De multiples menaces planent sur les terres agricoles
le contournement du contrôle des structures reste possible via des montages sociétaires comme en témoignent les 900 ha achetés par un groupe chinois dans l’Allier.

Malgré les nombreuses alertes que lance le monde agricole depuis des années, l'artificialisation des sols agricoles et naturels se poursuit à vive allure en France. Même si les actions syndicales et les différentes publications sur les chiffres de la consommation de foncier agricole ont sensibilisé certains élus, d'autres considèrent toujours la perte de foncier agricole comme quantité négligeable face à l'implantation de nouveaux logements, d'une zone d'activité ou commerciale. En témoigne par exemple, le dernier projet médiatisé qui menace 80 ha de terres agricoles dans le Val d'Oise. Le projet EuropaCity mêle un parc d'attractions, des centres commerciaux et des hôtels. Il est porté notamment par le groupe Auchan et le géant de l'immobilier chinois Wanda. Dans une tribune signée par 150 personnalités s'opposant à ce projet d'envergure, dont Christiane Lambert, José Bové ou Pierre Rabhi, il est rappelé que : « les terres de Gonesse, d'une exceptionnelle qualité agronomique », devraient plutôt être consacrées au maraîchage de proximité ou à l'agroforesterie.
Le projet EuropaCity est en contradiction flagrante avec les engagements pris par la France lors de la signature de l'accord international de Paris sur le climat. Cet exemple parmi tant d'autres montre que, pour de nombreux élus, les surfaces agricoles restent une source inépuisable et sans grande valeur par rapport à ce type de projet qui promet emplois et touristes. Dans la région Centre-Est, les grands projets consommateurs de foncier agricole sont aussi nombreux. Le projet de nouvelle autoroute entre Saint-Étienne et Lyon par exemple, l'A45, menace 500 ha de terres agricoles et concerne 135 exploitations des monts du Lyonnais.
L'artificialisation s'accélère depuis 2015
Selon la dernière enquête du ministère de l'Agriculture sur la consommation de foncier agricole qui date de 2014, la France a perdu, 42 000 ha de terres agricoles entre 2012 et 2014. Si l'on extrapole cette tendance sur les années suivantes, entre 2015 et 2017, la France en a perdu de nouveau 120 000 ha. À cette vitesse, c'est un département moyen français qui disparaît tous les dix ans. Or le président de la Fédération nationale des Safer, auditionné sur le thème de l'artificialisation des terres par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, a alerté les députés sur l'accélération depuis 2015 de l'extension urbaine. L'artificialisation des sols représente actuellement environ un département tous les cinq à six ans, selon Emmanuel Hyest. « À ce rythme, 9 à 10 % de la surface agricole pourraient disparaître en 50 ans ». Et ces 9 à 10 % représenteraient bien plus en termes de potentiel de production (12 à 15 %), car, explique Emmanuel Hyest, « ce sont souvent les meilleures terres agricoles qui sont artificialisées ». Déjà, les terres artificialisées représentent 9,3 % du territoire français, dont la moitié des 5,2 millions ha artificialisés sont des routes quand l'autre moitié est consacrée aux jardins privés, espaces verts et habitations. Il est d'autant plus rationnel de limiter l'étalement urbain qu'un ménage des zones périurbaines coûte 2,5 à 3 fois plus cher en infrastructures (routes, réseaux divers, services publics) qu'un ménage d'une zone urbaine dense d'après diverses études.
Pour un classement des terres agricoles
« Le zéro artificialisation est possible si on le décrète », croit Emmanuel Hyest. Il l'a clairement dit lors de son audition devant les députés. « Il faut partir du principe qu'il n'y a plus de terrains disponibles sur notre territoire et qu'ils sont tous classés durablement agricoles », affirme-t-il.
Pour lutter contre ce phénomène de perte des terres agricoles, Emmanuel Hyest a attiré l'attention des députés sur la nécessité de mener une véritable « réflexion globale d'urbanisme ». Le président de la FNSafer suggère la promotion des démarches intercommunales pour construire les plans d'urbanisme et éviter des changements de destination ubuesques. « Il y a besoin de réflexion collective pour que l'on ne voie plus sur un même territoire trois zones commerciales qui se cannibalisent », fait-il remarquer, ce qui revient à un gaspillage de terres agricoles. Il a par ailleurs conseillé un véritable travail de reconquête des friches agricoles car ces dernières « sont souvent l'antichambre du changement de destination ». D'autres travaux sont à mener, notamment l'identification et la cartographie des friches urbaines qui sont plutôt mal connues afin de densifier les villes. Il apparaît parfois plus
« économique » de déclasser des terres agricoles, favorisant ainsi l'étalement urbain et la réduction du foncier agricole que de dépolluer un ancien site industriel par exemple. Les travaux des économistes montrent qu'il n'en est rien.
Définir de nouveaux outils
Malgré cette situation préoccupante, les autorités françaises tardent à agir. Une mission parlementaire « foncier » doit rendre ses conclusions au printemps. « Il faut reprendre les mesures de la proposition de loi du quinquennat précédent, qui avaient fait consensus (droit de préemption renforcé pour les Safer, lutte contre l'accaparement des terres...) mais qui ont été jugées par le Conseil constitutionnel comme portant une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre ». Dans un rapport rendu le 8 décembre, l'Inra et l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) proposent de mieux définir l'artificialisation pour pouvoir agir plus efficacement dessus, via la fiscalité et le droit. (Lire ci-contre). Le rapport souligne également que l'échelon intercommunal s'impose comme le bon niveau de gouvernance pour ces questions mais que les outils actuels sont ambigus. Par ailleurs, une réforme de la fiscalité accompagnée d'une politique de régulation foncière cohérente, adossée à des outils de planification contraignant la densification urbaine, permettrait de réduire considérablement l'étalement urbain et la consommation de foncier agricole.
C. P.
Lire également l'article Les notaires de France mobilisés pour préserver les terres agricoles
Spéculation / Tandis que la part de sociétés agricoles parmi les propriétaires fonciers en France augmente, l’achat de 900 hectares dans l’Allier par un groupe chinois relance l’attention sur une faille du contrôle des structures.
Pour une régulation de la financiarisation du marché foncier
Voilà quelques semaines, la profession agricole s’alarmait à la découverte de l’achat de 900 hecatres de terres à blé et maïs dans l’Allier par le groupe China Hongyang, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation d’équipements pour les stations-service et l’industrie pétrolière. L’investisseur a pu contourner le droit de préemption des Safer sur les terres agricoles, en acquérant 98 % des parts sociales de sociétés agricoles. Cette fois - à la différence d’une première acquisition début 2016 de 1 700 hectares dans l’Indre par ce même investisseur et des associés – la Safer a été avertie de la transaction mais n’a pu intervenir.La loi contre l’accaparement des terres du précédent gouvernement, partiellement invalidée par le Conseil constitutionnel en mars dernier, permet en effet à la Safer d’être informée mais ne lui laisse la possibilité d’intervenir que lorsqu’il y a cession de la totalité des parts sociales. « Cette transaction met en évidence la faille de nos moyens de réguler le marché des terres agricoles en France, affirme le président de la Fédération nationale des Safer, Emmanuel Hyest. Et cela remet en cause le modèle d’agriculture familiale que nous défendons. Nous y voyons un risque pour l’autonomie alimentaire du pays, les capitaux pouvant repartir aussi vite que venus, ceci ayant des conséquences négatives sur les filières et l’organisation sociale des territoires. Elle traduit la financiarisation de ce marché. Voilà 10 ans, il n’y avait pas de terres détenues par des sociétés à capitaux, on ne comptait que des GFA. Depuis 2016, on compte 15 à 20 % des terres propriétés de sociétés. »Loi contre loiS’il ne met bien sûr pas en cause l’achat par des étrangers en tant que tel, un mouvement qui ne date pas d’hier, Emmanuel Hyest dénonce le défaut de transparence de ces transactions. Il s’inquiète de la spéculation attachée à ces prises de participation qui concourent à une augmentation des prix du foncier « néfaste si elle n’est pas corrélée à la valeur ajoutée à l’hectare ». « Nous voulons que les mêmes contrôles s’exercent tant sur les individus que sur les sociétés propriétaires de terres agricoles », plaide-t-il. La FNSafer est déjà intervenue en ce sens. « Nous avons rencontré le ministre de l’Agriculture et nous espérons que notre objectif commun soit d’entamer en 2018 une réflexion pour modifier la loi foncière, de façon à remettre à plat les modalités de contrôle et simplifier les mesures. Je pense qu’il convient d’éviter de réagir en urgence et nous espérons qu’en 2019 une nouvelle loi sera proposée au Parlement ». Les discussions à venir poseront une question importante, celle de la régulation du marché foncier. « Ce sujet n’est pas corporatiste, c’est un vrai sujet de société. Une importante modification des structures de propriété des terres et des flux importants de capitaux fragiliseraient la production alimentaire et transformeraient l’image de l’agriculture et de notre pays. Songez au Royaume-Uni où la financiarisation a tout changé en 30 ans », affirme le président de la FNSafer. Le maintien d’un contrôle des structures n’est pas une bataille gagnée d’avance. Il suffit de noter l’article 30 du projet de loi présenté en Conseil des ministres, le 27 novembre, « pour la simplification et le droit à l’erreur », dont l’intitulé a été modifié pour devenir « loi pour un État au service d’une société de confiance ». Il y est prévu, en effet, une expérimentation pour « alléger, dans certains départements ou régions, le contrôle des structures des exploitations agricoles pour le réserver aux situations qui le justifient ». Un projet contre lequel ont vivement réagi les organisations agricoles. « La FNSafer n’est pas directement concernée, mais je rejoins les OPA pour affirmer qu’un contrôle des structures doit être maintenu », répond Emmanuel Hyest. Récemment, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a précisé qu’il s’agissait, selon lui, d’expérimentations d’allègements, et non de suppression du contrôle des structures.
Louisette Gouverne