La distribution alternative face à l’hégémonie des GMS
de nombreuses initiatives privées ou issues du monde agricole montrent que la grande distribution n’est pas l’alpha et l’oméga pour écouler les produits agricoles des fermes françaises. Il y a de plus en plus de place pour d’autres modes de distribution permettant de répondre aux besoins de proximité et
d’authenticité des consommateurs.

La GMS représente près de 60 % des ventes de produits alimentaires. Alors que la concurrence entre les enseignes est très forte et que la croissance du marché est faible, de nouveaux circuits de distribution voient le jour (drive, e-commerce, magasins de proximité, etc.). Depuis 2014, la concentration du secteur s'est accentuée avec le rapprochement entre les centrales d'achat de différentes enseignes pour peser toujours plus sur les fournisseurs et imposer des prix les plus bas possible. Ce jeu de massacre a pour conséquence de mettre une pression extrêmement forte sur les prix à la production. Ce sont les agriculteurs qui, en bout de chaîne, subissent les conséquences de cette guerre des prix. Cette position dominante entraîne de manière régulière des discordes autour de la répartition des marges entre les différents maillons de la filière. Or, les pratiques d'achat des consommateurs évoluent, et les modes de distribution alternatifs à la grande distribution se multiplient et se renforcent.
La proximité, une valeur qui monte
On assiste ainsi, depuis une quinzaine d'années, à l'émergence de nouvelles attentes chez les consommateurs qui recherchent de plus en plus la proximité et les circuits courts. Parallèlement, de nouveaux modèles de distribution naissent, parfois portés par des agriculteurs. C'est par exemple le cas avec l'essor et le développement des magasins de producteurs dans toute la France, après avoir rencontré un vrai succès dans l'ex-région Rhône-Alpes. C'est la preuve que lorsque l'offre parvient à se structurer à un niveau local, il est possible d'attirer des clients en quête de produits frais et de saison, de relations directes avec les producteurs, d'authenticité et de qualité. La révolution numérique apporte également son lot d'innovations en matière de distribution avec les drive fermiers, les plateformes d'achat de produits agricoles ou encore les sites régionaux de produits agroalimentaires. Couplés au développement des transporteurs dédiés aux produits frais, ces nouveaux créneaux de distribution prennent une place croissante dans la distribution des produits alimentaires. On ne compte plus le nombre de start-up qui proposent une distribution originale de produits alimentaires. Nous en citerons que deux lyonnaises. La première, Les courts circuits, propose de faire les achats des clients directement sur les marchés auprès de producteurs et de les livrer. La seconde, Cali, vend des kits prêts à cuisiner en ligne, inspirée par la tradition culinaire lyonnaise. Ces kits comportent une fiche recette et l'ensemble des ingrédients pour cuisiner avec des achats de produits alimentaires qui se veulent locaux et vertueux.
Le monde agricole s'implique dans la distribution
De leur côté, les acteurs du monde agricole s'emparent de plus en plus de ces questions de distribution. Le syndicat Jeunes agriculteurs a ainsi lancé la réflexion depuis plusieurs années afin d'aller vers la création d'un circuit de distribution dans lequel les agriculteurs seraient impliqués. « C'est le défi de notre génération, rappelle JA dans un communiqué. Notre syndicat doit prendre sa place et apporter la force de son réseau. » Avec Coop de France, JA travaille à la création d'un site pilote, alternatif à la grande distribution, qui serait directement géré et maîtrisé par les producteurs. C'est déjà ce qu'a mis en place la coopérative Unicor avec Les Halles de l'Aveyron qui a ouvert un troisième magasin à l'automne 2017 dans la région parisienne (lire ci-dessous), dans lequel sont proposés des produits directement issus des exploitations des associés coopérateurs avec une meilleure valorisation du prix à la production. L'enseigne vise l'ouverture d'une dizaine de magasins dans les grands bassins de consommation dans les dix prochaines années.
C'est encore le cas avec Gamm Vert, qui fête en 2017 ses 40 ans. Filiale d'In Vivo, premier groupe coopératif agricole français avec 216 coopératives sociétaires, Gamm Vert est une franchise historiquement déployée autour de l'univers du jardin. Or, depuis quelques années, la marque tente de se diversifier sur les produits du terroir avec des rayons dédiés dans ses magasins. « L'offre alimentaire représente déjà 10 à 15 % de l'activité », indique-t-on chez Gamm Vert. Parallèlement, l'enseigne développe le concept de magasins alimentaires de proximité sous l'enseigne Frais d'Ici. Lancé il y a trois ans à Toulouse, le premier supermarché local propose une vaste gamme de produits : crémerie, épicerie, vins, fruits et légumes, viande, fromage, etc. ayant une provenance locale dès que cela est possible. Un deuxième magasin a ouvert en 2015 près de Dijon à Chenôve précisément. D'une superficie totale de 1 100 m2, ce second site présente un assortiment de 2 500 références, dont 1 500 d'articles frais. Au total, 70 % des produits proposés sont issus de Bourgogne et de Franche-Comté, directement auprès de 150 producteurs. Neuf projets d'ouvertures de magasins Frais d'Ici sont dans les cartons pour 2018.
« Au sein des enseignes Frais d'Ici, la relation commerciale avec les producteurs se veut de long terme, avec des contrats de longue durée, pour offrir un débouché fiable et profitable à l'économie agricole locale », explique Pierre Blondel du service communication de Gamm Vert. Et si, l'implication de la coopération agricole dans le secteur de la distribution pouvait changer la donne, afin de remettre de l'humain derrière les relations commerciales entre les différents maillons de la filière alimentaire ?
Camille Peyrache
Circuits courts : le choix du magasin de producteurs
Ils sont quinze exploitants des monts et coteaux du Lyonnais, et sont associés depuis 2008. Ils ont décidé de créer Grains de Ferme : un magasin de producteurs basé à La Tour-de-Salvagny. Plus au sud dans la Drôme, quinze agriculteurs, tous en bio, ont également décidé en 2013 de s’associer et de créer le magasin A travers champs, installé à Loriol. L’objectif des agriculteurs est de maintenir une commercialisation en vente directe, qui valorise mieux les produits et qui leur assure des débouchés sûrs à un prix juste. « On est maître de notre produit jusqu’au bout et on n’a pas de pression au niveau des prix, explique Élisabeth Bazin, éleveuse laitière et gérante de Grains de Ferme. Ils sont fixés par les producteurs associés en fonction de la saison, du climat ou encore du coût de production. »Chez A travers Champs, les prix sont le plus souvent fixés en fonction du marché de Crest et sont souvent sujets à de « vives discussions » en réunion. Pour entrer à Grains de Ferme, il suffit de répondre à deux critères : faire partie de la zone géographique des monts et coteaux du Lyonnais et avoir une production qui fasse suffisamment de chiffre d’affaires. Mais ces critères ne font pas loi partout : chaque magasin de producteurs a les siens. En effet, au magasin de Loriol, c’est surtout la labellisation en bio qui compte en plus de la localisation. Dans les deux magasins, différentes productions sont présentes. Mais il arrive souvent qu’il y ait des productions similaires. Dans ce cas, à Grains de Ferme, la gamme de produits est partagée, afin que chaque producteur puisse avoir un chiffre d’affaires suffisant. Pour A travers champs, les producteurs s’arrangent en fonction des atouts de leur exploitation. Les magasins de producteurs proposent également des produits qui ne sont pas issus des exploitations associées sur le principe du dépôt-vente. Le magasin sert alors juste de dépôt pour d’autres agriculteurs. Tous les producteurs qui vendent dans le magasin doivent verser une commission afin de payer les charges liées au fonctionnement.
À Grains de Ferme, la commission pour charges appliquées aux associés s’élève à 11,5 % de leur chiffre d’affaires tandis que À travers champs applique un taux de 15 %. Celle des dépôts-vendeurs est de 25 % pour les deux magasins. Les producteurs associés sont toujours prioritaires sur les apporteurs pour vendre leurs produits. Par rapport à la distribution en circuit long via des centrales d’achat par exemple, c’est bien plus avantageux pour les producteurs. Cependant, faire partie d’un magasin de producteurs demande un engagement personnel. « Le temps de travail est beaucoup plus important. En plus du travail sur l’exploitation, nous devons assurer une permanence en magasin d’une demi-journée par semaine et le samedi, on tourne. Il y a un quota fixe qui peut varier plus ou moins en fonction du chiffre d’affaires : plus on gagne, plus on participe à la vie du magasin », précise Élisabeth. Au magasin A travers champs, les permanences sont également importantes : de l’ordre de trois fois par mois. « Il faut être capable de vendre tous les produits, poursuit la gérante de Grains de Ferme. C’est pourquoi, tous les ans, on organise des visites des exploitations associées afin d’être en mesure de répondre aux interrogations des clients pour tous les produits. »
Manon Laurens