Elevage controversé : dialoguer avec la société

L'élevage, en particulier industriel, se place dans un contexte de fortes remises en cause. Aussi, pour identifier les controverses, les analyser et en tirer des enseignements, un programme Casdar(**) intitulé « Accept » a démarré en 2014 et doit s'achever en 2018. C'était l'un des sujets de la session d'information volailles de chair de l'Itavi, le 30 novembre à Valence. Il a été traité par Pascale Magdelaine, directrice du service économie de l'institut.
Des remises en cause
Dans un sondage de Mediaprism (en 2015), les deux premières motivations de ceux qui ne mangent pas de viande (végétariens, végétaliens et végans) sont la maltraitance animale et la santé. Pour les flexitariens (qui consomment volontairement moins de viande), le premier argument est le coût, le deuxième le bien-être animal. Troisièmement, c'est que « la viande n'est pas bonne pour la santé ».
Selon un autre sondage réalisé par l'Ifop (en 2016) dans le cadre d'« Accept », 50 % des personnes interrogées se déclarent insatisfaites du respect de l'environnement par les éleveurs et 60 % insatisfaites des conditions de vie des animaux en élevage. 96 % sont favorables à un étiquetage des produits selon le mode d'élevage (plein air ou non). 18 % déclarent envisager de réduire leur consommation de viande, 14 % de la cesser et 2 % n'en mangent pas. L'accès de tous les animaux au plein air, le renforcement des réglementations de bien-être et de sécurité sanitaire sont les premières attentes des personnes sondées.
S'attendre à des évolutions
Comment les filières répondent-elles à l'évolution de l'opinion ? La France et l'Italie sont sur des segmentations de marché anciennes autour des signes officiels de qualité : une stratégie « de grands pas et petits volumes », a expliqué Pascale Magdelaine. Par contre, l'Allemagne et Pays-Bas (auparavant sur des marchés plus standardisés) ont récemment adopté des stratégies « de petits pas et gros volumes ». Ils progressent peu par rapport au standard mais font monter en gamme l'ensemble de l'offre.
« Un dialogue avec la société, donc les ONG, paraît indispensable pour éviter des blocages qui se traduiraient dans les comportements d'achat, a conclu Pascale Magdelaine. Les sujets de débat sont la façon d'élever les animaux et leur mise à mort, l'impact des activités humaines sur les milieux naturels. Mais aussi l'impact de la production animale sur la santé humaine et les modèles de développement de l'élevage. Il faut faire comprendre les enjeux économiques des éleveurs, la nécessité d'une rentabilité et les contraintes de pas de temps. Mais on doit s'attendre à des évolutions des systèmes d'élevage qui auront un impact sur la segmentation du marché. Donc à des investissements dans des systèmes nouveaux et des surcoûts qu'il faudra répercuter dans la chaîne alimentaire. Et là, l'organisation de la filière est super importante. »
Communiquer
Une table ronde a suivi au cours de laquelle Yannick Charroin et Serge Faure, respectivement technicien et président de la section volailles de chair de la coopérative Valsoleil, ont évoqué les tracasseries rencontrées par des porteurs de projet, même en élevage bio dans des bâtiments éco-construits. « Il faut accompagner les éleveurs juridiquement et moralement car c'est difficile », ont-ils appuyé, tout en conseillant de parler de leur projet aux maire et voisins, avant. C'est ce qu'ont fait Gilles et Baptiste Dumoulin, à Margès, pour leur bâtiment avicole qui devrait entrer en service en février ou mars. Ils ont expliqué leur projet aux voisins et accepté des investissements non productifs pour prendre en compte des attentes de ceux-ci.
« Il faut savoir parler de son métier sans dénigrer les autres types d'élevage », a observé Hélène Bombart, avicultrice à Eymeux qui s'est formée à la communication, tout comme Gilles Dumoulin. « On ne doit pas avoir honte de notre métier, a-t-elle ajouté. Il faut montrer comment on travaille, montrer qu'on s'occupe correctement de ses animaux. Avec le grand public, on ne doit pas s'exprimer dans un langage technique. Et avec les associations de protection animale, il ne faut pas être sur la défensive, répondre avec virulence mais être dans l'explication. »
Deux associations de protection animale (Welfarm et CIWF) sont dans le comité de pilotage du programme « Accept », a signalé Pascale Magdelaine. « Elles jouent un peu le rôle de la mouche du coche, a-t-elle commenté. Je pense qu'on a tout intérêt à dialoguer pour construire des réponses ensemble. » C'est aussi l'avis du président du Pep(***) volailles, Régis Janichon. Et le président du Cervose(****), Michel Clément, a remarqué : « En discutant, on peut arriver à faire comprendre des choses. Il faut communiquer, accompagner les porteurs de projet, organiser des portes ouvertes. Et pourquoi pas créer un réseau spécifique de communication grand public avec des mots simples pour expliquer l'élevage ? »
Annie Laurie
(*) Itavi : institut technique de l'aviculture.
(**) Casdar : compte d'affectation spéciale développement agricole et rural.
(***) Pep : pôle d'expérimentation et de progrès (dispositif régional).
(****) Cervose : comité économique régional de la volaille du Sud-Est.
Le marché des volailles de chair
Monde :118 millions de tonnes (Mt). La volaille est la première viande produite et consommée dans le monde en 2017. Leaders mondiaux des échanges : le Brésil (34 % en volume, premier fournisseur de l'Europe) et les Etats-Unis (27 %, absents du marché UE).Europe :
14,4 Mt de volailles de chair produites en 2016.
10,6 Mt de poulets (la Pologne premier producteur, la France quatrième).France :
1,8 Mt de volailles de chair produites en 2016.
En poulets : autour de 60 % en standard, 16 en label rouge, 8 en certifiés, 1 en bio et 13 à l'export. La consommation continue à croître mais elle est portée par la restauration hors domicile (RHD). A domicile, elle recule depuis cinq ans. 43 % des poulets consommés en France sont importés, essentiellement de l'Union européenne (pour la RHD, l'industrie).
Actualité technique / A la session Itavi du 30 novembre à Valence, ont été présentés deux projets en cours, « Ebene » et « Bouquet », ainsi qu'une étude achevée cette année, « Fumless ».Des innovations et des essaisBien-être des volailles
Une application pour smartphone nommée « Ebene » est actuellement en cours de développement. Elle est destinée à évaluer le bien-être des volailles en élevage (et aussi des lapins) à l'aide d'indicateurs relatifs à l'alimentation, l'environnement, la santé et le comportement des animaux. Elle devrait être disponible en avril 2018. Une centaine de personnes s'est impliquée dans ce projet piloté par l'Itavi : des représentants d'instituts (Itavi, Inra...), de la filière, de la société civile, d'associations de protection animale (CIWF, Welfarm). Cette méthode co-construite s'appuie sur des bases scientifiques solides, a expliqué Loïc Tombo, ingénieur Itavi responsable du volet numérique d'« Ebene ». Elle se veut simple d'utilisation, proche du travail quotidien de l'éleveur et fiable si l'utilisateur a été bien formé. L'application sera proposée avec des supports pédagogiques : vidéos, formations et fiches techniques. Le président d'Afivol(*), Gilles Lassus, l'a estimée intéressante pour montrer le travail fait dans les élevages en termes de bien-être animal et constituer une base de données.

Jean-Marie Fontanet, responsable de l'antenne Itavi Rhône-Alpes-Auvergne, a présenté « Bouquet », une autre méthode d'évaluation, cette fois-ci de la multifonctionnalité des parcours de volailles. L'idée est, d'une part, d'améliorer l'efficacité économique et sanitaire des élevages. D'autre part, de tirer profit des services environnementaux rendus, renforcer l'image de durabilité et de naturalité auprès des consommateurs (stockage du carbone, biodiversité, paysage...). L'Itavi coordonne ce projet Casdar (2017-2020) associant différents partenaires.Stockage de fumiers au champ

Jean-Marie Fontanet a aussi détaillé l'étude « Fumless », conduite avec des partenaires (de janvier 2016 à juin 2017). Celle-ci a consisté à identifier des modes de stockage au champ de fumiers de volailles permettant de limiter les pertes d'azote par lessivage. Quatre modalités ont été suivies sur un essai dans les Landes (bâche, couverture de paille, lit de paille sous le tas de fumier et témoin) et cinq sur un autre dans les Côtes-d'Armor (andain filtrant en plus).
De cette étude ressort notamment qu'en conditions hivernales classiques, les bâche, couverture de paille et andain filtrant limitent l'humidification du fumier et du sol, donc l'entraînement de l'azote en profondeur. Et, en conditions hivernales très pluvieuses, la couverture de paille est la modalité la plus efficace. Une plaquette de préconisations techniques et réglementaires sur le stockage au champ des effluents avicoles est disponible sur le site internet de l'Itavi.(*) Afivol : association régionale de la filière volailles.