco, comme le prouve un bâtiment datant de 1800, il était temps de revoir le système agricole. « Nous ne pouvions plus rivaliser avec la concurrence européenne suite à l'ouverture du marché du lait au début des années 2000 », reconnaît Luca. Des choix radicaux se sont finalement imposés à la famille. Ils ont converti le troupeau pour le remplacer par des buffles et bufflonnes, investi dans des bâtiments et transformé la salle de traite. « Mais l'aboutissement de ce projet reposait sur la vente directe de nos produits finis dont la mozzarella Chicco : que du lait « buffalo », produit à Carmagnola », explique l'éleveur.
Une qualité valorisée
Si les mélanges lait de vache et lait de bufflonne, voire seulement du lait de vache, existent dans la fabrication de la mozzarella, celle de la société Chicco a fait le pari de respecter le cahier des charges imposé dans la région de Naples, berceau de production de ce fromage filé. « C'est une réelle satisfaction de retrouver nos produits de qualité
sur les tables des nombreux restaurants avec lesquels nous travaillons et dans les épiceries de Turin, Cuneo et en province », se réjouit l'éleveur, producteur de mozzarella.
Comme dans tous les élevages, le rythme de travail cadence la journée des cinq associés et des cinq salariés. La traite du soir est transformée le lendemain matin dans la fromagerie où les mains habiles filent et façonnent la mozzarella et les autres produits. Chaque étape de fabrication est traitée avec minutie. « D'abord, nous chauffons le lait et ajoutons le petit-lait et la présure. Le caillé se forme en une heure environ, puis nous procédons avec un linge à l'extraction du sérum qui servira à la production de ricotta. Après trois heures de repos, les pâtes sont prêtes et nous pouvons commencer à tourner en ajoutant de l'eau chaude à 95 °C. Nous obtenons ainsi une pâte filée qui est divisée en morceaux puis introduite dans une machine révolutionnaire d'où sortent des boules de mozzarella », explique-t-on à la fromagerie. Cette machine permet de dimensionner les fromages selon trois tailles (50 g pour les plus commercialisées). Les boules de mozzarella sont ensuite trempées dans un bain de refroidissement à 21 °C avant d'être mises dans une eau spéciale de conservation. Les produits obtenus sont prêts à être conditionnés pour la vente dans la boutique de la ferme. Les deux traites par jour permettent de satisfaire la production. En effet, 4 litres de lait de bufflonnes suffisent à produire 1 kg de fromage, contre 10 litres pour du lait de vache. Même si les bufflonnes produisent peu, environ 9 à 10 litres par jour, leur lait est très riche en matières grasses (75 g/l de TB) et protéiques (43 g/l de TP). En moyenne, la production est de 2 500 à 3 000 litres par bufflonne sur une durée de lactation de 278 jours. L'essentiel des vêlages a lieu au printemps pour vendre et transformer du lait en été, lorsque la demande en mozzarella est la plus forte. Le lait de bufflonne jouit d'un marché très rémunérateur. « En été, le prix de la tonne de lait est d'environ 1 400 € », confirme le producteur.
Longévité exceptionnelle
L'exploitation doit prendre en compte le renouvellement du troupeau et la bonne mise en lactation des bufflonnes. La génétique de cette espèce est singulière, il n'y a que 40 % de réussite sur les inséminations artificielles. La ferme laisse donc trois taureaux au sein du troupeau. Avec cette espèce rustique, cet éleveur a eu des soucis avec le lait en poudre au début de son installation. Les jeunes bufflons refusaient de boire au seau et se laissaient mourir de faim lorsqu'ils étaient séparés de leur mère. L'éleveur pratique désormais la technique des « vaches nourrices » et perd nettement moins de veaux. Des montbéliardes remplissent cette tâche. Les bufflonnes sont réformées au bout de huit à quinze ans. « Ce sont des animaux très résistants, qui ne nécessitent pas de vaccin particulier, observe l'éleveur. Mis à part quelques problèmes de retournement de matrice, elles ne tombent jamais malades et les mammites n'existent quasiment pas. En revanche, en cas de problème, ces animaux sont très difficiles à soigner, notamment les veaux, et répondent mal aux médicaments pour bovins ». Ces animaux sont aussi particulièrement curieux et intelligents mais ils restent proches de leurs cousins sauvages et sont donc assez craintifs. « Nous élevons nos bêtes en stabulation libre, elles sont réparties en groupes selon les différentes étapes du cycle de vie auquel est attribuée une nutrition adéquate » : les veaux élevés jusqu'à 60-70 jours, les 70 mâles – principalement des broutards –, les génisses de renouvellement proches de 3 ans, les bufflonnes taries et une centaine de mères en lactation.
Toujours en mouvement
La ferme de Chicco Luca veut relever un nouveau défi en commercialisant prochainement de la viande de bufflonne. Actuellement, ils vendent les jeunes bufflons et les bufflonnes réformées au maquignon. Mais la viande n'est pas du tout mise en valeur. Il pourrait les envoyer dans le Sud mais le transport deviendrait alors trop onéreux. Aussi, pour ouvrir de nouveaux débouchés, la famille souhaite, grâce à un labo de découpe privé à proximité, développer la vente directe de viande de bufflonnes. Cette pratique est très répandue dans les Pouilles. Cependant, les consommateurs ne sont pas encore avertis de cette production dans la région du Piémont. Il reste donc du travail à cette famille pleine de ressources.
Estelle Privat, JA Ardèche
Mozza made in France
Dans le Cantal, cela fait déjà 20 ans qu’un groupe d’agriculteurs revenu d’un voyage d’étude en Italie s’est lancé dans l’élevage de bufflonnes et la fabrication de mozzarella. Les animaux se sont plutôt bien adaptés au climat auvergnat et permettent de valoriser correctement les fourrages grossiers. La production avoisine désormais les 300 000 litres par an. Cette originalité a su plaire aux consommateurs de la région et fait aujourd’hui partie intégrante du paysage cantalou. La mozzarella made in France est une réalité dans d’autres départements de tradition bovine, où les éleveurs se sont laissés séduire par cet imposant bovidé (le mâle peut peser jusqu’à 900 kg et ses cornes avoir une envergure de 1,50 m). En effet, différents élevages se sont aussi montés dans le Lot, l’Aveyron ou encore en Bretagne..jpg)