L’école en milieu rural, la nouvelle lutte des classes

Le sujet s'annonçait sensible et le débat a tenu ses promesses. Pour son congrès national, organisé les 8 et 9 octobre à Saint-Vincent-de-Boisset (Loire), l'Association des maires ruraux de France (AMRF) avait choisi l'école rurale comme thème central. « Un sujet hypersensible », avait prévenu en introduction son président, Vanick Berberian, appelant à « prendre un peu de distance et à regarder froidement ». Dans un message vidéo, la ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a donné le coup d'envoi des échanges, défendant les orientations du gouvernement : « On travaille pour que chaque élève ait une meilleure scolarité, quelle que soit l'école dans laquelle il est accueilli. » Najat Vallaud-Belkacem rappelait les créations de postes depuis 2012, « alors que le nombre d'élèves stagne ». Mais « il ne suffisait pas de créer des postes, il fallait aussi les répartir en tenant compte des réalités territoriales, ajoutait-elle, soulignant que « depuis deux ans, il existe une dotation spécifique pour les départements ruraux où le nombre d'élèves baisse ». Une analyse que réfutait Lionel Paillardin. D'après le président de l'association École et territoire, « le ministère a décidé la fermeture de toute école jusqu'à trois classes ». Étayant ses dires par les propos de la ministre tenus dans le Gers en avril dernier, il contestait les éléments avancés pour justifier cette politique. En particulier la baisse des effectifs prévue pour la rentrée 2017 : « Après une hausse de 16 000 élèves par an sur dix ans, il devrait y avoir une baisse de 6 500 élèves à la rentrée 2017. Elle est toute relative et dépend de la volonté du ministère d'intégrer, ou non, plus d'enfants de 2 ans. »
« Il y a une hausse des effectifs dans les territoires urbains et périurbains, une baisse en milieu rural. C'est la réalité », nuançait la sénatrice Françoise Cartron. « La classe unique permet de faire des choses merveilleuses, un enfant peut s'y épanouir autant que dans une école à douze classes, assurait celle que le Premier ministre, Manuel Valls, avait chargée l'an dernier d'une mission sur les rythmes scolaires. La ministre est sur la même ligne, elle n'est pas décidée à appliquer partout la même règle. »
Les conventions ruralité divisent
Autre objet d'intenses discussions : les conventions ruralité. « Le Cantal a signé en premier, 21 départements ont suivi et 30 sont en train de négocier, rappelait Françoise Moulin-Civil, rectrice de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes et rectrice de l'académie de Lyon. Une convention réunit au moins deux parties et n'est signée que si toutes sont d'accord... Il s'agit d'un partenariat durable, donc révisable, un territoire peut gagner ou perdre en effectif. » « Ce n'est pas un chantage (que dénoncent les maires, la signature permettant d'obtenir en contrepartie le maintien des postes d'enseignant pour trois ans) ni un marché de dupes », avait lancé Najat Vallaud-Belkacem un peu plus tôt.
« Une concentration à marche forcée »
Invités à témoigner, les maires brossaient un panorama varié. Un élu du Cantal se montrait positif : « Il y a eu quelques suppressions de classes, mais dans les plus grandes communes, comme Aurillac ou Saint-Flour. Il y en a bien qui fermeront car il n'y a plus que trois ou quatre élèves. Mais en concertation avec les maires, nous avons pu préserver une école de moyenne montagne qui aurait dû fermer. Je suis content de la convention, mais il faut faire attention à la rédaction du texte ». « Cette convention favorise les RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux) et va plutôt dans le sens de fermer les écoles de moins de trois classes », observait-on du côté de la Haute-Loire. « Chez nous, on a fermé des classes de moins de sept élèves et je ne suis pas forcément contre, dans l'intérêt de l'enfant en termes de sociabilité. Nous avons vécu la convention de manière brutale, réagissait un participant venu du Lot. Elle a été signée par deux députés, deux sénateurs et le président du Conseil départemental, ces personnes ont décidé pour tout le monde. C'est une concentration à marche forcée ! Si on ferme les écoles des villages, on met aussi des personnes au chômage, notamment des compagnes d'agriculteurs, elles qui font souvent bouillir la marmite à la maison. » « Choqué » par cette démarche, son homologue de l'Essonne relevait qu'« on paie cette logique comptable deux fois : en attaquant le dynamisme de villages qui pourraient séduire des néoruraux et envers nos enfants. Ils sont l'avenir de notre société et devraient donc être notre priorité numéro 1 ».
« L'État s'enferme dans une impasse idéologique »
Dans sa conclusion, Vanick Berberian attaquait, comme Lionel Paillardin avant lui, les conventions ruralité. Un point de vue approfondi dans la motion adoptée le lendemain matin : « Ces conventions ou chartes qui dessinent une organisation scolaire future précise n'ont aucune valeur juridique ni contraignante, sans compter qu'elles sont parfois signées par des personnes qui ne disposent pas de la compétence sur le sujet comme les parlementaires ou présidents d'associations de maires qui n'ont pas eu délégation pour le faire. » Le document déplore que « l'État s'enferme dans une impasse idéologique avec la volonté d'imposer un principe généralisé, consistant à fusionner toujours plus avant les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) ou concentrer l'offre scolaire dans les pôles urbains en fermant toutes les écoles de moins de quatre classes ». « Imposer une logique de concentration sur tous les territoires, sans tenir compte de leurs spécificités, ne saurait être accepté », alerte la motion. « C'est à partir du niveau local le plus fin que doit se décider la réorganisation de l'offre scolaire, peut-on encore lire. Elle doit prendre en compte l'intérêt de l'élève, notamment en considérant la question du temps de transport. » Le texte indique enfin une volonté d'« accroître la pression sur l'État, les Départements et les Régions pour accélérer l'équipement numérique des communes rurales car le numérique est un facteur de pérennisation des écoles ».
Franck Talluto