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Viande bovine

France, dis-moi quel élevage bovin  tu veux pour demain...

Après une année 2022 que les responsables de la Fédération nationale bovine (FNB) n’hésitent plus à qualifier « d’année de rupture », la décapitalisation du cheptel allaitant devrait s’aggraver encore.

France, dis-moi quel élevage bovin  tu veux pour demain...
Sur la seule année 2022, l’élevage français accuse une perte de 110 000 vaches allaitantes. © DR

À force de crier au loup et de ne pas être écoutée... advient ce qui devait arriver : la filière bovine allaitante française subit de plein fouet les conséquences structurelles des phénomènes sur lesquels les éleveurs alertent l’aval et les pouvoirs publics depuis plusieurs années déjà, en vain. « Si on avait dit en 2016 que six ans plus tard, il manquerait en France 837 000 vaches, dont 500 000 vaches allaitantes, on nous aurait encore taxés de tenir un discours purement syndical, populiste », avançait  dernièrement Bruno Dufayet, alors président de la FNB (Fédération nationale bovine). Après une année 2022 que les responsables de la FNB n’hésitent plus à qualifier 
« d’année de rupture », il y aura un avant et un après. 2022 a vu la décapitalisation du cheptel allaitant s’aggraver encore, avec 110 000 vaches de moins (- 3,7 %) et, pour la première fois, des conséquences bien visibles sur les chaînes d’abattage : - 4 %. Un déficit de vaches, donc de naissances et in fine de veaux pour l’export : toutes destinations confondues, l’année 2022 se termine sur une baisse de 8 % de bovins vifs exportés.

La France n’est plus autosuffisante

Autre répercussion de cette spirale : pour la première fois également depuis des décennies, la France est entrée dans une ère de pénurie de viande bovine. Et alors que la consommation se tient (+ 0,2 % en 2022/21) – « seul chiffre positif de l’année », glissait en février dernier Bruno Dufayet - cette pénurie a servi d’appel d’air aux importations, en nette progression (+ 10 points en trois ans). Ainsi, l’an dernier, plus d’un quart de la viande de bœuf consommée (29 %) dans l’Hexagone était étrangère, notamment dans la restauration commerciale. 
« Des faiseurs qui travaillent beaucoup de viande hachée sont allés chercher du prix, avant l’origine France », relève Cédric Mandin, secrétaire général de la FNB. Dans ces conditions, « faut-il continuer à communiquer en faveur de la viande bovine, si c’est pour nourrir les 
importations », interrogeait Bruno Dufayet. Certes, les cours des animaux ont connu, quelle que soit la catégorie, un spectaculaire 
redressement, cependant insuffisant pour absorber la hausse des charges galopante et redorer le revenu des éleveurs de bovins viande, qui n’a pas dépassé les 18 200 € en 2022 chez les naisseurs selon les estimations de l’Institut de l’élevage publiées le 18 janvier. Seuls les polyculteurs-
éleveurs ont tiré leur épingle du jeu grâce aux grandes cultures avec un revenu qui s’est envolé à 72 400 € (naisseurs-engraisseurs + grandes cultures).

Des campagnes sans vaches ?

La production et la filière viande bovine sont de fait à la croisée des chemins, d’autant que si les vaches disparaissent du paysage, les élevages aussi : un quart d’élevages de bovins en moins en dix ans selon les données du dernier recensement agricole. Et l’enjeu est à venir : 46 % des vaches allaitantes sont détenues par des éleveurs âgés de plus de 55 ans. Alors sans une prise de conscience de l’aval et des signaux politiques clairs, « on pourrait avoir demain de vraies zones sans élevage bovin en France avec des conséquences pour le territoire », mettait en garde Bruno Dufayet à la veille du dernier congrès de la FNB. Une menace qui pèse notamment sur des régions au potentiel de reconversion, comme l’Ouest où la décapitalisation est la plus marquée. Mais même les berceaux allaitants historiques, Bourgogne, Massif central, n’échappent plus au phénomène. Faute de perspectives, de rentabilité, les projets d’installation se font plus rares et on assiste parallèlement à une désintensification de la production au sein des cheptels existants, désintensification par ailleurs poussée par les aléas climatiques.

La contractualisation avance

Les perspectives, elles, sont aujourd’hui dans deux camps, estime la FNB. Celui de la filière qui rechigne encore à appliquer la loi Égalim 2, même si la pénurie d’animaux a clairement rebattu les cartes, notamment chez les abatteurs qui s’engagent dans la contractualisation et la prise en compte des coûts deproduction. Les contrats ne sont donc plus l’exception, bien au contraire, pour les achats de jeunes bovins (JB) et génisses. « Les choses sont en train d’évoluer, il faut continuer à cranter », martèle Cédric Mandin.
Quant à la grande distribution, « elle s’assoit sur les ambitions d’Égalim, elle se moque complètement de la situation des éleveurs, ce qui lui importe c’est qu’il y ait de la viande dans les rayons ! », peste son collègue cantalien qui invite le patron de Bercy à s’emparer du sujet. « Avec Égalim 2 et la proposition de loi (PPL) Descrozaille [proposition de loi adoptée visant à pérenniser deux dispositifs majeurs d’Égalim : encadrement des promotions et le seuil minimum de revente à perte à 10 % - NDLR.], toutes les mécaniques sont là pour protéger la production », abonde Patrick Bénézit, nouveau président de la FNB. Au-delà, ce qu’attendent aujourd’hui les éleveurs français, c’est un positionnement clair de l’État français : « On a besoin de savoir quel modèle d’élevage veut la France et qu’il y en ait une écriture politique. Un modèle à taille humaine, durable, à l’herbe comme l’est l’élevage français actuellement et que nous défendons à la FNB ou bien celui des feed-lots, visant la compétition, un marché de plus en plus libre comme en Outre-Atlantique », interrogeait Bruno Dufayet en amont de la future loi d’orientation agricole (LOA).

Patricia Olivieri

Accords internationaux

Ça patine sur les clauses miroirs...

Ça patine sur les clauses miroirs...
Les éleveurs français s’inquiètent des accords internationaux. ©DR

L’année 2023 s’annonce comme une année à hauts risques en matière d’accords internationaux de libre-échange. Nouvelle-Zélande, Australie, sont au menu de la Commission européenne qui compte aussi renégocier avec le Chili, sans compter un projet avec le Mercosur « revenu sur le haut de la pile avec l’élection de Lula ». En la matière, si la présidence française de l’Union européenne (UE) a été à l’avant-garde du combat pour imposer des clauses miroirs [basées sur une réciprocité de normes, NDLR] opposables à tout type d’échanges commerciaux, « aujourd’hui ça patine sérieusement, aucune mesure miroir ne protège clairement l’élevage bovin et le modèle qu’on veut voir en France et en Europe », déplorait Bruno Dufayet en février dernier.

Émission... industrielles ?

Ce dernier a vu poindre un nouveau motif d’inquiétude : la révision de la directive européenne sur les émissions industrielles (IED) avec la volonté de Bruxelles d’en étendre son application aux élevages de plus de 150 UGB. « 150 UGB équivaut à un élevage de 80 vaches avec le renouvellement. Et on veut assimiler un élevage de ce type qui exploite 200 ha de prairies sur le plateau de l’Aubrac à une industrie comme Michelin ou une usine pétrochimique ? Ça ne perturbe personne ? », s’indignait l’ancien président de la FNB.
P. O.