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Une race rustique de caprin

La chèvre du rove, un patrimoine aujourd'hui sauvegardé

La chèvre du rove a bien failli disparaître. C'était sans compter sur la pugnacité de certains éleveurs.
Des efforts qui paient. Aujourd'hui, les effectifs ne font que croître. Même si cette race est originaire
des Bouches-du-Rhône, certains éleveurs rhônalpins en sont de véritables gardiens.
La chèvre du rove, un patrimoine aujourd'hui sauvegardé

La légende raconte que lors de l'époque antique, une embarcation de quelques chèvres crétoises fit naufrage au large du Rove, une commune située près de Marseille, dans les Bouches-du-Rhône. Ces animaux, se mêlant à la race caprine locale, ont alors donné naissance à la chèvre du rove. Le recensement, qui s'est déroulé en 2013 et publié en juillet 2014, fait état de plus de 11 000 chèvres en France et 138 éleveurs (près de 8 000 animaux et 143 éleveurs comptabilisés en 2010). « C'est le signe d'une professionnalisation croissante des troupeaux, la taille moyenne étant maintenant de 76 chèvres (contre 45 en 2007 et 55 en 2010) », note l'Institut de l'élevage. L'organisme précise également que moins d'efforts ont été effectués pour « repérer l'exhaustivité des petits élevages ». Certains de ces éleveurs ne figurent donc pas dans l'inventaire.
Pourtant, en 1987, on ne comptait que 1 832 chèvres du rove. Entre autres raisons, la fin des transhumances à pied. « Cette jolie chèvre a failli disparaître à cause de ses grandes cornes. C'était une bonne meneuse lors des transhumances à pied mais les cornes posaient problème dans les camions », explique Claude Servonet, un ancien éleveur caprin basé en Ardèche. L'animal, aux cornes torsadées, participait aussi à l'allaitement des agneaux et offrait du lait aux bergers. C'est d'ailleurs dans ce contexte que l'association de défense des caprins du rove fut créée en 1979. Parmi les objectifs de la structure : établir le standard de la race, la sauvegarder, l'améliorer et regrouper l'ensemble des éleveurs.
Brousse, banon et picodon
Aujourd'hui, les Bouches-du-Rhône, avec 22 % des éleveurs et 32 % des effectifs, reste toujours le département avec le plus d'élevage et le plus de chèvre. Si la région Provence-Alpes-Côte d'Azur concentre près de 60 % des éleveurs (45 % en 2010) et 71 % des chèvres (62 % en 2010), force est de constater que cette race caprine est principalement représentée dans le quart Sud-Est de la France. Quelques élevages existent également dans le Sud-Ouest, en Alsace ou encore en Normandie. Le lait de la chèvre du rove contribue ainsi à l'élaboration de plusieurs fromages de chèvres régionaux, à l'instar de la brousse, du banon, pécardon ou encore du picodon dans leurs zones d'appellations respectives. Il faut dire que cet animal présente de nombreuses qualités, parmi lesquelles figurent ses aptitudes fromagères, même si l'animal produit peu de lait (250 à 450 litres par an, quand une alpine en produira près de 800 l). Mais le lait de la chèvre du rove est en revanche très riche en protéines et possède un bon rendement (des TB élevés – plus de 40 g/l – ; et un TP d'au moins 33 g/l). À Clansayes, au sud du département de la Drôme, Annabelle Würbel fabrique d'ailleurs plusieurs fromages de type lactique, certifiés agriculture biologique mention Nature & progrès. « Toute l'année, nos chèvres sont dans les collines, 6 heures par jour. Elles ne se nourrissent que comme cela. Il y a moins de lait, mais le rendement est plus important. Le goût est par ailleurs plus doux », souligne-t-elle. Cette race mixte a aussi un bon rendement en viande (du chevreau, en particulier le cabri lourd), proche des 50 %.
Reine de la biodiversité
L'appétit pour les broussailles, les arbustes, ou encore le nettoyage des sous-bois, ne fait pas seulement le bonheur des éleveurs. L'animal est également un excellent allié pour prévenir les incendies. Cette race rustique, adaptée aux climats chauds et secs, aime en effet défricher. Habituée aux parcours pauvres, accidentés voire difficiles, elle participe ainsi à la valorisation et à la sauvegarde des espaces méditerranéens. Au Rove par exemple, cette action contribue à protéger le patrimoine de la commune et participe également au maintien d'une activité agricole. Depuis quelques années, la chèvre du rove est aussi utilisée pour lutter contre la reforestation dans les montagnes des Alpes. C'est notamment le cas à Montriond, près de Morzine (Haute-Savoie). Dans le cadre de cette opération, les différents partenaires ont d'ailleurs construit un chalet pour abriter le berger et sa famille. Les fermes pédagogiques font également la part belle à cette race ancienne. Pour le plus grand plaisir des yeux. « Les chèvres du rove préfèrent la garrigue aux verts pâturages du Beaujolais. Nos visiteurs prennent souvent conscience de l'existence de ces chèvres. Ça les surprend et ils trouvent cela surréaliste », raconte Ivan Boulet, éleveur à Monsol, près de Beaujeu (Rhône). 

Aurélien Tournier

Quelques chiffres sur le cheptel en France

Ain : 54
Ardèche : 448
Bouches-du-Rhône : 3 315
Drôme:  699
Isère : 75
Loire : 25
Haute-Loire : 22
Savoie : 209
Haute-Savoie :   114
Vaucluse : 364
(données 2013)

 

Claude Servonet, un ambassadeur ardéchois au Salon de l'agriculture.

La rove au Salon

L'association de défense des caprins du rove a permis à l'animal de ne pas être oublié.

La chèvre du rove est toujours représentée lors du Salon international de l'agriculture, qui se déroule chaque année Porte de Versailles à Paris. Cela n'a d'ailleurs pas manqué lors de cette dernière édition. Pendant de nombreuses années, Capgènes a missionné Claude Servonnet, un éleveur caprin basé au hameau de Chatinais, sur les hauteurs d'Annonay (Ardèche). La structure assure la promotion de la filière caprine lors de cet événement, et notamment la présentation d'animaux. «  Claude Servonet, en plus de s'occuper de l'ensemble des caprins présents sur le Salon (une cinquantaine d'animaux d'au moins cinq races), assurait la traite, les présentations d'animaux, les échanges et témoignages avec les acteurs du Salon de l'agriculture (grand public, média, filière, etc.). Ses compétences et sa gentillesse ont fait de lui un acteur incontournable de l'espace caprin. Il a su transmettre sa passion aux jeunes éleveurs. D'ailleurs, Capgènes continue le partenariat avec un éleveur que Claude Servonet a su préparer aux complexités du Salon de l'agriculture », précise l'organisme.
Claude Servonet s'était installé avec son père en 1963. Il élevait alors des vaches laitières ainsi que des génisses. Il s'était aussi essayé à l'arboriculture ainsi qu'au travail de la vigne. Mais à Chatinais, l'environnement est très sec. En 1976, il se tourne vers l'élevage caprin. Pour constituer son troupeau, il capture alors plusieurs chèvres du rove vivant à l'état sauvage dans le Vercors. « La fromagerie ne désemplissait pas lors du week-end. Les habitants venaient pour les produits mais aussi pour profiter de la vue », se souvient-il. Selon l'éleveur, aujourd'hui à la retraite, le Salon de l'agriculture a sans doute sauvé la chèvre du rove. Lui aussi constate cet engouement autour de cet animal qui n'est plus en voie d'extinction. « Beaucoup de jeunes s'installent aujourd'hui en rove. Ils prennent des fermes plus ou moins abandonnées. Les animaux débroussaillent. Les chevrettes sont moins dures qu'une saanen et il y a plus de rendement. Mais il faut faire du fromage. On peut aussi vendre le lait. Celui-ci est très parfumé  », explique-t-il. Voilà ainsi un patrimoine sauvegardé. La vigilance reste toutefois de mise. Si les éleveurs choisissent à nouveau cette race, il lui reste des prédateurs. « Il y a le loup mais la plupart du temps, ce sont des chiens de promeneurs », prévient-il encore. 

A. T.