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RENCONTRE

Domaine du Chardon bleu : chouchouter la relation client

Il y a dix ans, Emmanuel Chauvin et Aurélia Spitaëls ont créé le domaine du Chardon bleu à Roche-Saint-Secret-Béconne. Leurs vins, certifiés agriculture biologique, sont vendus en appellation Grignan-les-Adhémar. Pour faire découvrir et apprécier ce vignoble, ils misent sur l’œnotourisme et n’hésitent pas à fidéliser leurs clients par des tournées de livraison à l’autre bout de la France. 

Domaine du Chardon bleu : chouchouter la relation client
Aurélia Spitaëls et Emmanuel Chauvin proposent huit cuvées en bouteilles, dont trois rouges, un rosé et deux blancs en AOP Grignan-les-Adhémar, ainsi que des BIB en vin de France, dans les trois couleurs, le tout en bio. © S.S.-AD26

À Roche-Saint-Secret-Béconne, au pied de la montage de la Lance, « on fait naître et grandir du bon vin », affirme le site internet de la commune. C’est là, tout à l’est de l’aire d’appellation Grignan-les-Adhémar, qu’Emmanuel Chauvin et Aurélia Spitaëls ont décidé de produire leurs vins qu’ils commercialisent depuis 2014. Ensemble, ils ont créé le domaine du Chardon bleu, en hommage à cette plante rare et protégée qu’on trouve dans leurs parcelles et qu’affectionnait particulièrement le père d’Emmanuel.

L’histoire du domaine commence en 2006 quand Emmanuel reprend l’exploitation de ses parents avec vignes, lavande et abricotiers. Les productions sont alors vendues en coopérative ou au négoce. En 2010, Aurélia quitte son poste de commerciale pour le rejoindre. « L’exploitation comptait alors neuf hectares de vignes dont trois se dégageaient de l’engagement en cave coopérative. Nous avons entamé trois années de transition au cours desquelles je me suis formée à l’université du vin de Suze-la-Rousse tout en vinifiant nos premières cuvées. En 2013, j’ai commencé à démarcher quelques cavistes. L’année suivante, la totalité des vignes étant sorties de l’engagement coopératif, nous avons pu vinifier l’ensemble de notre raisin », raconte la jeune femme. 200 000 euros sont investis durant cette période de transition pour la cuverie et le bâtiment.

« Privatiser » le vigneron

Au début, le couple mise sur les salons pour faire connaître ses vins et constituer une clientèle. La vente au caveau se développe en parallèle. Mais le domaine va traverser deux années difficiles. En 2017, un tiers de la récolte est dévorée par les sangliers. Puis en 2018, année pluvieuse, 80 % de la récolte est perdue à cause du mildiou. « Nous avons connu une crise importante suite à laquelle nous avons pu bénéficier d’un diagnostic économique subventionné », confie Aurélia Spitaëls. Le verdict est sans appel : le prix de revient est trop élevé, il faut parvenir à le baisser, mais aussi augmenter le prix de vente des vins. « En 2019, nous avons donc mis en place une nouvelle politique commerciale. Nous avons aussi récupéré 6 ha de vignes supplémentaires, ce qui nous a permis de diminuer un peu le prix de revient », poursuit l’associée du Gaec Domaine du Chardon bleu. À la même époque, Aurélia se tourne vers l’œnotourisme en proposant ses premières « randonnées gourmandes ». « J’emmène les clients au départ du domaine pour une randonnée de 5 km avec pique-nique dans notre plus jolie parcelle et dégustation de vins », explique la vigneronne. Le tout dure entre trois et quatre heures. Une formule qui plaît notamment pour des enterrements de vie de jeune fille ou de garçon ou pour les retrouvailles annuelles de groupe d’amis quadras ou quinquas. « Au début, je ne croyais pas trop à cette idée, reconnaît Emmanuel Chauvin. Mais en fait les gens apprécient de “privatiser” un vigneron pour quelques heures et lui poser plein de questions au milieu des vignes. C’est comme visiter un joli village, c’est totalement différent avec un guide. » Pour l’instant, l’œnotourisme ne constitue qu’une infime partie du chiffre d’affaires de l’exploitation. 

Développer « sans s’éparpiller »

« La vente aux particuliers représente presque les deux tiers de notre chiffre d’affaires sur le vin, essentiellement au caveau mais aussi sur les salons, le marché de Dieulefit, des magasins de producteurs* et via deux tournées de livraison : l’une dans l’Ouest (Paris, Calvados, Bretagne), l’autre à l’Est et jusqu’en Belgique, que j’effectue deux fois par an. Ces tournées me prennent presqu’un mois au total sur l’année mais c’est un bon moyen de fidéliser les clients », précise Aurélia Spitaëls. Le dernier tiers du chiffre d’affaires est réalisé auprès des cavistes et restaurateurs. À l’avenir, la jeune femme souhaiterait faire moins de salons. « Nous en avions vraiment besoin au début quand nous avons créé le domaine, pour nous faire connaître », admet-elle. Mais Emmanuel Chauvin souligne : « Un salon représente beaucoup de frais même si on a l’impression d’y vendre nos vins plus cher ». D’où l’idée d’attirer plus de monde au domaine grâce à l’œnotourisme. Depuis l’an dernier, le couple a embauché Marie, passée par le caveau de la Maison Chapoutier, un domaine en Clairette de Die ou encore la restauration. Sa mission, entre autres, aider le domaine à structurer son offre œnotouristique autour de formules comme les « apéros les pieds dans l’eau » ou encore l’accueil de séminaires d’entreprises. 

« L’idée, c’est de développer cette activité sans trop s’éparpiller », résume Aurélia. Au-delà de la stratégie commerciale, l’œnotourisme est aussi pour elle un moyen de trouver « plus de profondeur » dans la relation client. Elle confie d’ailleurs sans hésiter que les randonnées gourmandes « attire une clientèle alignée avec [ses] valeurs ». L’occasion aussi de prendre le temps de mettre en pratique le slogan du domaine du Chardon bleu qui promet au client que chaque vin lui raconte une histoire. 

Sophie Sabot

* Le Gaec est associé du magasin Champs libres de Poët-Laval et dépôt-vendeur dans deux autres magasins.
La randonnée gourmande avec le vigneron permet de s’installer au bord des vignes et de déguster les vins du domaine. © Domaine du Chardon bleu

Le domaine du Chardon Bleu

- Roche-Saint-Secret.

- Gaec à deux associés : Emmanuel Chauvin et Aurélia Spitaëls.

- 15 ha de vignes en AOP Grignan-les-Adhémar (cépages : grenache, syrah, roussanne, viognier). 

- 35 à 40 000 bouteilles par an en AOP + un petit volume Vin de France en BIB.

- 64 % en rouge, 21 % en blanc, 15 % en rosé.

- 11 ha de lavande : distillation à la cuma de la Lance et vente à 95 % en fûts à un négociant.

- 1,5 ha d’abricotiers (vente directe fruits et nectars).

- Le tout certifié agriculture biologique. 

Grignan-les-Adhémar

Jouer collectif pour la notoriété de l’appellation

Face à la crise que traverse le monde viticole, Emmanuel Chauvin et Aurélia Spitaëls s’estiment un peu mieux lotis que leurs collègues coopérateurs de grandes appellations. « Grignan-les-Adhémar reste une petite appellation avec davantage de volumes vendus en direct, ça nous permet de mieux valoriser », confie Emmanuel. « Et puis, nous sommes un petit domaine, avec de la souplesse. Nous pouvons changer plus facilement notre stratégie de commercialisation », poursuit Aurélia. Ils sont aussi convaincus que l’AOP Grignan-les-Adhémar dispose de vrais atouts. « Le changement de nom de l’appellation en 2010 a été accompagné de nouvelles exigences dans le cahier des charges. Les critères d’agrément sont sévères. Cela a permis une grosse montée en qualité des vins de l’appellation », rappellent-ils. Autre chance pour eux : leur vignoble légèrement en altitude offre des rouges à la puissance maîtrisée, dans la tendance de ce que recherchent aujourd’hui les consommateurs. « On reste toutefois sur de petits volumes de production, autour de 30 hl/ha. Nous avons du mal à nous rapprocher des rendements permis par l’appellation [ 48 hl/ha en rouge, 52 en rosé et 52 en blanc, ndlr]. Cela nous met un peu la pression car il faut bien valoriser ces petits volumes », tempère Emmanuel Chauvin.

Aurélia et Emmanuel reconnaissent aussi qu’il est nécessaire de s’investir collectivement pour développer la notoriété de l’appellation. L’évènement « La Guinguette des vignerons » organisé le 8 juin dernier à Grignan en est pour eux un bel exemple. Cette soirée avec musique, braséros, grillades, bar à vin a attiré plus de 700 visiteurs. « Une quinzaine de domaines ont participé à l’événement dans un bel esprit de coopération et avec un objectif : mettre en avant non pas son domaine mais bien l’appellation Grignan-les-Adhémar », soulignent-ils.

S.Sabot