Face à la crise laitière, l’opportunité du fromage fermier
Au Gaec des Belles à Oriol-en-Royans, du Saint-Marcellin IGP sera bientôt transformé à la ferme. Avec ce projet, les éleveurs entendent valoriser leur lait pour une meilleure rémunération.

Depuis trente ans, la ferme familiale des Belles à Oriol-en-Royans est spécialisée en production laitière. C’est d’abord Thierry Ageron qui a fait ce choix, lorsqu’il a pris la suite de son père, en 1995. Ses fils ont ensuite suivi le même chemin, d’abord Sébastien, installé en 2020, puis Cédric qui a rejoint l’aventure l’année dernière. Si d’autres ateliers sont présents sur l’exploitation (comme la nuciculture sur 2,5 ha ou la viande avec 40 brebis et 15 vaches allaitantes), le lait représente la majeure partie de la production. Pourquoi cette spécialisation ? « La passion », rétorque Sébastien Ageron, en se tournant vers les prim’holsteins et les montbéliardes regroupées dans le bâtiment. « C’est notre truc », confirme son frère. En l’occurrence, le « truc » de Cédric, c’est surtout la transformation. « Déjà petit, il faisait du fromage dans la cuisine », se remémore l’aîné. Un savoir-faire venu de sa grand-mère, puis transmis aux générations suivantes. « Ma mère faisait de la tome fraîche pour nous et j’ai commencé moi aussi, pour m’amuser », confie Cédric.
Un bâtiment pour la transformation et la vente
Après un diplôme agricole, Cédric Ageron s’est donc naturellement dirigé vers un certificat de spécialisation en transformation fermière pour apprendre la boucherie et la transformation laitière. C’est dans cette seconde option qu’il va se spécialiser en réalisant un apprentissage en Haute-Savoie, où il va notamment apprendre à transformer du Reblochon. Ce savoir-faire, Cédric veut l’apporter chez lui, sur la ferme des Belles en produisant du Saint-Marcellin IGP, mais aussi du Saint-Félicien et progressivement d’autres fromages, originaires ou non du territoire. Mais chaque chose en son temps ! Pour l’instant, l’heure est à la prospection. Thierry et ses fils doivent d’abord trouver un bâtiment dédié à la transformation et à la vente, avec un magasin attenant. « Ici on a assez peu de surface », commente Sébastien en pointant les contreforts du Vercors à quelques mètres de là. « On a besoin d’un bâtiment plus stratégique. Le lieu n’est pas adapté pour que des transporteurs viennent chercher nos fromages », ajoute Cédric.
Une forte demande en fromage fermier
Pour ce qui est de la vente, le jeune éleveur compte surtout sur des grossistes, contactés lors de son parcours d’installation. Une méthode de commercialisation privilégiée, afin de garder un maximum de temps pour la gestion des 200 bovins, dont 80 mères laitières, des quelque 200 ha de terres, des autres ateliers, et bien sûr pour la transformation fromagère.
Dans l’étable, un robot installé en 2007 - et récemment remplacé - permet de gagner un temps de travail considérable. Les vaches en stabulation libre vont elles-mêmes se faire traire avant d’aller brouter dans la prairie attenante. Sur ces 15 ha, un parc d’1 ha est déplacé tous les deux jours pour conserver une herbe de qualité. Plus loin, une centaine d’ha est aussi dédiée aux prairies permanentes diversifiées, avec de la luzerne, du trèfle ou encore du ray-grass. Ces pratiques développées lors du passage en bio en 2017 (abandonnées en 2023 avec la hausse du coût de production), ont permis au Gaec de développer son autonomie fourragère. « On limite l’achat de tourteau de soja », confirme Sébastien. Enfin, les quelque 80 ha restants sont dédiés aux céréales, principalement du maïs pour le troupeau.
Prix du lait : des négociations difficiles
Avec les 80 laitières, le Gaec des Belles produit environ 500 000 litres de lait chaque année, dont la totalité est vendue à la fromagerie l’Étoile du Vercors (située à Saint-Just-de-Claix en Isère), principalement en IGP Saint-Marcellin. Un modèle historique dont la famille Ageron compte progressivement s’extraire en réduisant les volumes et en transformant la totalité de son lait.
D’une certaine manière, ce choix est aussi un regret pour Sébastien Ageron qui est aussi le président de la Fédération départementale des producteurs de lait de la Drôme. « L’Étoile du Vercors, c’est une fromagerie qui marche. Elle est rentable et dispose d’un outil formidable », assure-t-il. Le problème fondamental : c’est le prix. Depuis que la structure a été rachetée par Lactalis, il y a dix ans, c’est avec le géant laitier qu’il faut négocier. Ces discussions, souvent houleuses, n’ont pour l’instant pas abouti à une revalorisation suffisante : alors que le prix de base est fixé à 423 euros les mille litres, Sébastien estime qu’il faudrait qu’il soit à 500 euros pour ramener du confort dans les exploitations laitières.
60 % d’éleveurs en moins en vingt ans
Face à cette réalité économique, les éleveurs de bovins lait sont de moins en moins nombreux dans la Drôme. Ils sont passés de plus de 130 dans les années 2000, à une cinquantaine aujourd’hui*. « Et maintenant les quelques jeunes qui s’installent encore font tous de la transformation, remarque le président de la FDPL 26. C’est ce qui va sauver les productions laitières. Ce qui est triste, c’est que ça détruit la filière… Progressivement, il faudra se structurer pour ne pas en laisser au bord de la route. »
En attendant, le Gaec des Belles va continuer à travailler avec l’Étoile du Vercors. Dans un premier temps, les éleveurs envisagent de débuter avec une transformation de 100 000 litres de lait par an. « On ne cherche pas à faire le plus de production possible, explique Cédric Ageron. À terme, si on arrive à faire 400 000 litres, ça sera déjà bien ! »