L'Ukraine : un géant agricole à fort potentiel

«Les dix dernières années ont vu la montée en puissance de l'Ukraine comme exportateur de premier plan de céréales et oléagineux », affirme une note du centre d'études et de prospective (CEP), corédigée par Alexis Grandjean, du CEP, et Nicolas Perrin, conseiller agricole à l'ambassade de France en Ukraine. L'Ukraine bat en effet des records de production en céréales et oléagineux et pourrait doubler ses exportations d'ici 10 ans. Le pays dispose d'un fort potentiel de production. La surface agricole utile (SAU) représente 71 % du territoire, soit 42 millions d'hectares, et les terres arables s'étendent sur 35 millions d'hectares. De plus, la note du centre d'étude précise que les terres noires, particulièrement fertiles, recouvrent 30 % du pays.
La production en grandes cultures progresse de manière régulière depuis les années 2000, pour atteindre plus de 66 millions de tonnes de céréales et 14 millions de tonnes de graines oléagineuses récoltées en 2016. Avec ces niveaux de production records, l'Ukraine a exporté plus de 44 millions de tonnes de céréales. D'après les auteurs de la note, dans 10 ans, ce pays pourrait produire plus de 100 millions de tonnes de céréales, dont 80 destinées aux marchés étrangers. Cependant, la réalité agricole s'avère complexe. Les agriculteurs doivent en effet composer avec des risques climatiques amenés à s'amplifier. Grâce aux importantes ressources en eau inexploitées, les risques liés au stress hydrique et aux températures estivales élevées pourraient toutefois être maîtrisés par la rénovation des infrastructures d'irrigation au sud du pays.
Une grande diversité de structure
Toutes les productions ne connaissent pas le même engouement que les grandes cultures. Les productions maraîchères et animales ont été mises à mal par la réorganisation des années 1990. Après la chute du régime soviétique, les 11 000 exploitations publiques de quelques milliers d'hectares, ont été progressivement privatisées. Les sept millions de ruraux travaillant dans ces exploitations sont ainsi devenus, en 1999, propriétaires de parcelles de quelques hectares. Un grand nombre de ces petites exploitations ont cependant fait faillite, et le marché locatif des terres a entraîné le développement d'un large éventail de structures aux tailles et aux formes variées. Au cours des années 2000, des structures patronales de quelques centaines de milliers d'hectares ont émergé. La note du centre d'étude précise ainsi, qu'en 2005, l'Ukraine comptait une grande diversité d'exploitations ; 5 à 7 millions d'exploitations de semi-subsistance valorisant quelques ares à quelques hectares, 20 000 à 40 000 exploitations familiales, s'étendant sur quelques dizaines d'hectares et 15 000 exploitations patronales, valorisant quelques centaines à quelques milliers d'hectares et représentant la majorité des terres louées. Avec l'augmentation du prix mondial des céréales en 2007, les installations et les agrandissements se sont multipliés. Les entreprises patronales sont ainsi parvenues à sécuriser leur accès au foncier et à s'agrandir.
Un gouvernement prêt à stimuler le développement rural
Pour stimuler le développement rural, le gouvernement envisage de mettre en place une série de réformes en soutenant, notamment, les petites fermes et en créant de nouveaux débouchés. De plus, un programme de privatisation des 450 entreprises agroalimentaires, appartenant toujours à l'État, est en cours de préparation. Pour la première fois depuis 2013, le ministère de la Politique agraire et de l'Alimentation a été doté d'un budget de 200 millions d'euros afin d'instaurer des mesures de soutien à l'agriculture : aide à la production animale, soutien à la réduction des taux d'intérêt d'emprunts et fonds de garantie... En dépit d'un contexte géopolitique instable, marqué par l'annexion de la Crimée, et la guerre toujours active, l'Ukraine tire au mieux profit de son potentiel et s'installe comme une grande puissance agricole. Depuis le 1er janvier 2016, l'accord de libre-échange entre l'Ukraine et l'Union européenne s'applique progressivement, le pays produit ainsi aux normes européennes. À la faveur de ce rapprochement, et tandis que la situation économique s'améliore, ce pays suscite un intérêt croissant en raison de sa taille, de sa localisation et de ses avantages compétitifs. La trajectoire de modernisation de l'Ukraine crée des opportunités pour les entreprises françaises : infrastructures de stockage, application des normes sanitaires tirées de la réglementation communautaire... Les auteurs concluent leur note en rappelant que « les incertitudes demeurent quant au rythme avec lequel l'Ukraine réalisera son potentiel et quant aux modèles de développement agricole et rural effectivement suivis. Les défis à relever sont aussi nombreux que les difficultés économiques, sociales et institutionnelles ».
Marie-Astrid Batut

Le nouvel eldorado d'agriculteurs français
Ils cultivent du blé tendre, du blé dur, du colza, du tournesol, parfois du sorgho et des pois de printemps. Au total, ce sont près de 50 collaborateurs ukrainiens qui s’occupent de la gestion des 11 000 ha loués par la société française Agro KMR à 2 500 petits propriétaires locaux. Ils ont hérité de ces surfaces à la chute de l’Union soviétique. « Nous leur louons ces terres avec des baux d’environ 15 à 20 ans pour 90 % de notre surface. Quant aux infrastructures, nous avons eu le droit de racheter à chacun la part héritée », explique Clément Coussens, directeur général de l’entreprise.La technologie au service de la production
Si, en 2006, la société française a décidé d’investir en Ukraine, c’est en raison de ses terres fertiles, de son grand potentiel agricole mais pas seulement. « Les agriculteurs français subissent de nombreuses contraintes en France et sont également dépendants des aides de la Pac, je pense que c’est autant de raisons que de vouloir trouver une échappatoire dans un pays comme l’Ukraine où il est possible de se développer et d’envisager de nombreuses innovations, tout en étant maître et acteur indépendant de l’économie locale », argumente-t-il. Ici, l’innovation est en effet indispensable pour assurer la production de ces immenses surfaces à perte de vue. Tous les équipements d’Agro KMR sont équipés de guidage GPS, ainsi que de divers capteurs (géolocalisation, régime moteur, carburant, etc.) dont les informations remontent sur un programme dédié dans un cloud (stockage virtuel de données), disponible à tout moment et à tout endroit. Un réseau de station-météo permet aussi d’appréhender les travaux et leurs priorités. « Nous avons engagé une démarche d’analyses régulières et de numérisation des sols avec diverses entreprises internationales, cela nous permet de mieux comprendre les besoins et d’envisager des économies d’intrants non négligeables sur notre surface », précise Clément Coussens.
Onze gardiens se relaient pour assurer la sécurité des infrastructures et 18 chauffeurs de tracteur sont employés par la société afin d’utiliser le matériel 24h/24 lors des travaux importants comme les semis, la pulvérisation et la récolte. La majeure partie de la production d’Agro KMR est ainsi destinée à l’export en Asie, au Maghreb ou encore en Europe. « Nous traitons avec les traders puis nous acheminons le grain jusqu’au port de la mer Noire où il sera chargé dans des panamax ».
Des contraintes qui ne bloquent pas les projets
Niveau réglementation, les lois en vigueur sont souvent issues des modèles soviétiques et, selon le directeur général d’Agro KMR, « inadaptées au contexte agricole actuel ukrainien » s’ouvrant aux investisseurs étrangers attirés par son potentiel agricole attesté, ses ressources minérales et énergétiques importantes ainsi que sa position stratégique qui en fait un lieu de passage et une porte vers l’Europe et l’Eurasie. « Les contrôles sont fréquents, les agents souvent zélés face à des investisseurs étrangers, d’où nos besoins en termes de juridique. Il est vrai qu’en théorie nous sommes moins imposés qu’en France, cependant nous aidons de manière directe les villages et les villageois où nous exploitons les terres ». Et d’ajouter : « Il y a clairement une lourde bureaucratie, un système vieillissant, chronophage qui peine à se moderniser ». Face aux contraintes plus techniques comme « les difficultés à faire un tour de plaine précis sur 11 000 ha, la logistique parfois défaillante, des routes en piteux état… les nouvelles technologies permettent de résoudre bon nombre de problèmes », relativise Clément Coussens. D’un point de vue interne, la société constate surtout des difficultés dans le recrutement, les jeunes ayant déserté les campagnes et aspirant a une vie plus « moderne » dans les villes ou à l’étranger. Cela n’empêche pas à Agro KMR d’élargir ses horizons professionnels. « Nous souhaitons développer un atelier fruit et légumes bio, de la production à la commercialisation et éventuellement un silo avec un embranchement ferroviaire pour être indépendant question logistique et baisser nos coûts d’acheminement aux ports ». Des projets qui devraient par conséquent augmenter la surface des terres cultivées par l’entreprise française en Ukraine.
Alison Pelotier