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Numérique

L’ubérisation et l’économie collaborative gagnent l’agriculture

Les plateformes numériques se sont multipliées en 2016 dans le domaine agricole.
Dans la plupart des cas, elles permettent la mise relation directe entre vendeur et acheteur d’un service ou d’un bien, venant parfois marcher sur les plates-bandes d’acteurs installés depuis des dizaines d’années. Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, le mouvement d’ubérisation n’en est qu’à ses débuts.
L’ubérisation et l’économie collaborative gagnent l’agriculture

De nouveaux concepts de plateformes voient le jour régulièrement dans le domaine de l'agriculture ou de l'agroalimentaire. Au début des années 2010, on a pu penser que l'agriculture ne serait pas concernée par l'ubérisation. Mais comme les autres secteurs, de nouveaux acteurs arrivent et bousculent les codes établis en créant de nouveaux modes d'échanges de biens et de services liés à l'agriculture. Si depuis plusieurs années, les sites dédiés à la consommation de produits alimentaires se sont multipliés (La Ruche qui dit oui, Mon voisin cuisine, VoulezVousDiner, Monpotager.com, Au bout du champ ou encore Bienvenue à la ferme), on assiste aujourd'hui à l'apparition de plateformes gravitant autour des exploitations agricoles et de leur fonctionnement.

Le secteur de l’agriculture est touché à son tour par l’ubérisation avec l’apparition de nombreuses plateformes numériques disruptives.

Qu'est-ce que l'ubérisation et l'économie collaborative ?

L'ubérisation, vient de l'entreprise Uber (voiture de tourisme avec chauffeur). Maurice Levy a popularisé ce mot fin 2014 dont les définitions divergent parfois. On retiendra que l'on qualifie d'ubérisation (aussi appelée disruption) un changement rapide des rapports de force grâce au numérique. Ce phénomène touche tous les secteurs de l'économie avec de gros succès comme Airbnb (location de logements entre particuliers), Drivy (location de voitures particulières) ou Amazon (publication électronique de livres). Grâce aux nouvelles technologies, des sites et applications mobiles permettent de mettre en relation quasi instantanément les vendeurs et les acheteurs d'un bien ou d'un service. Ces solutions « disruptives » court-circuitent l'économie héritée des Trente Glorieuses, réglementée et salariée. L'ubérisation s'intègre dans un mouvement plus vaste avec l'émergence de l'économie collaborative qui vise à la mise en commun et le partage de biens et de services, payant ou non : covoiturage (Blablacar), coachsurfing (prêt d'un canapé ou d'un lit), Sel (système d'échanges libre de services entre particuliers), etc. L'usage prend le pas sur la propriété, il en découle une organisation du travail plus horizontale et des citoyens qui se mettent en réseau. Si ce mouvement rencontre un grand succès chez les moins de 35 ans, il vient bousculer les repères et les modes de fonctionnement de l'économie en place. On l'a vu avec la guerre entre les taxis et les chauffeurs Uber, les hôteliers contre les locations de logements de particulier à particulier, etc. On voit également émerger de nouveaux rapports de travail où des indépendants proposent leurs services, mais ne sont plus rémunérés sous forme de salaire mais en prestations de services (auto-entrepreneur ou indépendant). Ces évolutions réinterrogent notre système de protection sociale basé sur le salariat quasi généralisé et inquiètent par la précarisation du travail. Le fort développement des livreurs de repas à vélo œuvrant pour diverses plateformes dans les grandes villes en est l'illustration. Payé 7,50 €/h auxquelles s'ajoutent quelques primes variables et bonus (nombre de livraisons ou de paliers, pluie etc.), un bon livreur peut espérer un gain net entre 12 et 14 euros/heure. Mais il a à sa charge l'entretien de son vélo et de ses éventuels soins en cas d'accident.
Dans l'agriculture, ce concept prend vie avec deux plateformes : Prestagri.com et Tractory.com. (lire ci-dessous) Le premier offre de mettre en relation des agriculteurs et des prestataires de services agricoles en soumettant des demandes de devis auxquels des entreprises de travaux agricoles ou des agriculteurs disponibles peuvent répondre. La seconde permet à des ETA ou des particuliers de proposer leurs services : ensilage, conduite d'engin, remplacement, secrétariat, semis, etc.

Le négoce agricole concerné

Plusieurs autres sites veulent s'attaquer au secteur de l'agriculture. On peut citer les places de marchés permettant aux agriculteurs d'acheter les différents produits dont ils ont besoin pour la ferme (semences, pièces détachées, engrais, phytos, etc.) comme Agriconomie.com ou Agriagree.com. Autre acteur, le site Biagri.com entend offrir une alternative aux agriculteurs pour vendre leur production à la tonne directement à des acheteurs (coopérative, éleveur, industriel, négociant ou courtier). Ce site permet aux agriculteurs de vendre à prix ferme ou sous forme d'appels d'offres. Plus qu'un site de petites annonces, c'est une place de marché qui assure la facturation et l'encaissement des ventes, prélevant une petite commission au passage. Le site permet également d'analyser un échantillon ou d'obtenir la traçabilité à la parcelle. Il agit ainsi comme un intermédiaire entre les agriculteurs et leurs acheteurs, permettant également à des éleveurs ou des céréaliers de travailler ensemble, bousculant des acteurs déjà établis qui assurent la commercialisation des produits agricoles. Au sein des organisations agricoles, ce mouvement d'ubérisation est regardé avec intérêt et parfois inquiétude. « Nous sentons ce mouvement d'initiatives privées depuis quelque temps déjà, indique Antoine Carret, délégué régional Trame à Lyon. Elles s'inscrivent dans notre époque et interrogent dans les organisations agricoles. Mais elles répondent aussi à une demande de certains agriculteurs. » 

Camille Peyrache

 

Foncier / Echangeparcelle.fr

Dans un contexte de crise où les agriculteurs recherchent à diminuer leurs charges, se séparer d'une parcelle éloignée au profit d'une parcelle proche de l'exploitation peut constituer une opération judicieuse. Une start-up s'est emparée du sujet et propose de faciliter l'échange de parcelles.
« Étant confronté à la problématique de parcelles éloignées, j'ai constaté qu'il était difficile d'avoir un réseau assez dense pour rencontrer des agriculteurs dans le même cas, désireux d'échanger des parcelles », raconte Mickaël Jacquemin, agriculteur dans la Marne, le 29 novembre à l'occasion du lancement de la start-up echangeparcelle.fr, dont il est le cofondateur. L'agriculteur décide alors de surfer sur la vague du co-farming - ces sites internet mettant en relation les agriculteurs - pour créer, avec son associé développeur web Vincent Barbier, une plateforme web permettant aux agriculteurs de localiser les parcelles éloignées dont ils souhaitent se séparer et l'endroit où ils voudraient au contraire en trouver. Echangeparcelle.fr, plateforme dotée d'un algorithme, permet d'organiser des échanges entre deux agriculteurs, ou même « en cascade » entre trois agriculteurs ou plus. « Pour que cela fonctionne, il faut que l'on ait un maximum de parcelles enregistrées sur le site », explique Mickaël Jacquemin. Mais l'agriculteur n'en doute pas : l'échange de parcelles est une excellente solution pour « optimiser le potentiel de valeur ajoutée des hectares agricoles ».
Abaisser les charges
Pour l'agriculteur, échanger des parcelles éloignées contre des surfaces à proximité peut permettre d'améliorer la productivité au travail, d'optimiser les coûts et le temps de travail. De même, ces parcelles sont également consacrées à « des assolements relativement simples » et mal optimisés. Pour les collectivités, les parcelles éloignées sont également un problème au niveau des coûts d'entretien des routes et de la cohabitation parfois difficile avec les usagers de la route. « Jusqu'à présent, l'échange de parcelles était bloqué par un frein psychologique. Les agriculteurs tiennent à leur parcellaire », admet Mickaël Jacquemin. Cependant, les jeunes sont plus ouverts à l'échange et « le contexte fait qu'aujourd'hui, l'économie va prendre le pas sur le psychologique ».
Sécuriser l'échange
Pour s'assurer de l'efficacité du dispositif, les cofondateurs ont décidé que le site serait gratuit pour les agriculteurs. Le service s'arrête à la mise en relation de deux (ou plus) agriculteurs qui pourraient échanger leurs parcelles. À eux ensuite de s'organiser pour procéder à l'échange. Le site leur propose alors de se rapprocher de partenaires (experts fonciers, experts-comptables, juristes...), qui, eux, financent la start-up.Car l'échange parcellaire en jouissance, même s'il est moins lourd que l'échange en propriété, mérite d'être sécurisé par le biais d'un contrat. Agrosolution, AS entreprise, Farre ou le réseau CERFrance constituent les premiers partenaires privilégiés de l'initiative. Comme les fondateurs de la start-up, ils sont convaincus de l'intérêt de l'initiative. « D'ici deux ans, on espère recenser au moins 200 parcelles par département », se projette Mickaël Jacquemin.