De la salade aux plantes aromatiques

Il était nécessaire de se lancer. Et aujourd'hui, il ne le regrette pour rien au monde. Éric Chauvin s'est installé sur l'exploitation de ses beaux-parents en mars 2001. Implantée à Chabeuil, celle-ci était alors spécialisée dans les légumes de plein champ, et notamment la chicorée frisée. Une production vendue en quatrième gamme. Et bien qu'il y eût une relation contractuelle, une partie de la production était détruite. « Ils n'assumaient pas forcément leur contrat. La production était la variable d'ajustement. Les deux dernières années, entre deux et trois hectares de production de salades étaient détruits », commente-t-il. Plusieurs raisons sont avancées dont les clients qui ne se tournent plus forcément vers les produits de saison. « S'il fait froid, ils vont se tourner vers des soupes. En cas d'hiver doux, ils n'achèteront pas forcément des choux. Quand on détruit deux à trois hectares de salades, c'est une énergie qu'on met à produire qui n'est pas valorisée. C'est aussi un manque à gagner. Il y a également un certain agacement, mais cela fait partie du jeu », poursuit-il.
Calme et sans précipitation
Au fil des années, Éric Chauvin produisait de moins en moins de salades. « Il y avait 40 hectares de légumes de plein champ en 2001 et 30 fin 2008 », commente-t-il. Il continuera ainsi cette activité jusqu'à fin 2008-début 2009, avant de se tourner définitivement vers les plantes aromatiques. Une décision réfléchie et qui a demandé deux saisons de cheminement. « Notre production est saisonnière, de mi-mai à fin octobre. À la fin de la récolte, nous nous sommes donc posés et avons pris le temps de la réflexion pour voir ce qu'il était possible de faire. Nous n'avons pas de personnel permanent, ce qui était plus facile pour nous. J'ai discuté avec un agriculteur qui s'était lancé dans les plantes aromatiques. Lui-même produisait du basilic pour l'industrie agroalimentaire. Je me suis également rapproché d'un technicien, qui travaillait alors à Sanoflore, afin d'échanger autour de types d'espèces qui pourraient convenir à mon terrain et de la façon de travailler par rapport au matériel que j'utilisais pour les légumes de plein champ », raconte l'agriculteur. La production s'est ainsi notamment orientée vers la camomille romaine, la menthe poivrée, la mélisse ou encore le thym. Des céréales viennent également compléter les revenus de l'exploitation. Tout est aujourd'hui en agriculture biologique.
« Bien poser les choses »
À la question de savoir s'il a eu quelques craintes à entamer ce changement, il répond : « Pas spécialement. Pour la simple raison que l'on a adapté la plante aromatique à ce qu'on savait faire en légumes de plein champ. Quand on veut changer de production, il ne faut pas faire d'investissement à outrance. Nous avions le matériel, nous avons transposé ». Du point de vue des débouchés, la production est contractualisée. De quoi rassurer l'agriculteur. Qui plus est sur de longues durées, à savoir cinq ans, au moins. Il faut dire que la mise en place est longue. « Nous sommes beaucoup plus sereins au niveau de la commercialisation. On sait que cela va être utilisé », note-t-il également. L'agriculteur est conscient qu'il s'est positionné sur un marché de niche, avec de facto, une valorisation intéressante. Aujourd'hui, il ne regrette pas sa nouvelle stratégie. Lorsqu'il regarde ses anciens confrères, il note d'ailleurs que la conjoncture est difficile. « J'ai eu une bonne démarche, les bons outils. Si c'était à refaire, je le referais de la même façon », explique-t-il. À savoir réfléchir et « bien poser les choses ». Changer ses habitudes reste le plus dur. Un conseil à donner pour des agriculteurs qui souhaiteraient changer ? Éviter des frais supplémentaires. « Quand on veut changer d'activité, il faut le faire sans que cela occasionne de nouvelles charges dans la mesure du possible », indique-t-il enfin.
Aurélien Tournier
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Conversion / La bio, un changement profond de mode de production
En 2016, chaque jour, 21 nouvelles fermes bio sont nées, fruit d’installations ou de conversions.Dans un contexte économique où les productions conventionnelles en 2015 et 2016 ont été fortement frappées, le développement de l’agriculture biologique s’accélère cette année. 3 900 nouveaux agriculteurs se sont installés en agriculture biologique depuis janvier 2016. Ils rejoignent les 31 880 producteurs engagés en bio à la fin juin 2016, ce qui représente 7,2 % des exploitations françaises et 10 % des emplois agricoles. D’après les chiffres de l’Agence bio pour 2016, la surface agricole utile (SAU) française bio approche les 5,8 %, soit plus d’1,5 million d’hectares convertis cette année. Le nombre de producteurs bio, toutes filières confondues, a ainsi augmenté de 10 % au premier semestre 2016 (contre 8 % l’année précédente). La collecte de lait bio devrait augmenter de 30 % d’ici 2018.
Tout à changer
Pour un agriculteur en conventionnel, passer en agriculture biologique représente un changement important sur de nombreux points. Il faut repenser sa façon de travailler, fertiliser, protéger ses cultures ou soigner ses animaux, parfois imaginer de nouveaux modes de distribution, etc. C’est aussi un changement visible qu’il faut assumer auprès des voisins, amis ou collègues. C’est ce que raconte Hervé Brun, céréalier bio en Limagne dans le Puy-de-Dôme qui s’est converti en 2005 après plusieurs années de réflexion. « Tout a changé sur mon exploitation, raconte le céréalier. Mes rotations sur trois ans ont été remplacées par des rotations longues sur huit à neuf ans, dont trois années de luzerne. J’ai réappris l’agronomie, réenchanté mon métier de paysan et je gagne mieux ma vie en bio. Même s’il ne faut pas se cacher que les deux ou trois premières années sont les plus compliquées, le temps de caler le système. »
Le diagnostic de conversion
Pour aider les agriculteurs qui souhaitent se convertir, les chambres d’agriculture et le réseau Corabio en Rhône-Alpes proposent par exemple un accompagnement individuel et personnalisé à la conversion. Un des premiers outils pertinents pour mesurer l’impact d’une conversion en agriculture biologique est le « diagnostic de conversion bio ». Il permet d’évaluer les conséquences pour une exploitation d’un passage en bio sur les plans technique (itinéraire, matériels, autonomie alimen-
taire), économique et réglementaire afin de resituer cette conversion dans une stratégie d’entreprise. Ce travail approfondi mené par un conseiller de la chambre d’agriculture et un chargé de mission d’un groupement de l’agriculture biologique (GAB) permet de passer en revue tous les aspects de la conversion bio : motivation de la démarche, éléments techniques de la production, rappels réglementaires, comercialisation, investissements nécessaires, etc. Ce diagnostic constitue une étape essentielle dans la réflexion de l’agriculteur. C’est une première étape avant le grand changement.