L’agriculture se prépare à l’accentuation des phénomènes climatiques extrêmes

Pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C d'ici 2100, il faut inverser la courbe des émissions de C02 après 2020, tel est le message porté par les scientifiques lors du One Planet Summit, le 12 décembre dernier à Paris. Dans tous les cas, le climat va changer, et des années comme celle que nous venons de connaître avec des gelées tardives, un printemps chaud , une sécheresse estivale et automnale pourraient se reproduire à une fréquence beaucoup plus élevée. Des outils existent pour aider les exploitants agricoles à intégrer dans leur stratégie l'objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la nécessaire adaptation aux conséquences de la hausse des températures. L'agriculture doit aujourd'hui faire face à de nombreux défis. Environnemental, d'une part, car sans réduire les émissions de gaz à effet de serre en lien avec l'activité humaine, « on pourrait aller vers + 4 ou + 5 °C d'ici la fin du siècle », a rappelé le climatologue Jean Jouzel, au congrès de Coop de France, à Paris, le 21 décembre. Or, l'agriculture sera l'un des secteurs les plus impactés par ce réchauffement climatique, avec des températures records « jusqu'à 55 °C dans l'Est de la France, dans la deuxième moitié du siècle ». Cependant, l'agriculture est également source de solution, ajoute le scientifique, qui incite les agriculteurs à prendre le problème à bras-le-corps et à intégrer la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique dans les stratégies de développement. D'autant plus que les consommateurs sont en demande de transition et, s'ils continuent d'avoir confiance à 66 % dans les agriculteurs, cette confiance était à 81 % il y a quelques années, rappelle le sociologue Gérald Bronner, en s'appuyant sur le baromètre annuel Ipsos. Pour lui, la situation s'explique par la « transition informationnelle » que nous vivons : « Nous croulons sous les informations et la peur est l'une des meilleures façons de capter l'attention. On confond la visibilité d'un message avec sa représentativité », résume-t-il. Dans ces débats, les agriculteurs, qui ont des compétences techniques certaines, « doivent se battre pied à pied pour faire valoir leurs informations. La partie n'est pas perdue, mais encore faut-il accepter de la jouer », insiste-t-il.
Rétablir la confiance
En réalité, la transition de l'agriculture vers un modèle plus durable est à l'œuvre depuis de nombreuses années. L'un des principaux enjeux est de le faire savoir. « Le consommateur est prêt à mettre un peu plus cher pour une alimentation plus respectueuse de l'environnement », indique Pascal Canfin, directeur général de WWF, ancien ministre du Développement. Pour lui, les actions à mener pour retrouver de la valeur économique sont donc globalement les mêmes que les actions à mettre en œuvre pour réussir la transition environnementale. Les États généraux de l'alimentation ont par ailleurs soulevé des pistes pour retisser le lien de confiance entre les Français et leur alimentation, comme en témoigne Guillaume Garot, président du Conseil national de l'alimentation et ancien ministre de l'Agroalimentaire. Il est nécessaire « d'objectiver les choses et la réalité des difficultés qui sont posées », explique le député de la Mayenne, qui a présidé l'atelier 10 sur le gaspillage alimentaire. Pour réussir les transitions, il faut néanmoins investir dans la formation des agriculteurs, ainsi que dans la recherche publique sur l'alimentation, indique-t-il. Le renforcement des contrôles pourrait également être nécessaire pour renforcer la confiance mais, sur ce point, Gérald Bronner incite à la prudence : « Attention à la transparence, la description du bien n'est pas la description du vrai » et trop de transparence pourrait aussi avoir un effet négatif en augmentant la méfiance des citoyens. La situation semble d'ailleurs spécifique à la France. Comme le raconte Damien Lepoutre, membre du comité de direction de la coopérative américaine Land O'Lakes : « Chez nous, quand il y a des problèmes, on invite les gens sur les exploitations » et cela permet de rétablir la confiance. « Les positions sont plus équilibrées qu'en France où 100 % des gens croient à la science au sujet du réchauffement climatique mais presque 100 % des gens ne croient pas la science quand il s'agit des OGM ! » remarque-t-il.
Les coopératives, un levier d'accompagnement
Dans ce monde en transition, « les coopératives sont de vrais acteurs du changement, avec une vraie capacité à le diffuser puisqu'elles conseillent trois agriculteurs sur quatre », rappelle Michel Prugue, président de Coop de France. Cependant, la transition doit rester « une démarche progressive et pédagogique », poursuit-il. « Il faut du temps pour acquérir les compétences », témoigne de son côté Jacques Bourgeaix, directeur général de la coopérative Cavac. « Il faut inculquer la culture du changement dans nos entreprises, c'est la clé du succès », poursuit-il, évoquant les freins qui sont aussi dans la tête des acteurs. Néanmoins, une rentabilité économique reste incontournable. « Nous sommes prêts à aller plus loin, plus vite, à condition que les conditions économiques soient bien appréhendées », insiste le président de Coop de France. Ce qui n'empêche pas les coopératives « d'être au service de la société, poursuit-il. Nous entendons les demandes et des débats ont lieu au sein des coopératives. »
La vigne, marqueur du changement climatique
Avancée des dates de vendanges, déficits hydriques accentués, vins plus alcoolisés, moins acides, nouveaux profils aromatiques… la viticulture est affectée par le changement climatique et les scientifiques étudient différentes stratégies d’adaptation. Les chercheurs de l’Inra et de l’université d’Harvard se sont intéressés à la possibilité d’exploiter la diversité des cépages cultivés mais peu utilisés par les viticulteurs pour s’adapter aux nouveaux climats dans les régions viticoles. Les chercheurs ont d’abord analysé les données du centre Inra de ressources biologiques de la vigne de Vassal-Montpellier. Ce conservatoire de référence au niveau international est composé de vignes provenant de 54 pays viticoles : 2 700 cépages, 350 lambrusques ou vignes sauvages, 1 100 hybrides interspécifiques, 400 porte-greffes et 60 espèces de vitacées. Les scientifiques ont croisé ces connaissances avec une base de données publiée par des chercheurs australiens qui décrit la distribution mondiale des cépages effectivement plantés dans tous les vignobles. L’analyse globale de ces données a permis de constater que les viticulteurs n’utilisent aujourd’hui qu’une très faible proportion de la diversité génétique existante de la vigne, à l’échelle mondiale. En effet,1 % des cépages (12 cépages sur 1 100 variétés de raisin de cuve cultivées) occupent environ 45 % des vignobles dans le monde. Et dans certains pays comme la Chine, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, ce pourcentage augmente jusqu’à plus du 80 % de leur vignoble. Plus extrême encore, en Chine, 75 % des surfaces sont cultivées uniquement avec un seul cépage, le cabernet sauvignon. Or, parmi les 1 100 cépages cultivés, certains d’entre eux sont mieux adaptés à des climats plus chauds et ont de meilleurs comportements face à la sécheresse.
Life-Adviclim
Le projet européen Life-Adviclim, piloté par Hervé Quénol du CNRS à l’université de Rennes 2, a pour objectif d’étudier des scénarios d’adaptation de la viticulture aux échelles locales pour différents vignobles représentatifs de la diversité climatique des régions viticoles européennes. « Nous tentons d’apporter des réponses en travaillant sur les pratiques culturales du vigneron, non pas en proposant des méthodes drastiques comme l’arrachage ou le déplacement de la vigne. Par exemple, un viticulteur pourrait réduire la température présente dans ses parcelles en enherbant sa vigne ou en enlevant quelques feuilles », explique le chercheur. Ainsi, 90 capteurs ont été installés dans les régions viticoles de Saint-Émilion et Pomerol. Les vignes du Coteaux du Layon et de Saumur Champigny ont été équipées d’un réseau d’outils de mesures agro-climatiques à l’échelle locale de la vallée de la Loire. Le vignoble de Rock Lodge à l’ouest du Sussex en Angleterre, la région viticole allemande de Rheingau et le vignoble de Cotnari en Roumanie font également l’objet d’expérimentations depuis 2008. « La vigne a l’avantage d’être un très bon marqueur du changement climatique. Son stade de croissance correspond à des saisons bien définies. Cela nous permet d’avoir des informations comparables d’une année à l’autre ».
Alison Pelotier