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Zoom sur... la ferme Melchior

La diversité végétale européenne s’enracine à Charly

Après plusieurs expéditions en Russie, l’équipe du centre de ressources de botanique appliquée (CRBA) a désormais un écrin majestueux pour accueillir les graines de l’Institut Vavilov de Saint-Pétersbourg, la plus ancienne banque de semences au monde. La ferme Melchior verra le jour dans les prochains mois sur le domaine Melchior-Philibert de Charly (Rhône). C’est ici que quelques centaines de variétés en provenance de Russie seront minutieusement observées ainsi que leur adaptation au changement climatique.
La diversité végétale européenne s’enracine à Charly

C'est l'histoire d'une amitié née sur les bancs de l'université. Celle entre Stéphane et Sabrina, tous deux issus d'un cursus d'histoire de l'art. Le diplôme en poche, les années passent mais l'ethnobotaniste, historien d'art et des jardins, et la chargée de production artistique, ne se perdent pas de vue. Tous deux passionnés de végétaux, ils créent en 2008 le CRBA, le centre de ressources de botanique appliquée, installé actuellement au domaine de la Croix-Laval.

Des échanges de semences franco-russes

Le directeur adjoint de l’institut Vavilov, Aleksey Zavarzin (à gauche), a semé les premières graines de la ferme Melchior issues des réserves du centre de ressources génétiques russe dont le maïs de Bresse et le haricot nain, réintroduit à Charly.

Dix ans plus tard, l'envie commune de développer la recherche végétale se concrétise par « le projet d'une vie » : la création d'un véritable laboratoire européen de graines anciennes dont la plupart ont disparu en France et en Europe. Le constat est alarmant : selon une étude de la FAO, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, 80 % des légumes et des céréales cultivés il y a 50 ans ont disparu. « 15 espèces de plantes fournissent 90 % des ressources alimentaires. Le riz, le blé et le maïs représentent 60 % de la consommation mondiale », interpelle Stéphane Crozat, directeur du CRBA, évoquant la même source. Quant aux qualités nutritionnelles, d'après Brian Halweil, chercheur au Worldwatch Institut au Canada, « une pomme des années 50 comportait 100 fois plus de vitamines que les variétés commerciales actuelles ». « C'est à partir de ce constat que depuis la création du centre nous conduisons des recherches sur les variétés anciennes grâce à nos conservatoires et jardins pédagogiques... Lors de nos différentes missions à l'Institut Vavilov en Russie, nous avons pu retrouver des variétés locales que nous ne trouvions plus ici. Plusieurs échanges de semences anciennes ont eu lieu avec les chercheurs russes », explique Sabrina Novak, directrice adjointe du CRBA.

La ferme Melchior, laboratoire de biodiversité

Domitille Mukankubana, agronome chargée des expérimentations au CRBA, a été pendant de longes années directrice de la station agronomique de Muhanga au sud du Rwanda.

Ces graines anciennes, c'est Domitille Mukankubana, agronome chargée des expérimentations qui les « observe à la loupe ». Cette ancienne responsable de station d'expérimentation au Rwanda, spécialiste du haricot, est investie depuis le départ dans la mise en route de la ferme Melchior. Celle-ci sera installée sur une partie des huit hectares du domaine historique Melchior-Philibert de Charly (voir encadré), au sud de Lyon. « Progressivement nous allons transférer et agrandir nos conservatoires botaniques ici. Nous planterons des arbres fruitiers pour structurer les espaces dans lesquels seront plantées des légumes, des fleurs, des agrumes, des céréales, des légumineuses... », explique-t-elle. Dans cet ancien domaine agricole, des haies viendront protéger le site des vents du nord, des bocages sépareront les différentes parcelles, et des vignes seront conduites selon la technique des « hautains », trouvant leur appui en hauteur sur un arbre. « L'idée, c'est aussi de créer un environnement favorable aux insectes et aux oiseaux. On n'invente rien, on s'inspire tout simplement de ce qui existait déjà ici dans le passé », précise Stéphane Crozat. « Nous allons même installer une collection de mûriers de l'Inra que nous venons d'acquérir. Il s'avère être un excellent fourrage. Cela nous permettra de travailler sur des expérimentations autour de l'alimentation animale », ajoute-t-il.

Une station d'expérimentation Vavilov en 2020

Stéphane Crozat, directeur du CRBA lors de l’inauguration de la ferme Melchior, le 11 avril à Charly.

Tout près de ce futur laboratoire, les anciennes orangerie et serre du domaine seront restaurées, un bâtiment neuf sera construit pour accueillir les nouveaux locaux du CRBA ainsi qu'une boutique. En 2020, le domaine accueillera in situ la toute première station d'expérimentation Nikolaï Vavilov (voir encadré). « Des protocoles spécifiques de recherche permettront de confronter l'adaptation au changement climatique de trois groupes de variétés (ndlr les variétés de pays, les variétés anciennes et les variétés modernes) à Charly et dans les stations d'expérimentation russes. Nous regarderons de près leur réaction en cas de sécheresse et de forte humidité », souligne Domitille Mukankubana, coordinatrice des conservatoires du CRBA. « Nous observerons aussi leurs qualités nutritionnelles par un contrôle indépendant des nutriments en laboratoire d'analyse, leur capacité à être cultivées sans intrants d'origine chimique, leur résistance naturelle aux maladies », précise le directeur du centre. « Ces variétés pourront-elles un jour être produites par des agriculteurs de la région ? » interroge Bruno Charles, vice-président de la Métropole en charge du développement durable. Pour cela, la question de la commercialisation par tous des semences paysannes reste entière. A ce jour, seuls les grands groupes semenciers tels Monsanto ont le droit de les vendre. « C'est au Parlement européen que ça se joue désormais », le Conseil constitutionnel ayant censuré un quart de la loi Egalim dont son article 78, le 25 octobre 2018, autorisant à tous la vente de semences anciennes aux particuliers. L'équipe du CRBA et ses partenaires (le fonds de dotation De Natura, la société de Tarvel et l'association Perma'Cité) espèrent néanmoins pouvoir faire bénéficier au plus grand nombre de ses avancées scientifiques dans les années à venir.

Alison Pelotier

Le domaine 3 Melchior Philibert, un site historique

Créé au XIVe siècle, le site a toujours accueilli et expérimenté des plantes d’origine exotique pour l’époque. D’une superficie de 8 hectares, le domaine est resté quasiment préservé dans son intégralité depuis la fin du XVIIe siècle, après avoir été aménagé par son ancien propriétaire, Melchior Philibert, un marchand-banquier lyonnais, spécialisé dans le commerce des monnaies, soieries et dentelles, épices et teintures. Le « domaine de l’Haye », nom historique donné à ce territoire a vu se succéder 22 propriétaires entre 1387 et 2018. Inscrit à l’inventaire des monuments historiques, il est actuellement de la propriété de la ville de Charly.
A. P.

 

Qui était Nikolaï 3 Ivanovitch Vavilov ?

Fondé en 1894, l’institut Vavilov de Saint-Pétersbourg en Russie est la plus ancienne banque de semences au monde. « Le bureau de botanique appliquée » a pris en 1967 le nom de l’un de ses plus illustres scientifiques, Nicolaï Ivanovitch Vavilov, qui en a été son directeur jusqu’en 1940. C’est à ce généticien, botaniste et agronome soviétique que l’on doit la constitution d’une immense collection de plantes. Visionnaire, il a conduit 115 expéditions de collecte de végétaux dans six pays avec une seule obsession : préserver l’humanité de la famine. Nikolaï Ivanovitch Vavilov a consacré sa vie à la préservation de ce lieu qui abrite aujourd’hui les graines et les semences d’environ 325 000 espèces et variétés végétales, faisant d’elle la quatrième plus grande banque de semences au monde.
A. P.