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MINÉRALOGIE

Des antres de la terre à la lumière… quartz, fluorites et autres splendeurs

Dans le massif du Mont-Blanc, accrochés aux parois, les « cristalliers » ont récolté des minéraux bien avant que ne soit inventé l’alpinisme. Histoire de merveilles nées au cœur des profondeurs de la Terre, rendues à portée de main d’homme - ou presque, à la faveur de « fours » à atteindre, conquérir.
Des antres de la terre à la lumière…  quartz, fluorites et autres splendeurs

La Terre est bleue comme une orange », affirmait Paul Éluard. Ce en quoi le poète surréaliste n'était pas si éloigné de la science, car évoquer la minéralogie par le biais des couleurs est une entrée en matière somme toute très logique. Le granite des parois vertigineuses revêt des tons azurés mais, en ses plus grandes profondeurs, la Terre, en fusion, a l'orange des mystères magmatiques. Entre les deux, comment est la Terre ? Elle est faite de roches qui sont les matériaux constitutifs de l'écorce terrestre. Il y a ainsi les roches magmatiques provenant du refroidissement du magma, les roches sédimentaires, qui se forment principalement par des dépôts, et celles métamorphiques, qui résultent de la transformation de roches préexistantes par la pression, la température et l'interaction de fluides, contexte que l'on retrouve généralement dans la formation d'une chaîne de montagnes. Les phénomènes d'ouvertures et de fermetures d'océans et les collisions entre continents qui se sont déroulés selon des temps infiniment longs – plusieurs millions d'années – ont fait évoluer notre « surface » terrestre.

Une vision panoramique du musée de Chamonix permettant de comprendre où exactement ont été récoltés les cristaux.

Trésors des Alpes

Le début de la naissance des Alpes, résultant de l'ouverture puis de la fermeture d'un océan alpin, puis de la collision entre le continent européen au nord et un petit bloc continental détaché de l'Afrique (plaque adriatique) au sud, remonte à 180 millions d'années. Puis, il y a 20 millions d'années, sous l'effet de la contrainte due à la collision Afrique-Europe, la roche se fend et apparaissent ce que l'on nomme les fentes alpines. C'est dans ces espaces libres que s'opèrent des cristallisations. Sous l'effet de l'eau à haute température et haute pression, certains minéraux de granite se dissolvent et enrichissent les fluides à leur contact. Il y a ensuite précipitation de ces minéraux dans la fente par sursaturation. Les massifs continuent de se soulever, de s'éroder, les masses rocheuses se rapprochent de la surface. La température et la pression baissent. Ainsi, stade par stade, les cristallisations évoluent.

Le massif du Mont-Blanc est réputé pour ses quartz, particulièrement les quartz fumés.

Cristalliers du massif du Mont-Blanc

La tectonique des plaques, la surrection des massifs ? Les premiers « cristalliers » du massif du Mont-Blanc, à l'époque où cette activité se développe, n'en font pas discours. « Cristalliers », « chamoiseurs », c'est-à-dire chasseurs de cristaux et chasseurs de chamois, ces hommes de la seconde moitié du XVIIe siècle ne donnent pas dans la veine scientifique. Leur objectif est plus prosaïque : fins connaisseurs de leurs montagnes, ils arpentent les moraines et sommets et font la cueillette de « quilles », c'est-à-dire de petits cristaux, pour les vendre aux curieux. Le véritable engouement et, de cause à conséquence, le déploiement de l'activité des cristalliers dans le massif du Mont-Blanc ont lieu au XVIIIe siècle. En Europe, ce sont les Alpes qui recèlent des quartz de la plus belle qualité. Cette connaissance n'est pas nouvelle, Pline l'Ancien, durant l'Antiquité, le signalait déjà mais ce n'est que de nombreux siècles plus tard que de nouveaux écrits très importants apparaissent.
En 1779, deux personnages majeurs, Horace-Bénédict de Saussure et Jean-Etienne Guettard, voyageurs naturalistes relatent chacun leur périple et leurs observations, l'un dans le massif du Mont-Blanc dans « Voyages dans les Alpes », l'autre dans la région du Bourg-d'Oisans, dans « Minéralogie du Dauphiné », l'un des premiers ouvrages de minéralogie régionale. Saussure raconte que les filons de quartz sont exploités dans le Mont-Blanc mais que cette activité est très périlleuse. La recherche des grottes ou des « fours à cristaux » (ce terme reste celui usité aujourd'hui) se fait selon des moyens très rudimentaires. Les hommes tentent d'accéder à un « four » en allant au plus direct au travers des rochers ou en redescendant du haut, suspendus à des cordes. Le froid est mordant, il y a des chutes, des accidents, souvent mortels. Mais il y a une raison économique à cette intrépidité. L'époque est en effet doublement propice aux cristalliers de Chamonix : le quartz est utilisé dans les tailleries pour fabriquer les pampilles des lustres et des objets de décoration et, par ailleurs, il est très recherché par les minéralogistes et les naturalistes qui enrichissent ainsi leur cabinet de curiosités de toutes sortes de spécimens. L'histoire retient que c'est dans le contexte de la recherche de cristaux que Jacques Balmat, pris dans un orage et dans l'incapacité de redescendre dans la vallée, se résout alors à étudier la voie menant au sommet du Mont-Blanc. En 1786, il signera cette ascension avec un autre enfant du pays, Michel-Gabriel Paccard, médecin et naturaliste.

Effort et humilité

On peut considérer que Saussure a quasiment inventé le métier de guide et la très grande majorité des guides furent, à l'origine, cristalliers ou chamoiseurs. D'où un développement « naturel » de ces deux activités. Il faut connaître cette sociologie où la conquête des sommets et la quête des cristaux se conjuguent dans l'effort et l'humilité. Elles ont permis des exploits et des découvertes magnifiques. Endurants à l'ouvrage, pratiquant leur art de manière pure et noble, à la fois héritiers et continuateurs d'un savoir ancestral, ils ne sont plus que quelques « cristalliers » aujourd'hui dans le massif du Mont-Blanc, une petite douzaine, guides également, et seulement deux ou trois à en vivre véritablement. La professionnalisation de l'activité de cristallier ne s'est faite qu'à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Elle s'est accompagnée d'une législation précise de l'État et, dans le massif du Mont-Blanc, elle a été confortée par une démarche très formalisée. Depuis août 2008, toute personne qui souhaite chercher des cristaux sur le territoire de Chamonix est tenue de faire une déclaration préalable à la mairie de cette commune avec signature et respect du code d'honneur des cristalliers élaboré par le club de minéralogie de Chamonix, du Mont-Blanc et des Alpes du nord. Cette déclaration est renouvelable chaque année. L'objectif étant de maintenir l'activité des cristalliers, de pratiquer des récoltes de cristaux de manière raisonnée et raisonnable. Bref, de ne pas considérer le massif comme une terre de pillage. Pédagogie, découverte auprès du grand public, la politique menée a fait évoluer les mentalités. Le club de minéralogie de Chamonix, du Mont-Blanc et des Alpes du nord compte plus de 200 membres et pas seulement des « locaux ».
Au-delà de nos frontières, les grands connaisseurs et collectionneurs de cristaux évoquent spontanément la France avec deux noms, Chamonix et La Gardette, dans l'Oisans. n

Armelle Lacôte

 

Le club de minéralogie de Chamonix, du Mont-Blanc et des Alpes du Nord a été créé en 1966. Il est éminemment actif pour faire découvrir tout le patrimoine minéral, en étroite collaboration avec la commune de Chamonix et celle du Bourg-d’Oisans en Isère, l’autre très haut lieu de la minéralogie française. Le club a d’ailleurs créé une section « Oisans » et les deux musées, celui de Chamonix et celui du Bourg-d’Oisans fonctionnent en bonne intelligence et complémentarité. 
Site du club : www.mineralogie-chamonix.org
Un ouvrage de référence, précis, didactique, agrémenté de très nombreuses photos et réalisé par le club : « Merveilleux minéraux des musées de Chamonix-Mont-Blanc et du Bourg-d’Oisans », 152 pages, Editions du Piat, 2018.
Le Musée des cristaux, de l’espace Tairraz Chamonix Mont-Blanc, fait actuellement l’objet de travaux d’agrandissement. Sa réouverture est prévue pour fin 2020.
D’ici là, on continuera de beaucoup parler de cristaux et minéraux à Chamonix puisque le 19e Salon des cristalliers se tient
ce samedi 2 novembre, au centre des Congrès Le Majestic.
Y seront présentées les plus belles découvertes faites dans le massif par les cristalliers membres du club de minéralogie de Chamonix, du Mont-Blanc et des Alpes du nord.