“ Il faut faire connaître l’élevage tel qu’il est ”

Comment réagissez-vous face aux attaques médiatiques vis-à-vis de l'élevage ?
Christiane Lambert : « Avant tout, nous gardons le cap. Nous sommes des professionnels de l'élevage, consciencieux, méticuleux, respectueux du bien-être de nos animaux... L'objectif de tout éleveur est de réunir tous les éléments nécessaires en matière de logement, d'alimentation, de santé, de biosécurité, en faveur d'un bien-être animal indispensable à une production dans les meilleures conditions. »
Le premier chantier, dont découle directement la réglementation en la matière, est le volet législatif. Qu'attendez-vous de la prochaine législature ?
C. L. : « Nous avons préparé avec les interprofessions de l'élevage une plateforme de position à destination des candidats à l'élection présidentielle. Nous avons également des contacts avec les commissions économique et développement durable de l'Assemblée nationale et du Sénat pour sensibiliser leurs membres au harcèlement dont nous sommes victimes, avec des caricatures de l'élevage qui ne doivent pas donner lieu à une inflation législative sous le lobby des ONG. Il faut faire savoir que les grands bâtiments d'élevage modernes sont souvent conçus en prenant en compte toutes les conditions de confort nécessaires aux animaux – espace, luminosité, ouverture... - parfois davantage que dans les bâtiments plus anciens. Grâce aux nombreux plans d'accompagnement à la modernisation des élevages depuis 20 ans, la réalité de l'élevage français est très différente des feedlots américains ou des élevages concentrés d'Asie du Sud-Est. »
Comment contrebalancer le message négatif diffusé dans les médias ?
C. L. : « Nous avons besoin de faire connaître l'élevage tel qu'il est, face à une vision « Disneyisée » de la société, influencée par la place des animaux de compagnie. L'élevage consiste à élever des animaux de rente pour la consommation. Nous sommes d'ailleurs en contact avec des nutritionnistes pour que soient plus largement diffusés des avis d'expert sur l'importance de consommer de la viande dans un régime alimentaire équilibré. Nous voulons parler aux mangeurs de viande et que leur choix soit respecté. Il ne faut pas oublier que la France est un pays de tradition culinaire et bouchère, avec de nombreuses spécialités régionales à base de viande, souvent sous signe officiel de qualité, qui font notre renommée à l'international. C'est cette image de bonne chair à la française que nous voulons promouvoir, à travers les salons, l'opération Made in Viande, les portes ouvertes, #Agridemain, mais aussi par les réseaux sociaux où il faut mettre en avant toute forme de communication positive. »
Comment s'y prendre pour communiquer positivement ?
C. L. : « Les éleveurs ont bien compris que c'est dans leurs fermes que se trouvent les plus belles images d'animaux. Les vidéos de ce type se multiplient, certaines font le buzz. Les éleveurs ont à cœur de raconter avec des mots simples la façon dont ils se forment sur l'alimentation, les soins, l'homéopathie, mais aussi sur les capteurs et le numérique qui permettent d'analyser au plus près les comportements des animaux pour s'y adapter. La parole des éleveurs est sincère et crédible, d'autant que la profession est mobilisée pour faire bouger les pratiques : le CNPO a mis en place une charte pour atteindre les 50 % d'œufs non cage en 2020, la filière équine a sa charte de bien-être animal depuis l'année dernière et lance une application mobile... Vivea accompagne un large plan de formation à la gestion de la douleur pour l'ébourgeonnage des veaux et l'écornage des bovins. Les éleveurs sont en mouvement ! »
Point de vue /
Une société qui ne regarde plus la mort en face
Dans une société riche et urbanisée, le rapport aux animaux a changé. Elle a construit une relation avec les animaux via le prisme de l’animal de compagnie, explique le philosophe Francis Wolff. À cette évolution s’ajoute également le fait qu’il n’y a « plus de grandes utopies, de grands mouvements de libération auquel on peut croire, et que l’animal avec un grand A est la dernière grande cause dans notre société », explique-t-il. Cependant, « aujourd’hui, nous ne voulons pas vivre sans les animaux, ni en faire des personnes même si les relations avec les animaux de compagnie sont personnifiées », poursuit-il. Reste une solution : « Nous devons donner aux animaux à proportion de ce qu’ils sont pour nous et de ce qu’ils nous donnent ». Ce qui se traduit certes par de l’affection envers les animaux de compagnie élevés dans le seul but de les aimer, mais aussi par des obligations environnementales et de respect de la biodiversité pour la faune sauvage. Quant aux animaux d’élevage élevés pour leurs œufs, leur lait, leur viande, « nous leur devons le bien-être », rappelle Francis Wolff. Bien-être qui se définit par l’absence de stress, de peur, de douleur, une alimentation suffisante, et des conditions de vie conformes aux exigences de leur espèce. « C’est ce que font les éleveurs, au détriment parfois de leur propre rendement », souligne le philosophe.Communiquer sur les pratiques d’élevage
Rétablir la vérité est donc un enjeu pour la profession agricole, d’autant que « la mort s’est éloignée de nous, y compris dans la vie quotidienne », note Christiane Lambert, de la FNSEA. La modification du rapport des citadins aux animaux et leur rapport presque tabou avec la mort rend l’idée de l’abattage insupportable à une partie de nos contemporains qui consomment pourtant de la viande. Et si les scandales des abattoirs ont renforcé la demande de transparence à l’égard des pratiques, notamment via la vidéosurveillance, « il n’est pas sûr que notre regard soit à même de supporter la mort en face », indique Francis Wolff. D’où l’importance renforcée de communiquer sur les pratiques et sur les nombreuses évolutions qui ont eu lieu dans les exploitations agricoles en faveur du bien-être animal. Donner la parole aux éleveurs, c’est aussi montrer que la profession est plus en phase que certains le croient avec les attentes sociétales croissantes autour de la condition animale.
