Il faut réapprendre au loup la peur de l’Homme

Et si le loup avait changé de comportement vis-à-vis de l'Homme ? Une récente enquête, intitulée Quand les loups franchissent la lisière, menée par deux chercheurs, Michel Meuret de l'Inra et Laurent Garde du Cerpam(1), s'est intéressée à cette question à partir d'un cas vécu à Seyne-les-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence). L'enquête porte sur une lisière d'une dizaine de kilomètres de long, à 1 500 mètres d'altitude, entre un bocage pâturé par des troupeaux et une forêt implantée sur le versant sud d'un massif montagneux. C'est un incident en juin 2015 qui a attiré l'attention des deux chercheurs. Le fils d'un éleveur de vaches allaitantes de Seyne-les-Alpes, Romain Ferrand, raconte avoir été attaqué par huit loups vers minuit, alors qu'il se rendait à pied avec son frère aîné auprès des vaches et de leurs veaux qui meuglaient très fort et inhabituellement à moins de 100 mètres de la ferme. « Il nous a semblé que ce témoignage n'était pas aussi surprenant que ça et qu'il méritait que l'on s'y intéresse », explique Michel Meuret. Les deux chercheurs ont alors mené durant trois mois un travail digne d'une enquête policière en réalisant 22 entretiens directs et approfondis avec des éleveurs, des chasseurs, des randonneurs ou encore des agents des services publics(2). « Notre enquête a mis en évidence que les loups étaient bien présents sur ce territoire, puisque 14 témoins ont indiqué en avoir vu un ou plusieurs d'assez près et à différents endroits », souligne le chercheur. Les chasseurs ont indiqué que, depuis plusieurs années déjà, les ongulés sauvages étaient devenus bien plus rares. De leur côté, les éleveurs ont constaté un changement de comportement très préoccupant chez leurs bovins qui se montrent inquiets, voire paniqués. « À leur arrivée sur la zone, les loups se sont probablement attaqués aux chevreuils et chamois. Ceux qui ont survécu se sont adaptés en se dispersant et en étant plus furtifs, d'où une plus grande difficulté pour les loups à les chasser, décrit Michel Meuret. Cela pourrait expliquer le report des loups sur les troupeaux et leurs attaques, y compris en journée, qui se sont alors multipliées sur le secteur. »
Le loup va à la facilité
« Le loup a, comme tous les prédateurs, deux préoccupations principales chaque jour, trouver à manger et ne pas se faire tuer », indique Michel Meuret. Souvent, il va à la facilité. Avec les troupeaux domestiques, c'est simple. Les loups ont le temps d'observer pendant plusieurs jours, de repérer les humains habituellement présents et de constater s'ils représentent ou non un danger. Contrairement à nous, les loups se fient d'abord à leur odorat, à l'ouïe, puis à la vue. Ils sont capables d'identifier des humains à plusieurs centaines de mètres. »
Dans l'affaire Ferrand, l'enquête montre qu'il y a eu neuf rencontres en un mois sur le même pré entre les loups et cette famille d'éleveurs, dont deux attaques de jour interrompues, suivi d'une autre réussie sur un veau. « On peut penser que les loups connaissaient déjà bien les lieux, les éleveurs, leurs horaires d'activités, et que les loups, en meute d'une dizaine avec des jeunes à nourrir, étaient aussi devenus particulièrement téméraires », précise Michel Meuret. Les loups ne se sont pas montrés durant les quatre jours consécutifs où le lieutenant de louveterie du secteur et un agent de l'ONCFS, qui eux étaient des inconnus pour les loups, ont été se placer pour un tir d'affût depuis le bord de ce pré suite à la perte du veau. C'est dans la nuit du cinquième jour, donc juste après leur départ, que les loups ont à nouveau attaqué. Inquiétés par les meuglements des bovins, Romain Ferrand et son frère sont montés à pied, lampe et fusil en main. Puis, laissé seul par son frère parti chercher le tracteur pour y voir plus clair avec les phares, Romain a été menacé par deux groupes de loups qui lui ont foncé dessus, le plus proche arrivé à moins de 15 mètres. Les loups ont pris la fuite après un coup de fusil du jeune homme, totalement paniqué, et surtout avec l'arrivée du gros tracteur. L'enquête à Seyne-les-Alpes met en avant les multiples rencontres entre des humains et des loups sur ce territoire. Selon Michel Meuret, ces interactions entraînent une modification de comportement du prédateur. « Cette familiarisation est le résultat d'un processus long et interactif via des rencontres successives, décrivent les chercheurs. Ce phénomène est connu sous le nom d'« habituation ». Il est décrit dans une abondante littérature scientifique à l'échelle mondiale concernant les prédateurs comme les tigres ou les coyotes. Quand ces derniers croisent régulièrement des humains et que ceux-ci ne représentent pas de réel danger, ils les considèrent peu à peu comme des éléments sans risque du paysage et perdent leur crainte initiale de l'Homme. »
Pour Michel Meuret, « cette évolution comportementale des loups n'est pas de leur responsabilité, mais de la nôtre. Nous avons mal accueilli les loups en France, en les mettant sous statut légal de protection stricte. En Italie, ils étaient le plus souvent tenus à distance des troupeaux par des éleveurs et des bergers armés de fusils. Des chercheurs italiens estiment que 200 à 300 loups sont abattus chez eux (illégalement) chaque année. Arrivés en France, et surtout d'abord dans un parc national, ils ont trouvé la paix. Ils ont désappris le danger que représente la proximité de l'Homme et de ses troupeaux. »
Marquer les limites
Alors comment s'en sortir ? Selon le chercheur « il est bien tard, mais il faut quand même tenter de réapprendre aux loups le danger que représente la présence de l'Homme. Cela passerait par des autorisations de tir d'autodéfense immédiate, pour les éleveurs, bergers, et leurs collègues chasseurs autorisés, sur les loups qui s'attaquent à leurs troupeaux. Le but étant de signifier aux loups, devenus beaucoup trop opportunistes, qu'il est dangereux pour eux de s'attaquer aux troupeaux et aussi de rester à proximité des fermes et des villages. À partir de là, les clôtures, chiens, ou autres techniques d'effarouchement qui sont censés marquer les limites, reprendront un intérêt et gagneront probablement en efficacité, puisqu'elles viendront simplement rappeler aux loups le danger qu'il y a à franchir ces limites. »
Camille Peyrache
(1) Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée.
(2) http://www.sad.inra.fr/Toutes-les-actualites/Loups-franchissent-lisiere
Bilan / 4 971 victimes du loup indemnisées en France, en 2015, sur la période allant du 1er janvier au 31 août ; 5477 victimes indemnisées pour la même période en 2016 et, pour cette année 2017, 6 040 victimes. D’année en année, les attaques et victimes imputées au loup progressent, augmentant d’autant la détresse des éleveurs !
Attaques et victimes du loup en hausse
D’après les chiffres extraits de la base de données Géoloup, publiés dans la dernière lettre d’information sur le loup (juillet-août 2017), disponible sur le site de la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes, sur les huit premiers mois de l’année 2017, 1 759 constats de prédation du loup provoquant 6 040 victimes indemnisées et en cours d’instruction(1) ont été recensés. La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur arrive en tête de ce macabre palmarès, avec un total de 1 125 constats de prédation du loup indemnisés, et 3 877 victimes. Puis arrive Auvergne-Rhône-Alpes, avec 450 constats et 1 449 victimes indemnisées. Les régions Grand-Est, Occitanie et Bourgogne-Franche-Comté figurent également dans les territoires de chasse du prédateur avec respectivement : 362, 310 et 42 victimes indemnisées.Auvergne-Rhône-Alpes, au menu du loupEn Auvergne-Rhône-Alpes, le loup est particulièrement actif en Savoie. Au 31 août 2017, ce département comptabilise 222 constats d’attaques pour 747 victimes indemnisées. La Drôme est le deuxième département à subir les dommages du prédateur avec 99 constats et 281 victimes indemnisées ; puis l’Isère qui déplore 82 attaques pour 282 victimes ; la Haute-Savoie 43 constats et 129 victimes et, enfin, le Cantal et l’Ardèche avec respectivement 8 et 2 victimes. Du côté du prédateur, sur l’autorisation de prélèvement dont le nombre est fixé à 40 par un arrêté ministériel pour la période 2017-2018, au 31 août 2017, 14 loups ont été décomptés de ce plafond, abattus dans le cadre de tirs de défense. C. D.(1) Données non stabilisées.Graphiques à consulter
Ailleurs / Le contrôle des loups
En France et dans plusieurs pays européens, le loup est strictement protégé. Mais ce n’est pas le cas de tous les pays au monde. Certains pays régulent les loups quand leur population est trop importante ou quand il pose des difficultés aux activités humaines. C’est le cas de l’Espagne, l’Autriche, la Turquie, les pays baltes et scandinaves ou le Canada. D’autres pays classent le loup en nuisible et autorisent, voire récompensent, la chasse aux loups. C’est ainsi en Russie, Mongolie, Chine, les pays d’Asie centrale, la Macédoine ou encore la Serbie. Les États-Unis sont un cas particulier où plusieurs statuts coexistent de la stricte protection à la chasse autorisée.
Au parc Yellowstone
Au milieu des années 1980, certains États des Etats-Unis ont souhaité réintroduire le loup dans les montagnes rocheuses dont fait partie le parc national de Yellowstone. Cette réintroduction a été préparée pendant plus de dix ans avant de devenir opérationnelle. Dans cette zone des États-Unis, les paysages sont assez proches de nos moyennes montagnes. Il y a de gros effets de lisières entre les zones boisées à flanc de montagne et les plaines agricoles. Entre 6,1 millions bovins viande et 0,8 million d’ovins paissent sur ce secteur. En 1995-1996, 66 loups ont été réintroduits avec un objectif de 300 loups. Aujourd’hui, ils sont 1 780 loups. Là-bas, les bergers et les éleveurs sont entraînés à lutter contre toutes sortes de prédateurs : coyotes, pumas et ours. Avant même la réintroduction en 1990, les services des parcs nationaux indiquent qu’en « supprimant les quelques loups qui s’attaquent au bétail, il s’agit d’accroître les chances de survie des autres ». Contrairement à la France, dès l’origine des réintroductions, le principe des actions de contrôle des loups et des meutes à problème est posé. Les loups posant des soucis sur les troupeaux sont donc abattus par des tirs de contrôle et des éleveurs autorisés. Les prélèvements atteignent jusqu’à 15 % de la population totale de loups à partir de 2005. En moyenne, entre 2006 et 2014, il y a eu des prédations de loups sur 180 bovins et 330 ovins, soit des chiffres bien plus faibles qu’en France pour une population de loups quatre à cinq fois supérieures à ce que l’on connaît.
Au Kirghizistan
À l’inverse, le Kirghizistan est un pays d’Asie centrale dans lequel le loup a été plutôt très bien contrôlé pendant l’ère soviétique avec des bergers armés et des chasseurs professionnels. Mais, après la chute de l’URSS, les fusils des bergers ont été repris et certaines estives les plus éloignées ont été délaissées. Avec l’impossibilité des bergers à tirer pour effrayer les loups et la fin des chasseurs professionnels, ces prédateurs sont devenus moins peureux. Parallèlement, sur place, on constate que les attaques de loups ont lieu de plus en plus près des habitations, qu’elles ont significativement augmentées et se produisent de plus en plus la journée. « On observe qu’il y a une relation dynamique entre les humains et les loups, explique Nicolas Lescureux, chercheur au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive au CNRS. Quand on chasse le loup, il garde ses distances et, quand on arrête de le chasser, il n’y a plus de réciprocité, le loup se rapproche. Dans la population kirghize, le statut du loup est passé d’un ennemi respectable à contrôler, à un envahisseur qui menace le revenu des éleveurs. »
C. P.