Jouer la transparence pour redonner confiance

«On n'a rien à cacher » ; « ça encourage et soutient les éleveurs » ; « c'est important pour l'avenir ». Les professionnels de la région ont l'air plutôt fier de faire découvrir leur travail pour la troisième année consécutive depuis le lancement des Rencontres « Made in Viande » en 2014. Jeudi 4 mai, abattoir de Saint-Romain-de-Popey, à quelques kilomètres de Tarare (69). Une bonne dizaine de journalistes est attendue pour une journée à l'enseigne de la transparence organisée par Interbev, interprofession viande. Les reporters se préparent à découvrir toute la chaîne de l'abattage des animaux sur cette première étape du voyage de presse avant de visiter des élevages, une boucherie artisanale et un rayon viande en grande surface.
« Dans les règles de l'art »
À Saint-Romain-de-Popey, environ 70 bovins, 260 porcs, 60 veaux et 80 agneaux sont abattus par semaine pour un total de 3 000 tonnes de viande par an. Une structure publique de taille moyenne appartenant à la communauté de communes de l'Ouest Rhodanien sous contrat d'affermage avec la Secat, société d'exploitation coopérative des abattoirs de Tarare présidée par Jacques Lespinasse. Au total, plus de deux heures seront passées entre ce lieu et l'atelier de découpe de la société Sopacel basée dans les mêmes locaux. Si les journalistes n'ont pas pu découvrir les opérateurs de l'abattoir sur leur poste de travail, ils ont néanmoins eu réponses à toutes leurs questions. Pas de tabou ni de langue de bois, la découverte de ces lieux tant décriés par les associations anti-spécistes a permis de lever le voile sur un certain nombre d'interrogations. Première parmi toutes : le bien-être animal. Ici, les bêtes arrivent habituellement très tôt les jours d'activité, vers 7 heures du matin environ. « L'idée, c'est de les faire attendre le moins possible », explique Jacques Lespinasse, directeur de Sopacel, soucieux de montrer « qu'il existe des professionnels qui pratiquent leur métier dans les règles de l'art ». Mais ces « règles de l'art » justement, quelles sont-elles ? Tout d'abord, pour pouvoir commercialiser leur viande, les abattoirs doivent être agréés CE, c'est-à-dire respecter un cadre réglementaire strict explicité dans le Journal officiel de l'Union européenne. Il s'agit ici de veiller à la protection des animaux au moment de leur mise à mort, en pratiquant l'étourdissement obligatoire avant l'abattage. L'arrêté du 12 décembre 1997 du code rural français place le cadre des procédés autorisés pour chaque espèce. Il impose, par exemple, des sols réduisant un minimum les risques de glissades, une aération appropriée et une quantité suffisante de litière adéquate pour tous les animaux. L'abattoir de Saint-Romain-de-Popey en est bien conscient. Pour conserver son agrément, il doit respecter un protocole soumis à la DSV, la direction des services vétérinaires. « Ils sont présents à chaque journée d'abattage. S'il n'y a pas de technicien, on ne peut pas abattre un seul animal », précise Marie Degand, responsable qualité. Des contrôles sont effectués après chaque déchargement, jusqu'à l'inspection des carcasses post-mortem. Ces règles de base doivent être respectées par tous les professionnels exerçant dans la filière au risque d'une condamnation très dissuasive pour mauvais traitements commis dans l'exercice d'une activité professionnelle : 6 mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende selon l'article L.215-11 du code rural.
Se montrer irréprochables
Le 4 février dernier, le mur intérieur des écuries annexes à l'abattoir de Saint-Romain-de-Popey a pris des couleurs inhabituelles. « Nous vous voyons, nous vous entendons, nous vous aimons, nous reviendrons », affichait un tag coloré signé 269 Life libération animale, association qui prône la désobéissance civile et la fin de la souffrance animale. « On ne peut pas leur interdire de venir. On a porté plainte mais ça a fait pschitt... », regrette Jacques Lespinasse. 180 km plus loin, à Autun, en Bourgogne, Sybille Le Meur, directrice de l'abattoir de la commune, a aussi choisi de jouer la transparence en ouvrant ses portes pendant les tueries sur simple demande du public. « J'accueille des groupes de six personnes maximum, des scolaires également. Depuis quatre ans, j'ouvre tous les samedis de Pentecôte », explique-t-elle. Dès sa prise de fonction en janvier 2014, cette Strasbourgeoise de 44 ans a dû d'abord redorer le blason d'un lieu à la réputation ternie, en pleine crise de confiance. Des employés peu valorisés, une ambiance « pas terrible ». Il était urgent de montrer que l'abattoir d'Autun savait parler aux salariés et à ses éleveurs. Depuis, la directrice,
ancienne responsable qualité, a décidé de parler ouvertement également au grand public. « C'est important de leur montrer qu'on n'est pas des monstres », explique-t-elle. « Il y a eu des abus dans certains abattoirs, je ne le nie pas. On n'est pas tous irréprochables. Des problèmes de cadence et de pression existent. Ce qui s'est passé nous a interrogés sur nos façons de procéder », précise le président de la Secat. Et d'ajouter : « On s'est complètement planté dans la filière viande en sous estimant les employés. On ne les a pas assez valorisé et les médias ont manipulé les images ». Avec une bonne dose d'humanité, Sybille Le Meur dit savoir parler à ses dix salariés. « Quand on vous demande de faire passer une bête par minute tout en vous criant d'aller plus vite, je comprends qu'on pète les plombs. Nous ne sommes que des humains », dit-elle en réagissant aux images de l'abattoir municipal d'Alès fermé en octobre 2015 suite à la diffusion d'images d'u
ne extrême violence. Pour elle, le ratio minimum pour un opérateur en abattoir ne doit pas dépasser une bête par heure par personne afin d'éviter le moindre faux pas pour les animaux mais aussi pour les salariés.
Alison Pelotier
Alexandre Berthet travaille depuis cinq ans dans l’entreprise familiale basée à Fleurieux-sur-Arbresle (69). La société exporte 96 % de ses bovins à l’étranger.
“ Il faut sans cesse montrer patte blanche ”
Dynamique, sûr de lui, le portable collé à l’oreille, Alexandre Berthet est investi dans la boîte de son père depuis l’âge de 18 ans. Fils et petit fils de commerçants en bestiaux, il baigne depuis toujours dans la vente de broutards, de taurillons ainsi que quelques génisses. Ce jeune homme au visage candide traite tous les jours avec des clients étrangers. Pour lui, cette profession a de l’avenir, malgré la concurrence et la fermeture régulière des frontières des pays du Maghreb et du Proche-Orient. Ils sont ses principaux clients et représentent 75 % du chiffre d’affaires de la société.Réglementation lourde
Bien qu’il débute dans le métier, il en a déjà bien compris les rouages. En tant que responsable des achats, la paperasse administrative et les contrôles sanitaires représentent son casse-tête quotidien. « Au-delà de la présence des services vétérinaires au chargement et au déchargement à chaque export, les services de l’État nous rendent visite très régulièrement. Il faut sans cesse montrer patte blanche », affirme-t-il. La réglementation encadrant l’export des bestiaux est particulièrement stricte en France. La traçabilité de l’animal doit être connue dès sa naissance jusqu’à son abattage. « Chaque bête est bouclée et détient un passeport ». La base de données nationale de l’identification (BDNI) permet de répertorier les bovins entrants et sortants du territoire français. « Tous les vendredis nous mettons à jour nos fichiers. On y retrouve le pedigree de chaque bête, ses vaccins, ses maladies et les antibiotiques pris avant son départ », précise-t-il. Les pays du pourtour méditerranéen sont particulièrement vigilants quant à l’expédition des animaux achetés en France. « Ils nous réclament un suivi poussé à l’extrême, souvent avec une demande de mise en quarantaine de 21 à 35 jours ». A cela s’ajoutent 3 à 4 prises de sang pour s’assurer que le bétail ne soit pas porteur sain d’une maladie et un contrôle vétérinaire avant l’embarquement. « On peut arriver à 150 euros par animal juste pour les frais sanitaires, plus 200 euros par tête, s’il est mis en quarantaine. Dans ce cas il nous faut presque un mois pour effectuer une livraison ». De leur côté, l’Italie et l’Espagne, également clients de la société, sont plus attachés à la qualité et au potentiel génétique des bovins achetés, originaires pour la plupart de Bourgogne, le berceau du charolais. Un rapport basé davantage sur la confiance.
Un marché déstabilisé
Quant au transport des bestiaux, la société Berthet affrète elle-même les navires au départ du port de Sète par l’intermédiaire d’un agent maritime. « On est maître d’œuvre du début à la fin du trajet ». Les bateaux sont désinfectés à chaque départ et les animaux disposés à l’intérieur de box de 6 à 12 places sur paille et foin. En mer, aucune législation n’impose un nombre d’heures minimum de transport. Il peut donc durer plusieurs jours. En camion, la durée est fixée à 12 heures au bout desquelles le conducteur est obligé de s’arrêter pendant 24 heures. « Ils sont placés dans des box de 5 à 10 places avec abreuvoir et ventilation mais ils ne peuvent pas tous se coucher en même temps par manque de place », explique Alexandre Berthet affirmant qu’une grosse partie des animaux est vendue au kilo avec une marge nette moyenne de 2, 8 % par tête de bétail. S’ils perdent du poids, ce n’est donc plus rentable pour la société. « On a tout intérêt à prendre soin d’eux ». Si au mois de juin, 400 charolaises de Normandie prendront l’avion direction Téhéran grâce à un accord pris entre Hervé Morin et un propriétaire iranien, pour le moment la SAS Berthet n’envisage pas ce mode de transport, « trop cher ». « À titre d’exemple, en avion, il faut compter 350 à 400 euros par animal pour aller en Turquie, 100 euros en bateau ». Alors que ces dernières années le marché de l’export explose en Espagne, la France essuie encore les pertes financières de la fièvre catarrhale de 2015. « La législation est moins stricte dans ce pays, peu bridé par les lourdeurs administratives ». Pas plus tard que la semaine dernière (semaine 18), 1 500 montbéliardes françaises engraissées en Espagne sont parties par mer en Israël et en Égypte. La société française craint de ne plus réaliser de bénéfices si la réglementation continue de peser autant sur son activité. « Depuis quatre mois, nous tentons de sauver les meubles, à la limite de la perte ».A. P.