Épizootie de FCO : des éleveurs à bout
Depuis le 9 août, la FCO-8 ne cesse de prendre de l’ampleur sur l’ensemble du territoire et met en péril la survie de nombreuses exploitations. Plongés dans un terrible désespoir, les éleveurs ont fait part de leur vécu au préfet de la Drôme et à de nombreux élus.

La tension était palpable le 5 septembre à Vaunaveys-La-Rochette, sur la ferme d’Arnaud Mandaroux. Plus d’une quarantaine d’éleveurs venus des quatre coins du département ont répondu à l’invitation de la fédération départementale ovine (FDO) de la Drôme pour une rencontre de la filière en période de crise sanitaire de fièvre catarrhale ovine (FCO). Étaient notamment conviés Olivier Damaisin, coordinateur interministériel du Plan sur la prévention du mal-être en agriculture, Thierry Devimeux, préfet de la Drôme, et de nombreux autres élus du département.
Alors que la FCO-8 poursuit sa propagation de manière considérable dans les élevages drômois, l’arrivée certaine et prochaine du sérotype 3 et de la maladie hémorragique épizootique (MHE) est également une grande source d’inquiétudes pour les professionnels de la filière ovine. « Nous ne sommes qu’à la surface de l’iceberg », a déclaré Frédéric Gontard, président de la FDO 26. Thierry Arnaud, éleveur à Saint-Agnan-en-Vercors (70 brebis mortes), s’est confié : « On voit des bêtes lutter dans des souffrances abominables. Cette situation va mettre à mal financièrement les exploitations ovines, entre le remplacement des brebis, l’absence des mises bas pendant quelque temps, sans compter les frais vétérinaires qui ont déjà atteint plus de 10 000 € pour ma part… »
« Une apocalypse »
À Ourches, Léo Girard (35 brebis mortes) vit la même catastrophe auprès de son troupeau de brebis laitières. « Chaque matin depuis un mois, notre travail est de ramasser les bêtes mortes. Psychologiquement, c’est insoutenable. Nous avons déjà perdu 50 % de production laitière. Les pertes nettes seront énormes sur les années à venir. Désormais, j’ai très peur de la FCO-3 qui arrive car l’état immunitaire des animaux est déjà très mauvais. »
Pour Sébastien Rigaud, agriculteur à Beaufort-sur-Gervanne (70 brebis mortes) avec sa fille Clémentine, il faut penser aux jeunes éleveurs : « Je suis très inquiet pour les gamins qui s’installent. Ils sont déjà pendus, ils sont déjà foutus ! On est tous morts ! ». Avant d’ajouter : « Ce n’est plus une crise, c’est une apocalypse qu’on a sur la tête. On va tous crever ! ». Quant à Fabien Robert, éleveur à Saint-Jean-en-Royans (76 bêtes mortes), il a évoqué le manque d’anticipation et de connaissance sur la vaccination.
De son côté, Alexis Beynet, jeune éleveur à Saint-Nazaire-le-Dézert (7 brebis mortes), est confronté à la FCO-8 et à la prédation. Une double peine pour lui et la survie de son exploitation.
Elisabeth Moreau, éleveuse à Gigors-et-Lozeron, n’est pas la plus touchée par la maladie. Pourtant, elle est montée au combat en interpellant directement le ministère de l’Agriculture… sans obtenir la moindre réponse ! « Je le fais pour ceux qui n’arrivent pas à avoir les doses de vaccin, alors que l’État en dispose ! » Et d’ajouter : « Nous n’allons pas nous suicider de suite, nous sommes trop occupés à soigner nos bêtes ! ».
Entre détresse et colère
« À part un soutien psychologique, nous n’avons aucune aide, a fait remarquer Anaïs Robert, agricultrice à La Motte-Fanjas (90 bêtes mortes). L’argent va arriver d’où ? Comment allons-nous faire pour vivre ? Vous attendez peut-être juste qu’on crève tous ? », a-t-elle questionné. Alain Baudouin, président de l’Association des éleveurs et bergers du Vercors Drôme-Isère et éleveur à Combovin (35 bêtes mortes), craint le pire. « Sur ma commune, on a connu trois suicides d’éleveurs en quatre ans. Il faudra être très vigilant… » Il a aussi évoqué les problèmes du système d’équarrissage, avec des délais démesurés selon les éleveurs en cette période de forte crise. Il a demandé aux élus de donner l’autorisation d’enfouissement des bêtes, mais a fait face au refus du préfet évoquant la préservation des nappes phréatiques.
Face à des échanges houleux, ce dernier a exprimé toute sa compassion envers les éleveurs : « Il n’est pas question de laisser la filière ovine s’écrouler. Il y a urgence de vacciner. Toutefois, on sait que le vaccin existant n’est pas efficace à 100 % et qu’il n’y a pas assez de doses pour vacciner tout le cheptel français. Nous suivons cette épidémie de très près », a déclaré Thierry Devimeux, préfet de la Drôme. L’État a acheté 5 millions de doses de vaccins pour lutter contre le sérotype 3 de la FCO, pourtant peu ou pas accessibles par les vétérinaires drômois à date sur la plateforme Calypso.
Un manque crucial d’anticipation
Olivier Damaisin, coordinateur interministériel du Plan sur la prévention du mal-être en agriculture, a assuré faire remonter les informations dès le lendemain auprès du nouveau Premier ministre et des parlementaires. Marie Pochon (députée de la 3e circonscription de la Drôme) et Marie-Pierre Monier (sénatrice) se sont offusquées de la situation. La députée a notamment évoqué sa surprise face au manque d’anticipation. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre nos élevages dans la Drôme ! Il est urgent que l’État s’engage, aux côtés du groupement de défense sanitaire de la Drôme, afin que les vaccins pour lutter contre le sérotype 3 soient disponibles au plus vite, sans surcoût pour les éleveurs, pour empêcher l’arrivée d’un variant encore plus virulent. À plus long terme, il nous faut une véritable stratégie d’anticipation et de lutte contre de telles crises sanitaires. »
Pour Marie-Pierre Monier, « la gestion de la crise en tant que telle n’est pas entendable. Comment peut-on ne pas anticiper ? C’est terrible ! Les conséquences sur les exploitations seront énormes. Nous ne lâcherons rien, notamment sur le sujet de l’indemnisation. On ne voudrait pas revenir pour un drame », s’est insurgée la sénatrice.
Thibaut Monnier (nouveau député de la 4e circonscription de la Drôme) a quant à lui fait savoir qu’il avait déposé une demande de mise en place de guichet unique auprès de Laurent Wauquiez, alors président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes*, estimant qu’il s’agissait « de la collectivité la mieux placée et la plus réactive pour débloquer un besoin de trésorerie impérieux dans les exploitations ovines ».
Amandine Priolet
* Cette demande a été envoyée avant le changement de présidence à la tête du conseil régional, Fabrice Pannekoucke ayant succédé à Laurent Wauquiez.
Les principales demandes de la profession
Alors que la mortalité des ovins due à l’épidémie de la FCO-8
atteint dans certains élevages plus de 40 %, la Fédération départementale ovine a dressé un état prévisionnel des impacts économiques sur les exploitations ovines. « Face à la virulence et aux dégâts de la maladie dans les troupeaux, les éleveurs sont très inquiets des impacts économiques à court et moyen termes sur leurs exploitations », indique la FDO 26 dans un communiqué. Si les pertes l directes et indirectes - s’annoncent déjà dramatiques, la filière a listé ses premières demandes :
l une aide d’urgence qui indemnise les éleveurs à la hauteur des pertes subies ;
l des déductions ou exonérations des cotisations sociales et fiscales des élevages touchés pour soutenir les trésoreries ;
l des aides au dépistage des béliers stériles et au renouvellement des cheptels, ainsi que des aides à l’insémination artificielle pour les éleveurs qui le souhaiteraient (notamment sélectionneurs) - avec dérogations pour les éleveurs en agriculture bio ;
l une prise en charge des vaccins
FCO-8 pour tous les éleveurs avec un remboursement des vaccinations déjà effectuées et une commande publique pour une provision suffisante et rapide ;
l un système d’équarrissage performant, avec une gestion humaine qui réponde rapidement et de façon adaptée aux besoins des éleveurs ;
l l’éligibilité des brebis mortes de la FCO en 2024 pour les aides ovines 2025 et 2026, ainsi qu’une dérogation automatique au seuil d’éligibilité des 50 brebis et au ratio de productivité pour tous les troupeaux touchés par la FCO ;
l une dérogation automatique au respect du taux de chargement pour l’ICHN 2025 et 2026, ainsi que pour les SPL pour les campagnes PAC 2025 et 2026 pour tous les troupeaux touchés par la FCO ;
l une dérogation automatique au respect des seuils minimum de pâturage (chargement ou durée) pour les surfaces engagées en MAEC par les exploitations touchées par la FCO pour les campagnes 2025 et 2026 ;
l un maintien du plafond éligible correspondant à la taille du troupeau « avant FCO » pour les demandes d’aide à la protection 2024, 2025 et 2026 pour tous les troupeaux touchés.
A. P.

