Grotte Chauvet-Pont d’Arc : 25 ans de mise en lumière
les connaissances sur l’origine de l’art pariétal.

Le 18 décembre 1994, la découverte d'une grotte dans le cirque d'Estre près du Pont d'Arc (Ardèche) va bouleverser toutes les connaissances sur l'Histoire de l'art. Trois passionnés de spéléologie sont à l'origine de cette trouvaille : Jean-Marie Chauvet, Éliette Brunel et Christian Hillaire. Intrigués par un courant d'air dans la falaise, ils creusent ce jour-là un sillon de 7 mètres de long et découvrent un espace souterrain qui se compose de plusieurs salles et galeries. À l'intérieur, les parois sont ornées de dessins, peintures et gravures d'animaux préhistoriques réalisées par les Aurignaciens. Lions, ours, chevaux, mammouths, bisons, rhinocéros, cerfs mégacéros, bouquetins... Des animaux uniques dans l'art pariétal tels que la panthère, le bœuf musqué et le hibou apparaissent aussi. Cette exploration coupe le souffle des découvreurs qui attendront le 29 décembre 1994 pour y emmener Jean Clottes, spécialiste de l'art des cavernes, afin de procéder à l'authentification des lieux.
La plus impressionnante grotte ornée du monde est alors révélée au grand jour. Elle est restée quasiment intacte depuis des millénaires. Les équipes de recherche identifient un millier de représentations et plus de 420 animaux. Les plus anciens dessins remontent à 36 000 ans ! Baptisée la « Grotte ornée Chauvet-Pont d'Arc », elle est fermée au public pour ne pas altérer l'état de ses parois. En juin 2014, la totalité de la cavité est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, ainsi que l'écrin paysager naturel et le bassin hydrogéologique d'alimentation de la cavité dont l'arche naturelle du Pont d'Arc. Dès 2015, la réplique de la grotte originelle « Grotte Chauvet 2 – Ardèche » ouvre ses portes au public, sur le plateau de Razal situé à proximité. À ce jour, elle a été fréquentée par plus de 2 millions de visiteurs venus du monde entier.
Des témoignages exceptionnels
Depuis 25 ans, les œuvres de Chauvet fascinent les spécialistes et le grand public, tant par leur technique que par leur narration. Les animaux apparaissent vus de face, de profil, de dos, en relief et donnent parfois même l'illusion d'un mouvement. Les Aurignaciens ont composé ces dessins à la pointe du doigt, à l'aide d'outils, de charbon, de terre ou raclés contre les parois. Ils ont associé les techniques de dessin, d'estompe et de détourage. Du jamais vu ! Les œuvres ont été contrastées afin de donner une véritable expression aux animaux. Les pendants et la structure des parois ont aussi été utilisés pour donner vie à ces esquisses. Dans certaines galeries, les animaux se font face, laissant deviner le fil d'une histoire...
Au fond de la cavité, une fresque spectaculaire est découverte. D'un côté, une douzaine de rhinocéros tournés dans la même direction se superposent, évoquant le mouvement d'un troupeau. Au centre, une petite alcôve abrite la représentation d'un cheval et sûrement un lieu de croyances pour les Aurignaciens. S'en suivent des dessins de mammouths... Avant de laisser apparaître un panneau désormais emblématique : le profil d'un groupe de lions, mâles et femelles, en train de chasser des bisons. À droite, un bison noir dessiné sur le bord d'une cavité crée l'illusion d'une œuvre en trois dimensions. Plus loin, un rhinocéros crache du sang.
La vie dans les cavernes
Bien que la grotte ne soit pas un lieu d'habitation pour les Aurignaciens, elle était sans nul doute un lieu où ils se réunissaient. Ils en ont investi chaque recoin. Dans les premières galeries, de nombreuses traces de points-paumes rouges similaires à celles découvertes dans la Grotte des Points (Gard) ont été réalisées. Des aires de combustion de bois de pins, dont le charbon a servi à tracer des dessins au fusain, gravitent dans différentes salles. Des « banquettes argileuses » sont découvertes dans l'une d'entre elles, tel un amphithéâtre naturel. Au fond de la galerie des Croisillons, des traces de pieds humains apparaissent sur 70 mètres au sol et des mouchages de torche colorent le plafond de la voute. Dans la galerie des Mégacéros, une vingtaine de pièces d'industrie lithique (Paléolithique récent) sont également retrouvées, des objets en silex, un galet de granit...
Des arbres, plantes herbacées et steppiques ou fougères ont été identifiés grâce à la présence de divers résidus et des empreintes de végétaux fossiles, sous forme argileuses ou calcinées.
Dans les parties profondes de la cavité, des « griffades » d'ours sont aussi découvertes à plus de 3 m de hauteur, correspondant à la taille des plus grands ours connus jusqu'ici, ainsi que de nombreux nids d'hivernation. Le sol de plusieurs salles est jonché d'ossements par endroits. Un crâne d'ours a été placé sur un bloc rocheux. Des dizaines d'autres sont situés à proximité au sol.
Anaïs Lévêque
Infos pratiques
• Une visite virtuelle de la Grotte Chauvet-Pont d’Arc est accessible gratuitement sur le site Internet : www.archeologie.culture.fr/chauvet/fr.
• Des visites guidées de la réplique Grotte Chauvet 2 – Ardèche (Vallon- Pont-d’Arc) sont proposées tous les jours et toute l’année. Plus d’informations sur le site
www.grottechauvet2ardeche.com.

“ L’animal sort de la roche ”
Qu’a apporté la découverte de la grotte Chauvet-Pont d’Arc ?Marie Bardisa : « Elle représente un changement très important de la perception de l’Histoire de l’art. Jusque là, l’art commençait à l’époque aurignacienne avec un travail extrêmement schématique et géométrique qui allait croissant et se spécialisait dans le temps pour arriver à un sommet qui correspond à la grotte de Lascaux
(- 18 000 ans). Chauvet, c’est 18 000 ans de plus ! 36 000 ans avant, nous sommes déjà dans une perfection de l’expression plastique qui étonne autant dans l’organisation des dessins – on peut parler de composition – que dans la qualité des programmes – narratifs – et sur le plan de la technique avec le travail d’estompe et de détourage. Il n’y a pas de reprise, les traits courent tous seuls. Le plasticien qui a fait ça était quelqu’un d’aguerri, qui maîtrisait complètement son outil. C’est une pratique qui s’était transmise peut-être aussi. »
Qu’est-ce qui vous frappe le plus sur ces dessins ?
M. B. : « Ce qui me frappe, c’est le contraste. Il fait un dessin, il noircit bien et il vient détourer autour du noir parce qu’il a compris que le contraste entre le noir et le blanc va faire ressortir le dessin et donc l’animal, lui donner une véritable expression. C’est très caractéristique de Chauvet : l’animal sort de la roche. C’est ce qui lui donne sa puissance et son mouvement. »
Quels sont les atouts de cette grotte vis-à-vis d’autres grottes ornées ?
M. B. : « Elle a trois étoiles ! La première chance que nous avons eu, c’est qu’elle a été fermée par un éboulement il y a 21 500 ans, ce qui l’a préservée. La seconde, c’est qu’elle a bénéficié de l’expérience de la grotte de Lascaux (Dordogne) où l’on avait fait des bêtises, nous savions qu’il ne fallait pas les reproduire. La troisième chance, ce sont les découvreurs qui étaient très expérimentés. Ils ont tout de suite regardé par terre et veillé à ne pas détruire les sols. »
Comment vous y prenez-vous pour la préserver justement ?
M. B. : « En se battant tous les jours et en prévenant les chercheurs qui sont souvent tentés d’aller plus loin et franchissent parfois des limites. »
De nouvelles découvertes peuvent être faites ?
M. B. : « Les technologies nouvelles pourront peut-être nous aider à retrouver des choses qui aujourd’hui nous échappent. C’est pour ça que je tiens beaucoup à ce que l’on préserve tout ce que l’on peut préserver même quand cela a déjà été foulé aux pieds. Quand on regarde bien attentivement ces dessins, on peut constater qu’il y en a d’autres derrière. Ceux que nous voyons ne sont pas les plus anciens. »
Propos recueillis par A. L.