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Economie et social

“ Je ne souhaite à personne de traverser une telle expérience ”

Dans la Loire, 70 producteurs de lait ont traversé une véritable tempête en 2011-2012 lors de la liquidation de leur collecteur. S’ils sont parvenus à tenir, c’est grâce à une capacité d’organisation collective du monde agricole. Récit d’un acteur de l’époque, Stéphane Joandel.

“ Je ne souhaite à personne de traverser une telle expérience ”

En décembre 2011, les producteurs de lait des Monts du Forez perdent leur unique débouché. L'entreprise Forez Fourme qui collectait leur lait, près de 10 millions de litres par an, est en liquidation judiciaire. Les 70 producteurs de cette zone de montagne restent sur le carreau, sans solution. « Il n'était pas question d'arrêter, de baisser les bras et de voir disparaître 70 producteurs de lait, raconte Stéphane Joandel, éleveur con-
cerné et président du syndicat de producteurs des Monts du Forez. Nous avons relevé nos manches et nous nous sommes battus pour trouver des solutions. » Pour éviter une rupture de la collecte, le lait produit par les éleveurs du Forez part d'abord pour l'Italie via un courtier. La laiterie de Savigneux assure alors toute la chaîne logistique pour permettre de collecter le lait, de le stocker et de l'expédier vers l'Italie. « La situation économique des exploitations laitières se dégradait très vite puisque nous étions payés 80 à 90 euros/1 000 l de moins que nos collègues collectés par Sodiaal ou Lactalis », se souvient Stéphane Joandel.

Ne pas perdre espoir

Chez les producteurs, le moral était bas et les trésoreries exsangues. « Je ne souhaite à personne de traverser cela, explique Stéphane Joandel. C'était une expérience difficile, très difficile. Il y a eu des moments où je pensais que l'on n'y arriverait pas mais grâce au réseau et à l'organisation collective, finalement, la crise a été surmontée. » Stéphane Joandel assumait déjà des responsabilités au sein de la FDSEA de la Loire et de la fédération régionale des producteurs de lait (FRPL). « Nous avons activé tous les réseaux, et nous avons été bien épaulés par les responsables professionnels. André Bonnard, administrateur de la FNPL, a notamment mouillé la chemise pour trouver de nouveaux débouchés, tout comme Dominique Thizy, de la section laitière de la FDSEA de la Loire, Gérard Gallot, président de la FDSEA de la Loire, le président de la chambre d'agriculture de la Loire de l'époque, Raymond Vial, et j'en oublie. »

Un soutien indispensable

Grâce à une mobilisation dont le monde agricole a le secret, les producteurs laissés pour compte ont reçu le soutien du Département de la Loire qui a mobilisé une enveloppe exceptionnelle de 150 000 euros, tout comme la communauté de communes Loire Forez qui a apporté 50 000 euros. La MSA a fait également de gros efforts pour aider les producteurs. Une caisse de solidarité s'est formée avec plus de 80 000 euros. « On n'avait jamais connu une telle situation dans le secteur, et tout le monde s'est mobilisé, souligne Stéphane Joandel. Les CER réduisaient leur tarif, les vétérinaires aussi et beaucoup d'autres dont je ne me souviens pas. Sans ces soutiens, les exploitations qui avaient investi peu avant n'auraient pas pu tenir, les paies de lait ne suffisaient pas à payer les annuités... » Pour éviter des drames individuels, Stéphane Joandel avait pour préoccupation principale d'éviter que les éleveurs s'isolent. « On se voyait régulièrement entre producteurs, on faisait le point sur la situation. On travaillait avec la MSA pour identifier les exploitants les plus fragiles et leur apporter du soutien. » En octobre 2012, un repreneur, Éric Soubeyrand, relance l'usine. Il garde 24 producteurs de lait, 14 producteurs partent chez Sodiaal, trois pour une petite fromagerie sur Sauvain et les 29 autres doivent arrêter le lait soit en partant à la retraite, soit en s'orientant vers d'autres productions. « Pour ceux qui voulaient continuer le lait, cela a été très dur mais, au final, aucun d'entre nous a démantelé son exploitation. » En 2015, Casino a pris le contrôle de l'Entreprise laitière de Sauvain (ELS) qui transforme 4,5 M de litres de lait en fourme de Montbrison et fourme d'Ambert. Le distributeur a investi depuis dans l'usine. Aujourd'hui, les 24 producteurs de lait d'Entreprise laitière de Sauvain sont plus sereins. « On va de l'avant, on a réinvesti et on a même réinstallé des jeunes », conclut Stéphane Joandel. 

Camille Peyrache