Des arbres pour nourrir le bétail

Il n'est pas rare de voir des ruminants qui s'étirent pour attraper quelques feuilles d'arbres à mâcher. Les bovins comme les ovins et les caprins en sont friands. Olivier de Serres y faisait d'ailleurs référence dans le premier traité d'agronomie en 1600 : « Les feuilles de plusieurs arbres servent à la nourriture du bétail. Celles de l'orme et du frêne sont les meilleures pour les bœufs et les chèvres [...] le bétail aime autant que l'avoine. »
Valoriser le bois et les feuilles
Aujourd'hui, la pratique des arbres fourragers existe sous deux formes. Les arbres pâturés offrent au bétail un fourrage sur pied. Cela se retrouve dans le sylvopastoralisme pour valoriser des zones difficiles d'accès où les parcours contiennent à la fois de l'herbe, des arbustes et des arbres. C'est une pratique souvent réservée aux terres pauvres. La deuxième pratique consiste à utiliser des arbres coupés ou taillés. Les paysages témoignent encore de leur utilisation autrefois. Des rangées de frênes émondés, dont les branches latérales étaient coupées pour servir de fourrage, ou taillés en têtard s'alignent le long des champs, en bord de route. Certains éleveurs y ont encore recours. À Rodez, dans l'Aveyron, Vincent Espinasse pratique l'émondage de frênes et de chênes en fin d'été. Les branches coupées tombent dans la parcelle à pâturer. Une fois la coupe terminée, le troupeau de brebis est autorisé à pénétrer dans la zone et se rue sur les feuilles. Ensuite, les branches et petits troncs sont regroupés à proximité de la maison en attendant d'être découpés en bois de chauffage ou déchiquetés. L'inconvénient de ce type d'intervention est lié au temps nécessaire pour la coupe des branches. Cette pratique, peu utilisée, intéresse face au réchauffement climatique. Pourrait-on réintroduire des arbres et/ou des haies à rotation courte pour les inclure comme source de fourrage dans les élevages ? Les arbres fourragers présentent une ressource très intéressante pour l'élevage dans un contexte de réchauffement climatique et d'accroissement des sécheresses. « L'utilisation des feuilles comme ressource fourragère permet de disposer d'un fourrage de qualité disponible lorsque l'herbe est rare, donc de limiter le surpâturage estival et d'éviter d'acheter du fourrage ou d'attaquer les stocks pour l'hiver », écrit Jérôme Goust, dans un ouvrage publié en 2017 et intitulé Arbres fourragers. La présence d'arbres autour des pâtures apporte également de nombreux avantages : une régulation des vents, une protection contre l'érosion des sols, une augmentation du stockage de l'eau en profondeur et une production d'ombre appréciée par les animaux lors des fortes chaleurs.
L'Inra s'intéresse aux arbres à pâturer
Un programme de recherche de l'Inra baptisé OasYs entend étudier cette pratique. Il a été lancé en 2013 au sein de la station Inra de Lusignan près de Poitiers et vise à élaborer des systèmes d'élevage laitier agroécologiques et productifs. Pour diversifier les fourrages et accroître la résistance du système aux sécheresses, des arbres têtards (taille de la tête) ont été implantés dans ou autour des parcelles à pâturer. L'objectif est d'étudier comment les feuilles peuvent entrer dans la ration des vaches laitières en étant directement broutées par les animaux pour limiter les interventions de l'éleveur. Les qualités nutritionnelles des feuilles d'arbres sont très proches de l'herbe, selon les analyses de l'Inra. Contrairement à une croissance très développée, les feuilles ne sont pas beaucoup plus ligneuses que l'herbe de prairie. Une moyenne d'un régime de feuille d'arbres contient ainsi 36 % de lignocellulose en pourcentage de matière sèche. L'herbe de prairie de plaine en contient 30 % et une paille de blé 50 %. Sur le plan nutritif, les feuilles d'arbres contiennent de 5 à 20 % de matière azotée. Les légumineuses arbustives (coronille, cytise, genêts) sont les plus riches en protéines. De plus, un foin de prairie de première coupe contient 10 % de matière azotée, alors qu'un fourrage d'émondes de frênes en apporte 16 % et 15 % de cellulose contre 26 % pour le foin. Les apports de minéraux sont assez proches.
C. P.